Le rapport propose une première analyse générale de l’usage des réseaux sociaux numériques (RSN) à tous les niveaux des organisations syndicale (OS) en se demandant s’ils sont susceptibles de transformer la communication de celles-ci et les relations avec leurs adhérents et l’ensemble des travailleurs. Pour répondre à ces questions, l’étude réalisée s’appuie sur plusieurs types de données : outre l’analyse des documents ou discours présentant la position de cinq grandes OS, une première série d’entretiens a été réalisée avec les personnes en charge des réseaux sociaux dans ces OS. Des entretiens complémentaires ont permis d’interroger une douzaine de militants locaux utilisant de manière importante, dans leur activité syndicale, les outils numériques. Enfin, une analyse quantitative et qualitative des RSN a complété l’étude.
À partir d’une revue de littérature, nous montrons tout d’abord que les productions scientifiques sur le sujet restent souvent « prophétiques », annonçant sans cesse l’arrivée de transformations radicales, et qu’elles maintiennent souvent l’analyse au niveau confédéral. Selon cette littérature, les effets attendus des moyens numériques sont de trois ordres : faciliter l’organisation interne des syndicats, s’adresser à des publics nouveaux et être au service des mobilisations collectives.
Dans une deuxième partie, nous analysons la manière dont les confédérations se saisissent des RSN, dans les discours et dans les actes. Nous pointons l’écart entre la politique volontariste présentée dans les congrès et les réalisations concrètes, souvent tâtonnantes, prises dans les contraintes à la fois budgétaires, politiques et organisationnelles. La faible légitimité de la communication numérique et l’absence de vision claire sur ses enjeux freinent la mise en œuvre de plans d’action. L’analyse permet, au-delà, de pointer les multiples rôles assignés aux réseaux sociaux dans la stratégie de communication. Les objectifs affichés sont de « faire de l’audience » mais aussi de contribuer aux interactions entre la confédération et la « base ». Les RSN, et ici tout particulièrement Facebook, servent surtout d’espace de réassurance et de (re)formation d’une appartenance collective. Enfin, les community managers sont aussi en charge de gérer la multiplication des pages ou des comptes tenus par des entités locales. L’enjeu est alors d’homogénéiser ou d’unifier les discours, sans aller à l’encontre de l’autonomie des entités locales, dont la latitude ne saurait être remise en cause. Cette profusion de pages nécessite un contrôle souple des publications locales.
La troisième partie du rapport s’intéresse à un autre niveau d’analyse, celui des structures fédérales ou locales (unions départementales et syndicats d’entreprises) à travers l’étude d’expérimentations qui sont à la fois un révélateur et un moteur des pratiques syndicales et des transformations de ces organisations. Le rapport restitue d’abord le profil des militants en charge de la gestion des RSN. Il s’agit de personnes qui sont, de par leurs caractéristiques, proches des militants actifs dans leur ensemble et s’investissent moins par goût pour l’outil technologique que par celui de la recherche d’un syndicalisme de « terrain », « pragmatique », au plus près des adhérents. En étudiant ensuite la réalité des activités des OS sur les RSN, le rapport montre que ceux-ci permettent avant tout de diffuser l’information, le plus souvent d’une manière descendante. De nouveaux outils ont néanmoins permis d’aller au-delà et produisent une communication instantanée, parfois descendante, devenant à d’autres moments un espace de dialogue, de discussion, voire de délibération.
Enfin, en s’intéressant aux pratiques et aux enjeux du numérique perçus localement, le rapport met en avant quatre grandes dimensions : 1) le développement et de la visibilité, notamment par rapport aux élections professionnelles ou dans le contact avec des salariés inorganisés ; 2) une logique participative pour entretenir le dialogue avec le « terrain » ; 3) des outils de mobilisation ; 4) la contribution à un « travail d’organisation », c’est-à-dire l’élaboration des modes et des règles de coordination, d’articulation et d’ajustement qui permettent à des groupes d’agir ensemble.
Au total, nous montrons que les activités numériques sont largement en continuité avec les pratiques antérieures, dans une logique de substitution ou de complémentarité, et que les usages sont assez désordonnés, faiblement spécialisés et peu intégrés dans des stratégies collectives. Il apparaît cependant clairement que, si cette stratégie est précisée et que des ressources sont apportées, ces outils pourraient permettre l’engagement d’une véritable dynamique participative au sein des structures locales.
AUTEURS
Marie Benedetto Meyer est sociologue à l’Université technologique de Troyes, chercheuse au laboratoire LIST3N et chercheuse associée au laboratoire Printemps (CNRS)
Laurent Willemez est sociologue à l’Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines, chercheur au laboratoire Printemps.