Quels changements imputables à la loi de 2008 peut-on observer dans l’exercice de la représentation collective et dans les rapports collectifs du travail dans les entreprises ? La consécration électorale vient-elle conforter la légitimité représentative et négociatrice des équipes syndicales ? L’élimination des voix très minoritaires rend-elle plus fluide et plus percutant le dialogue social local ? Des mécanismes de validation plus transparents des acteurs syndicaux sont-ils en mesure de donner un nouveau souffle à la négociation collective ? Un double travail d’investigation, sociologique et juridique, mené dans le cadre de l’IRES pour l’Agence d’objectifs de la CGT a cherché à fournir des éléments de réponse à ces questions 2. Les deux articles présentés dans ce dossier sont issus de ces recherches.
Objets et méthodes distinguent les deux investigations. L’étude sociologique repose sur des enquêtes de terrain menées auprès d’acteurs syndicaux et d’employeurs dans des établissements de grande et de petite taille. L’étude juridique consiste dans l’analyse d’accords collectifs de droit syndical qui engagent des groupes. L’approche sociologique cherche à appréhender le jeu des acteurs dans un contexte de transformations multiples. L’étude juridique entend cerner la façon dont l’injonction législative oriente (ou non) la production normative dans les entreprises. Les deux approches offrent ainsi deux éclairages distincts sur des problématiques spécifiques liées à la capacité transformatrice, potentielle ou réelle, de la loi.
Mais au-delà de ces spécificités, les deux interrogations entrent aussi en résonance et livrent un regard croisé sur les modes d’appropriation de la loi de 2008 par les acteurs dans les entreprises.
L’autorité représentative fondée sur les nouveaux critères de la loi de 2008 s’exerce dans un contexte marqué par la densification des agendas de négociation collective d’entreprise. À partir de l’observation juridique ici, sociologique là, il a paru intéressant aux chercheurs de s’interroger sur les déplacements qui s’opèrent en filigrane dans la perception du rôle syndical. Comment se comparent, dans les accords de droit syndicaux, les statuts et moyens dédiés aux représentants syndicaux centraux chargés des responsabilités de négociation, et le rôle dévolu aux représentants « de base », dont l’élection sur les sites du travail décide de la représentativité syndicale ? Quel intérêt est porté aux « autres » tâches représentatives incombant aux équipes syndicales (délégués du personnel par exemple) qui échappent au champ de la négociation collective, pierre angulaire de la réforme de la représentativité syndicale ? D’un point de vue sociologique, il est crucial de comprendre où prend naissance le pouvoir représentatif. La contribution des salariés à la légitimation de leurs représentants s’épuise-t-elle dans l’acte du vote, souvent quadriennal ? La participation à la négociation (obligatoire) peut-elle être considérée comme l’élément organisateur du rôle représentatif qu’exercent les délégués à l’encontre de leurs mandants, et comme l’épicentre de leur pouvoir représentatif ?
Les deux recherches dessinent ainsi un champ de tensions dans lequel se confrontent, d’une part, les légitimités locales et centrales de la représentation collective, les unes construites dans l’établissement, les autres instaurées au sommet de l’entreprise, et, d’autre part, les ressources de pouvoir liées à l’exercice de tâches spécialisées (négociation collective) et aux rôles généralistes de la représentation syndicale (la « représentation au quotidien 3 ». À un moment où les pouvoirs étatiques et patronaux prennent une part active dans l’écriture des agendas représentatifs, cela soulève la question de l’autonomie que sont en mesure de faire valoir les collectifs syndicaux qui cherchent à déterminer eux-mêmes le centre de gravité de leur action. L’un des paradoxes de la réforme de la représentativité syndicale, et non le moindre, pourrait être que la légitimité représentative se décide dorénavant dans un espace (le site du travail) que la réforme désigne (entre les lignes) comme étant le moins stratégique dans l’édifice de la représentation. Quelle sera dès lors la motivation des équipes syndicales locales à persévérer dans l’exercice et celle de leurs mandants à participer à la construction de la représentativité de leurs mandataires ?
Christian DUFOUR, Adelheid HEGE, Marcus KAHMANN et Josépha DIRRINGER
1. Ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, La négociation collective en 2012. Bilans et rapports, Paris, 2013, p. 194.
2. Hege A., Cothenet A., Dirringer J., Dufour C., Kahmann M., L’influence de la loi du 20 août 2008 sur les relations collectives du travail dans les entreprises. Enquête sociologique et analyse juridique, rapport IRES-CGT, septembre 2014.
3. Dufour C., Hege A., L’Europe syndicale au quotidien, la représentation des salariés en France, Allemagne, Grande-Bretagne et Italie, Bruxelles, PIE Peter Lang, 2002.