Version mobile du site Ires.fr à venir
A


N° 164 Numéro spécial - Protection des bénéficiaires des revenus minima garantis : débats et réformes (jan 2019)
Partager

Italie .Le revenu de citoyenneté comme programme phare du Mouvement 5 étoiles

Cristina NIZZOLI

En Italie n’existe aucune forme de garantie universelle de revenu. Néanmoins, depuis les années 2000, des dispositifs de soutien au revenu sont apparus sur des territoires pilotes. Cet article interroge les résultats de ces expérimentations, en se focalisant sur la récente proposition d’un revenu de citoyenneté. À l’initiative du Mouvements 5 étoiles aujourd’hui au gouvernement, cette mesure est une sorte de RSA destiné aux plus familles les plus pauvres et elle devrait voir le jour en 2019.

Lire la suite

Avec 5,58 millions de personnes en situation de pauvreté absolue et 18 millions de personnes menacées par la pauvreté ou l’exclusion sociale en 2017 (données Istat) [1], l’Italie a connu une augmentation constante de la pauvreté depuis 2008, où on dénombrait 2,3 millions de personnes en situation de pauvreté absolue. Néanmoins, aucune forme de garantie universelle de revenu n’est prévue dans un pays où le système de protection sociale demeure caractérisé par l’hétérogénéité et la fragmentation de ses dispositifs.

C’est seulement au début des années 2000 que l’on voit apparaître, sous forme expérimentale, les premiers dispositifs de soutien au revenu sur des territoires pilotes. Plus récemment, le Mouvement 5 étoiles (M5S) a fait de la proposition d’un « revenu de citoyenneté » à 780 euros par mois et par personne son cheval de bataille lors des élections de 2018.

Sans qu’on puisse considérer la crise économique de 2008 comme un événement ayant marqué l’évolution des politiques publiques italiennes en matière de soutien au revenu, on s’interroge dans la première partie de cet article sur les résultats des expérimentations menées sur les territoires depuis maintenant vingt ans. On présente dans une seconde partie la proposition d’un revenu de citoyenneté formulée par des représentants du M5S, ainsi que les débats qu’elle a suscités dans l’espace politique et médiatique italien.

Un système de protection sociale fragmenté

Aucune loi régissant la Sécurité sociale n’existe en Italie jusqu’en 2000. L’introduction d’un revenu minimum est toutefois expérimentée localement à partir de 1999, en contrepartie de mesures d’activation qui ont été mises en œuvre ces dernières années.

Une Sécurité sociale résiduelle, non encadrée au niveau national

L’article 38 de la Constitution italienne dispose que « tout citoyen inapte au travail et dépourvu des moyens d’existence nécessaires a droit à la subsistance et à l’assistance sociale. Les travailleurs ont droit à ce que des moyens d’existence appropriés soient prévus et garantis en cas d’accident, de maladie, d’invalidité et de vieillesse, de chômage involontaire. Les inaptes et les handicapés ont droit à l’éducation et à la formation professionnelle. Des organismes et des institutions créés ou soutenus par l’État pourvoient aux mesures prévues dans le présent article. (…) »

La doctrine italienne souligne le fondement constitutionnel d’un dispositif de « minimum vital » (Pizzolato, 2018). Néanmoins, en l’absence de référence explicite à cette notion dans la Constitution, un travail d’interprétation a dû être effectué afin de mettre en lumière le lien étroit entre le droit au travail, le droit à la rémunération qui en résulte et le droit à l’aide sociale. En effet, la République italienne, par le biais de sa Constitution, réserve une place centrale au travail avec un engagement à créer les conditions du plein-emploi. De ce fait, si le salaire garantit au travailleur une existence « libre et digne » (art. 4 de la Constitution), le système de Sécurité sociale doit intervenir, de manière résiduelle, afin de garantir à ceux qui ne peuvent pas subvenir à leurs besoins par le travail le maintien de moyens d’existence (Benvenuti, 2016).

Toutefois aucune loi nationale régissant le domaine de la Sécurité sociale n’existe en Italie avant l’an 2000. En effet, lorsque, en 1977, l’assistance sociale et les services sociaux sont confiés aux gouvernements régionaux, aucune règle ni objectif communs ne sont définis (Saraceno, 2006). Cette absence de cadre commun concerne aussi bien les allocations que les services sociaux. Les seules exceptions sont le revenu minimum pour les inaptes au travail en raison de leur âge ou d’une invalidité et les services de santé.

Sur le plan budgétaire, la Sécurité sociale italienne est financée par les cotisations versées par les salariés, les employeurs, les travailleurs indépendants et ceux qui exercent une profession libérale, ainsi que par les recettes fiscales. Il s’agit d’un système mixte de protection sociale, qui combine des prestations contributives et proportionnelles au revenu (assurances sociales) et des prestations à vocation universelle (services nationaux de santé) (Paquy, 2004).

Des expérimentations récentes et limitées de revenu minimum…

Le système italien de protection sociale a toujours été fortement marqué par la fragmentation et l’hétérogénéité. Pour autant, il a fallu attendre la fin des années 1990 pour voir la mise en place de mesures expérimentales garantissant un revenu minimum au niveau local.

La première de ces mesures date de 1999. Mis en œuvre sur le plan local, avec 306 municipalités impliquées, le revenu minimum d’insertion (RMI) vise les personnes en situation d’extrême pauvreté. Les conditions d’attribution du RMI sont une durée minimale de résidence dans la commune (12 mois pour les citoyens de l’Union européenne et 36 pour les autres) et le fait d’avoir un revenu en dessous du seuil de pauvreté (fixé pour cette période à 500 000 lires, soit 260 euros par mois). L’allocation est alors calculée comme le différentiel entre ce seuil et le revenu perçu. Les bénéficiaires du RMI doivent suivre des « programmes d’intégration sociale » mis en place par les communes (Monticelli, 2017). Toutefois, l’actualisation du dispositif est laissée à la discrétion des municipalités en ce qui concerne les modalités d’attribution et de contrôle des dossiers des requérants, ce qui contribue à miner le caractère universel de la mesure. Le rapport d’évaluation de cette expérimentation révèle en effet la faiblesse du dispositif en termes de couverture : bien que les familles vivant sous le seuil de pauvreté représentent à l’époque 8,6 % des familles italiennes, 0,2 % seulement des foyers bénéficient du RMI.

Cette expérimentation prend fin en 2002 avec l’adoption d’un nouveau dispositif, le revenu de dernière instance, pour lequel toutefois les décrets ministériels d’application n’ont jamais vu le jour.

Il faut ensuite attendre la loi 133 de 2008 pour voir apparaître un nouveau dispositif, la « social card », inspiré des bons alimentaires étasuniens. Cette carte permet un versement de 40 euros mensuels, soit 480 euros par an, aux bénéficiaires, qui appartiennent à des foyers avec des enfants entre 0 et 3 ans ou avec des adultes de plus de 65 ans. Les bénéficiaires doivent avoir la nationalité italienne et ne pas percevoir un revenu imposable annuel supérieur à 6 000 euros. En outre, la carte ne peut être utilisée que dans les magasins ayant adhéré à l’initiative et, ce qui a été rajouté par la suite, pour l’achat de certains médicaments et le règlement des factures d’électricité et de gaz. Encore une fois, on constate que le budget mis à disposition (230 millions d’euros pour 2014) s’avère insuffisant [2] et ne couvre qu’1 % de la population alors que, d’après les données de l’Istat, 6,8 % de la population italienne vit, à cette période, sous le seuil de pauvreté (Martelli, 2015).

… désormais couplées avec des mesures d’activation

Les initiatives prises depuis 2016 en matière de revenu minimum, qui ne couvrent en outre qu’une faible partie de la population, sont désormais assorties d’obligations en termes de formation ou d’emploi.

Depuis le 2 septembre 2016, une nouvelle carte d’achat prépayée est introduite pour les membres de familles disposant de faibles ressources : le soutien pour l’inclusion active (SIA). Cette mesure est destinée aux foyers comprenant un mineur ou une personne handicapée vivant avec au moins un de ses parents, ou une femme enceinte. Les bénéficiaires de la prestation sont tenus de respecter un projet personnalisé visant leur « réinsertion sociale ». Ils sont par exemple obligés de suivre une formation professionnelle ou un programme éducatif. C’est encore une fois sur une base locale que ce projet voit le jour dans 12 villes italiennes, avec un budget total de 50 millions d’euros. Néanmoins, les résultats d’une évaluation faite par le ministère du Travail et des Politiques sociales révèlent que 30 % des fonds destinés à ce dispositif n’ont pas été alloués. La raison principale réside dans l’introduction, de la part des communes, de critères d’attribution plus restrictifs que ceux définis dans le projet.

En 2017, le revenu d’insertion (REI) remplace le SIA. Il s’agit d’une prestation versée mensuellement au moyen d’une carte de paiement électronique (carte REI). Comme pour le SIA, le bénéficiaire est obligé de suivre un projet personnalisé d’activation et d’inclusion sociale et professionnelle visant à surmonter ses conditions de pauvreté. Cette allocation est versée pour une durée maximale de 18 mois, renouvelable 12 mois. Le montant dépend du nombre de personnes vivant dans le foyer et peut atteindre 535 euros par mois lorsque les familles sont composées de cinq personnes [3].

Le REI peut être demandé par des personnes ayant la nationalité italienne ou par les étrangers en possession d’une carte de séjour de longue durée et résidant en Italie depuis au moins deux ans. Les critères d’accès à ce dispositif, à savoir le fait de percevoir un revenu imposable annuel inférieur à 6 000 euros et la présence dans le foyer de femmes enceintes, de mineurs ou de personnes handicapées, se sont avérés trop contraignants, raison pour laquelle la moitié seulement des 380 000 demandes ont été acceptées. En conséquence, le critère lié à la composition du foyer a été rendu caduc en juillet 2018, ce qui devrait permettre de réévaluer une partie des demandes rejetées. L’objectif du REI, pour lequel ont été alloués 2,3 milliards d’euros en 2018, est d’arriver à toucher 700 000 familles [4], soit 28 % du total des personnes en situation de pauvreté.

Un élément intéressant tient à la zone géographique d’origine des demandes de REI : 50 % des 184 000 demandes acceptées proviennent en effet de la région de Naples et de la Sicile. Avec sept demandes sur dix issues de régions d’Italie méridionale, la mise en place du dispositif confirme le fort décalage Nord-Sud qui subsiste en matière de distribution des richesses [5].

En Italie, la mise en place de dispositifs de lutte contre la pauvreté est aussi une prérogative régionale. Entre 2015 et 2016, l’Émilie Romagne, la Sardaigne, le Frioul-Vénétie julienne, la Vallée d’Aoste, les Pouilles et le Molise ont introduit différentes formes de soutien au revenu  [6]. Les conditions d’éligibilité varient selon les régions, mais sont comparables à celles prévues pour le REI.

Cette vue d’ensemble sur les différents dispositifs de lutte contre la pauvreté en place depuis bientôt 20 ans révèle l’insuffisance des moyens attribués, de même que leur caractère non universel. Néanmoins, la multiplication des lois régionales a contribué à nourrir le débat, au niveau national, sur le revenu minimum comme moyen d’alléger la pauvreté des ménages.

Le revenu minimum version « 5 étoiles »

Si le Mouvement 5 étoiles avait déjà proposé un revenu minimum en 2013, le projet actuellement en discussion en est une version d’autant plus dégradée que le document de programmation budgétaire prévoit par ailleurs des coupes dans la santé et l’éducation. Mais surtout, ses contours restent flous.

Les prémices du revenu de citoyenneté version 2018

Au début des années 2000, ce sont d’abord les militants du mouvement de « San Precario » (Saint Précaire) (Nizzoli, 2017) qui introduisent l’idée du revenu de base inconditionnel (RBI) [7]. Sur base individuelle (ne dépendant pas des caractéristiques du foyer), ce revenu universel serait adressé aux personnes qui perçoivent un revenu inférieur à 60 % du revenu médian au niveau national. Soutenue aussi par des chercheurs ayant estimé les coûts et la faisabilité d’une telle mesure, cette proposition n’a pas suscité l’intérêt des médias en restant cantonnée aux réseaux des militants de la gauche alternative et du syndicalisme non traditionnel des comités de base
(Cobas) (Pauvert, 2012).

Il faut ainsi attendre l’arrivée sur la scène publique italienne du Mouvement 5 étoiles, au début des années 2010, pour entendre parler à nouveau d’une aide au revenu, avec la proposition d’un revenu universel à 1 000 euros émise par son leader, Beppe Grillo.

Mais dans le projet de loi 1148 [8] présenté au Sénat par le M5S en 2013 qui n’a pas été adopté, ce revenu (devenu entre-temps « revenu de citoyenneté ») s’apparente plus à un revenu minimum qu’à un revenu universel. En effet, cette mesure s’adresse aux personnes dont les ressources se situent en dessous du seuil de pauvreté. Son montant est calculé sur la base de l’ensemble des revenus du foyer et doit permettre de compléter la faiblesse des revenus afin d’arriver à 780 euros par mois (pour un foyer constitué par une personne). Dans ce projet, la nationalité italienne ou d’un pays de l’UE est un critère d’éligibilité, ainsi que la participation à des travaux d’utilité publique huit heures par semaine.

Un dispositif aux contours flous, qui s’accompagne de coupes dans les budgets de la santé et de l’éducation

Le revenu de citoyenneté, qui a été au centre de la campagne électorale de 2018, reprend largement ce qui est prévu par le projet de loi précédent de 2013. Ainsi, d’après le « contratto di governo » (contrat de gouvernement qui scelle l’union entre la Ligue et le Mouvement 5 étoiles), ce dispositif devrait être en mesure de couvrir 8 millions de personnes et permettre à un ménage d’une personne de percevoir 780 euros par mois. À titre d’exemple, un foyer composé de quatre personnes devrait, pour être éligible au revenu de citoyenneté, percevoir des revenus inférieurs à 19 656 euros par an.

Alors qu’on écrit ces lignes, le gouvernement de coalition 5 étoiles-Ligue vient de rédiger le document de programmation budgétaire [9] qui prévoit 10 milliards d’euros pour le lancement du revenu de citoyenneté (8 milliards d’euros) et pour réformer les centres pour l’emploi indispensables à la mise en place du dispositif (2 milliards d’euros) [10]. Nous sommes loin des 17 milliards d’euros estimés par le Mouvement 5 étoiles en 2013 pour la mise en œuvre du projet : un nombre moins important que prévu de foyers sera donc couvert par ce dispositif. D’après les prévisions, ce budget permettrait de toucher à peine un tiers des citoyens qui vivent en situation de pauvreté.

Mais dans un tel contexte, alors que le ministre de l’Économie Luigi Di Maio évoque une « mesure à destination du peuple pour supprimer la pauvreté », ce même programme budgétaire prévoit une coupe de 5 milliards d’euros pour l’éducation et la santé [11], ainsi que la disparition de l’allocation chômage dont le budget va basculer vers le revenu de citoyenneté [12].

Concernant les conditions d’attribution du revenu de citoyenneté, dans ce « budget du changement », comme les ministres 5 étoiles le désignent, il est actuellement prévu que cette aide soit retirée à toute personne ayant refusé trois propositions d’emploi. Et, comme pour le REI, les bénéficiaires seront obligés de suivre des formations et de fournir huit heures de travail hebdomadaire non rémunéré à la collectivité.

Par ailleurs, la nationalité italienne est au centre du débat sur les critères d’accès au revenu de citoyenneté. Après avoir déclaré que tous les étrangers (y compris les ressortissants de l’Union européenne) seraient exclus du dispositif, Di Maio est revenu sur ses propos suite à la réaction de la Cour constitutionnelle, qui a qualifié ce critère de discriminatoire [13]. Pour contourner cette critique, le gouvernement a introduit un critère temporel de résidence dans le pays pour pouvoir bénéficier de cette aide. Ainsi, en lisant les dernières déclarations gouvernementales, on apprend que toute personne résidant en Italie depuis 10 ans pourra accéder à cette mesure. Cette précision sur la durée de séjour permet que cette restriction d’accès ne soit pas explicitement considérée comme discriminatoire et raciste. Rappelons que ces déclarations interviennent dans une atmosphère où les agressions racistes sont en hausse et où le ministre de l’Intérieur Matteo Salvini mène une politique xénophobe qui ne rencontre aucune opposition de la part des ministres 5 étoiles.

Il ne se passe pas un jour sans de nouvelles déclarations de Di Maio sur la mise en œuvre du revenu de citoyenneté. Ainsi, le 3 octobre, on apprend que si le futur bénéficiaire de ce revenu est propriétaire de son logement, 400 euros de « loyer fictif » seront déduits des 780 euros de l’aide [14]. De plus, le montant ne sera pas versé directement sur le compte des bénéficiaires du dispositif, mais crédité sur une carte permettant de réaliser des achats dans des circuits de magasins établis par l’État. On évoque la possibilité que la carte utilisée soit la carte sanitaire italienne – l’équivalent de la carte vitale en France –, sur laquelle on ne peut actuellement pas charger d’argent. Ce dispositif ressemble à la « social card » déjà expérimentée, mais avec deux nouveautés. Les ministres 5 étoiles tiennent à souligner que cet argent pourra être dépensé exclusivement dans les magasins italiens (sans davantage de précisions) et qu’il sera possible de contrôler la gestion de cet argent grâce à sa traçabilité, permettant ainsi de « vérifier si la personne est vraiment en condition de nécessité » [15].

Un débat autour du revenu de citoyenneté, dont les organisations syndicales sont absentes

À ce stade, nous ne sommes pas en mesure de prévoir ce qu’il se passera dans les mois à venir. Néanmoins, au-delà de la mise en œuvre concrète de ce dispositif, il est intéressant de souligner les critiques ayant traversé l’espace médiatique italien ces derniers mois.

La première est celle de l’assistanat. Le revenu de citoyenneté est critiqué aussi bien par les journalistes que par l’opposition : ils le considèrent en effet comme une forme d’assistanat qui encouragerait les Italiens à « rester assis sur leur canapé ». Pour répondre à ces accusations, le M5S évoque l’obligation de travailler huit heures par semaine et d’accepter les offres d’emploi proposées par les centres pour l’emploi. Notons que rares sont les voix qui s’élèvent pour dénoncer le travail gratuit résultant d’un tel système.

Une autre critique fréquemment entendue est celle des fraudes. Dans un pays où le nombre de travailleurs informels s’élève à 3 millions en 2018 (données du Censis), la crainte est que ces derniers se déclarent sans revenu et puissent accéder au dispositif.

Mais, comme évoqué plus haut, une des critiques les plus répandues est à caractère raciste. Dans un pays où une personne en situation de pauvreté absolue sur trois est étrangère, la crainte est que ce dispositif puisse bénéficier aux « immigrés » [16], d’où la récente introduction du critère de résidence de 10 ans dans le pays, source de discrimination indirecte. Cette mesure cautionne le racisme dans une Italie où le discours ambiant justifie les agressions envers les Noirs, qui seraient le résultat non pas du racisme, mais d’un mécontentement des Italiens face à la situation de crise économique du pays.

Concernant les organisations syndicales, il est intéressant de souligner que la Confederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL, Confédération générale italienne du travail), la Confederazione Italiana Sindacati Lavoratori (CISL, Confédération italienne des syndicats de travailleurs) et l’Unione Italiana del Lavoro (UIL, Union italienne du travail) se tiennent à l’écart du débat sur le revenu de citoyenneté. Globalement opposées à la mesure, les organisations syndicales, dans leurs déclarations, vont d’une critique de la réforme des centres pour l’emploi (« qui ne servent à rien tant qu’il n’y a pas de travail » pour la CISL) à celle de l’assistanat. Les responsables de la CGIL se sont exprimés sur le document de programmation budgétaire récemment adopté pour contester la coupe envisagée des budgets de l’éducation, de la santé et des amortisseurs sociaux.

Des partis « anti-système » qui s’inscrivent dans la continuité des gouvernements précédents

Arrivés au pouvoir au printemps 2018, le Mouvement 5 étoiles (M5S) et son allié d’extrême droite ont fait de la « flat tax » et du revenu de citoyenneté leurs propositions phare. Avec la première mesure, ils visent la réduction de la progressivité de l’impôt pour établir un impôt proportionnel ; avec la deuxième mesure, ils introduisent une sorte de RSA destiné aux personnes les plus pauvres (ou plutôt à une partie d’entre elles, comme nous l’avons vu).

Plus qu’une véritable mesure de soutien aux revenus, ce dispositif ressemble à une mise au travail des chômeurs en échange d’un très faible revenu. Et cela dans un contexte où les fonds prévus pour les amortisseurs sociaux seront finalement destinés au financement de cette mesure. De plus, compte tenu du chaos qui règne actuellement autour de la mise en œuvre du dispositif (aussi bien du point de vue des critères d’éligibilité que du budget prévu), on peut légitimement se demander ce qu’il restera du revenu de citoyenneté au moment de son application effective. Pour l’instant, on a l’impression que ce dispositif sert surtout aux représentants du M5S pour gagner la confiance de l’électorat en vue des élections européennes de 2019. En effet, les derniers sondages voient les intentions de vote pour la Ligue augmenter au détriment de celles pour le M5S.

Ainsi, bien qu’il soit souvent qualifié de parti anti-système, le M5S mène une politique qui, loin de remettre en cause les logiques néolibérales des dernières décennies, ne fait que prolonger les mesures déjà adoptées par les gouvernements précédents. En effet, bien que la révision à la hausse du déficit public ait attiré l’attention des médias, qui définissent la politique du gouvernement comme en rupture avec la période précédente, des éléments de continuité demeurent. Tout d’abord en ce qui concerne le déficit prévu pour 2019 (2,4 %), qui s’inscrit dans la lignée des années précédentes (2,5 % en 2016, 2,3 % en 2017) [17]. En deuxième lieu, au sujet de la loi travail italienne (« Jobs Act ») du gouvernement Renzi (Rehfeldt, 2016), on remarque que le M5S, qui avait pourtant déclaré vouloir l’abolir une fois au gouvernement, ne l’a pas fait. L’objectif de limitation de la précarité de l’emploi a été revu à la baisse au moment de l’approbation du « décret dignité » (été 2018) qui a certes permis de freiner la multiplication des contrats à durée déterminée, mais a aussi réintroduit des mesures très contestées comme les tickets prépayés permettant de rémunérer le travail occasionnel.

[Article terminé le 20 novembre 2018]

Cristina NIZZOLI*

Sources :

Benvenuti M. (2016), « Quali misure per assicurare un’esistenza libera e dignitosa? Lavoro e reddito in una prospettiva costituzionale », Quaderno della Rivista Diritti Lavori Mercati, p. 167-200, https://goo.gl/pEQmaK.

Martelli A. (2015), « Oltre la sperimentazione? Dal Reddito minimo di inserimento alla Carta acquisti sperimentale per il contrasto alla povertà », Autonomie Locali E Servizi Sociali, vol. 38, n° 3, p. 347-356.

Monticelli E. (2017), « I nuovi strumenti di lotta alla povertà in Italia: prime considerazioni sulla legge delega in materia di reddito di inclusione », Quadrimestrale di attualità costituzionale, Fascicolo 2, Osservatorio AIC, p. 77-94, https://www.osservatorioaic.it/images/fascicoli/Osservatorio_AIC_Fascicolo_02_2017.pdf.

Nizzoli C. (2017), « Italie : du renouveau syndical sans stratégie ?», n° spécial, « Renouveau syndical : enjeux, stratégies et pratiques », Chronique internationale de l’IRES, n° 160, décembre, p. 130-142, https://goo.gl/5rpdRK.

Paquy L. (2004), « Les systèmes européens de protection sociale : une mise en perspective », Document de travail, n° 6, Drees, janvier, http://onala.free.fr/dreess.pdf.

Pauvert R. (2012), « Les Cobas (Comités de Base) en Italie au cours des années quatre-vingt : naissance d’un phénomène. Cahiers d’études italiennes, n° 14, p. 79-98, https://cei.revues.org/382.

Pizzolato F. (2018), « Le Revenu d’inclusion en Italie : entre contraintes financières et perspective universaliste », Revue de Droit sanitaire et social, n° 5, septembre-octobre, p. 837-846.

Rehfeldt U. (2016), « Italie : le “Jobs Act”, un nouveau pas vers la flexibilité pour les travailleurs et vers la sécurité pour les employeurs », dossier, « Des réformes du marché du travail pour quelles performances ? », Chronique internationale de l’IRES, n° 155, septembre, p. 57-70, https://goo.gl/A8FYgw.

Saraceno C. (2006), « Politiques d’assistance sociale et décentralisation dans les pays d’Europe du Sud », Revue française des affaires sociales, n° 1, p. 107-130, https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2006-1-page-107.htm.

 

*Chercheure à l’Ires.

[1]. Selon le rapport 2018 de l’Istat, la population totale du pays est estimée à 60,49 millions.

[2]. Soit 380 euros par an et par personne.

[3]. Seulement 5 % des ménages italiens sont composés de cinq membres ou plus.

[4]. Ce qui représente 274 euros par famille et par mois.

[5]. V. Conte, « Povertà, 380 mila in coda per il reddito di inclusione », La Repubblica, 21 giugno 2018.

[6]. http://www.redditoinclusione.it/wp-content/uploads/2017/11/ALL5_Misure-regionali-2017.pdf.

[7]. Cahier n° 1 de « San Precario » : https://goo.gl/cnCePQ.

[8].    Pour consulter le texte du projet de loi : http://www.senato.it/japp/bgt/showdoc/17/DDLPRES/0/
814007/index.html.

[9].    Ce budget a été présenté à Bruxelles et il a été rejeté par la Commission européenne le 23 octobre 2018.

[10].   Les centres pour l’emploi, qui emploient aujourd’hui 8 000 personnes, ne sont actuellement pas en mesure de gérer le dispositif.

[11].   R. Amato, V. Conte, « Condono e tagli al welfare per finanziare la manovra da 33 miliardi », La Repubblica, 27 settembre 2018.

[12].   C. Saraceno, « Finanziaria: se la povertà non scompare ma raddoppia », La Repubblica, 28 settembre 2018.

[13].   A. Fontanarosa, « Di Maio: “Reddito soltanto agli italiani”. Ma la Costituzione non lo permette », La Repubblica, 21 settembre 2018.

[14].   R. Ceccarelli, « Il “reddito di cittadinanza” partirà ad aprile dopo la riforma dei centri per l’impiego », Il Manifesto, 3 ottobre 2018, https://goo.gl/Bxxt9P.

[15].   Déclaration de la ministre déléguée à l’Économie et aux Finances, Laura Castelli, lors de l’émission Agora sur Rai 3 le 2 octobre 2018.

[16].   Ce terme est entre guillemets puisqu’on veut rendre compte de l’emploi qui en est fait dans le contexte politique et social italien où il sert à désigner toute personne non blanche, qu’elle soit italienne ou étrangère.

[17].   S. Palombarini, « En Italie, une fronde antieuropéenne ? », Le Monde diplomatique,
novembre 2018, p. 17.