Comparée aux autres économies européennes, l’Allemagne a mieux traversé la crise sanitaire, en termes d’évolution tant de l’activité que de l’emploi. Bien qu’elle ait connu, lors du deuxième trimestre 2020, la plus grande chute conjoncturelle du PIB de son histoire, celle-ci est finalement restée limitée à -5 % sur l’ensemble de l’année 2020. L’emploi n’a quant à lui reculé que de 1 % en 2020, entraînant une augmentation du nombre de chômeurs de 1,4 à 1,8 million et du taux de chômage au sens du BIT de 3 à 4 %. Le taux d’activité a légèrement baissé, de 76,7 % en 2019 à 75,5 % en 2020, ainsi que le taux d’emploi, qui est passé de 76,7 à 76,2 % sur la même période. La reprise a été rapide dès le troisième trimestre 2020, mais elle a été de nouveau ralentie par les confinements de novembre 2020. Elle devait se poursuivre en 2021, tirée par un relèvement de la consommation, mais surtout par un rebond spectaculaire des exportations et de l’investissement. Elle s’est toutefois de nouveau ralentie fin 2021 en raison d’une pénurie de composants. La croissance prévue de 3 % en 2021 est plus modérée que la moyenne européenne, mais on doit tenir compte du fait que le recul en 2020 était aussi plus modéré. Le PIB ne retrouvera le niveau de 2019 qu’au début de 2022. L’élément le plus positif est la croissance prévue de l’investissement productif de 7 % en 2021, après une chute de 11 % en 2020 précédée d’une stagnation en 2019 (Dullien et al., 2021a).
Ces bonnes performances sont en partie dues au fait que le nombre de contaminations au Covid-19 est resté relativement limité, notamment lors de la première vague. Ceci est le résultat à la fois à d’un dépistage précoce et d’une grande efficacité du système sanitaire (Kahmann, 2020). La relative bonne maîtrise de la crise sanitaire a incité les autorités à décréter des restrictions moins sévères que dans d’autres pays, pour les particuliers comme pour les entreprises, évitant les formes les plus dures du confinement et du couvre-feu, du moins jusqu’en novembre 2020.
La relative modestie des restrictions a souvent été le résultat de compromis rendus nécessaires par le partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les Länder, parfois tiraillés entre partisans et adversaires d’une plus grande sévérité. Les Länder disposent par la Constitution d’un grand nombre de compétences exclusives, notamment en matière sanitaire, éducative et culturelle. Pour pouvoir agir dans l’urgence malgré les attitudes contrastées de certains gouvernements de Länder, le gouvernement fédéral fait adopter en mars et novembre 2020 par le Parlement fédéral des lois qui lui confèrent un pouvoir de coordination des mesures pour protéger la population. Ces lois permettent de décréter des confinements généralisés ou partiels ainsi que d’autres formes de restrictions. Après que certains Länder commencent à fermer les établissements éducatifs, culturels et sportifs, le gouvernement fédéral et ceux des Länder décident conjointement en mars 2020 de restreindre les contacts de la population et de fermer les restaurants et établissements culturels. Il n’y a d’abord pas de confinement au sens strict, mais seulement des recommandations de rester chez soi et de privilégier le télétravail. Certains Länder décrètent alors des confinements plus stricts. Ces mesures sont progressivement levées à partir d’avril 2020. En mai 2020, les Länder sont autorisés à alléger ou renforcer localement les restrictions en fonction de la progression du virus. Ils décident alors de la réouverture des écoles, musées, bibliothèques, théâtres et cinémas, avec certaines restrictions. Ce n’est que face à la deuxième vague de Covid-19 que le gouvernement fédéral décide finalement de mettre en place un nouveau confinement en novembre 2020. Défini comme « light », il est prolongé jusqu’en mars 2021, et est de nouveau assorti de la fermeture des restaurants et établissements culturels et de la limitation des contacts extérieurs. En décembre 2020, les écoles et la plupart des commerces et services sont également fermés. Les crèches ne sont autorisées à accueillir que les enfants pour lesquels les parents n’ont aucune autre solution de garde. En mars, une réouverture progressive est autorisée en cinq étapes, mais le 22 mars, le gouvernement prolonge les mesures de confinement jusqu’au 18 avril 2021. En avril 2021, une loi fédérale autorise les autorités locales à décréter un couvre-feu nocturne de 22 à 5 heures. Cette possibilité est utilisée dans de rares cas. Toutes les restrictions temporaires prennent fin le 30 juin 2021, sauf les règles d’hygiène et de distanciation, y compris dans les entreprises.
Après un accord avec les Länder, le gouvernement oblige en janvier 2021 les entreprises à proposer aux salariés le télétravail « là où c’est possible [1] ». Cette obligation s’arrête fin juin 2021. Le ministre social-démocrate du Travail finit par rallier le ministre chrétien-social de l’Économie et les gouvernements réticents des Länder à cette solution. Jusqu’alors, les organisations patronales, fidèles à leur hostilité traditionnelle à l’introduction de nouveaux droits pour les salariés, s’opposaient fortement à une telle obligation, pour laquelle manquait une base légale. Le droit du travail allemand ne reconnaît en effet pas de droit au télétravail, qui suppose un double volontariat de l’employeur et du salarié. Même après l’injonction du gouvernement, un salarié peut refuser une proposition de télétravail par l’employeur. Un accord, soit individuel soit avec le conseil d’établissement, est nécessaire pour sa mise en place [2].
Selon une enquête de la Fondation Hans-Böckler (HBS, 2021), le nombre de salariés qui déclarent avoir « principalement ou exclusivement » travaillé à la maison est resté relativement faible. Il connaît un premier pic lors des confinements d’avril 2020, quand le télétravail est utilisé par 27 % des salariés, comparé aux 4 % d’avant la pandémie [3]. Ce taux recule ensuite à 14 % en novembre 2020, malgré le nouveau confinement « light ». Ce n’est qu’après le décret sur l’obligation du télétravail qu’il remonte à 24 % en janvier 2021, pour de nouveau redescendre à 15 % en juillet 2021. Cela montre les pressions persistantes pour une présence au bureau, alors que 48 % des salariés enquêtés indiquent fin 2020 souhaiter travailler chez eux (Behringer et al., 2021).
Dans cet article, nous présentons d’abord les mesures du gouvernement pour aider les entreprises, les indépendants et les ménages touchés par ces restrictions. Ces mesures représentent un engagement financier massif comparé à celles prises lors de la crise de 2008-2009, même si elles apparaissent parfois modestes comparées à certaines mesures prises en France et dans les autres grands pays européens et si l’écart entre le montant annoncé et leur mise en œuvre effective est parfois significatif. Elles sont en outre décidées de façon plus consensuelle que les mesures de distanciation sociale. C’est notamment le cas de la réactivation d’une mesure phare, le soutien à l’activité partielle (Kurzarbeit), qui a fait la preuve de son efficacité pour sauvegarder l’emploi et la compétitivité dans la crise de 2008-2009. Pour amortir les effets de la crise sur l’activité économique, le gouvernement prend aussi rapidement des décisions pour aider les entreprises et les ménages, en s’écartant momentanément de l’orthodoxie budgétaire et d’interventionnisme économique. Ces mesures rencontrent le consentement des acteurs sociaux, qui, de leur côté, renforcent certaines mesures à travers la négociation collective de branche et d’accords d’entreprise, comme le soutien de l’activité partielle. Ces actions font l’objet de la deuxième partie de l’article. Nous terminons par des considérations sur l’avenir de ces mesures et sur l’interventionnisme économique de l’État fédéral.
De nombreuses mesures de soutien économique
Avant le déclenchement de la pandémie de Covid-19, la politique budgétaire allemande est déjà orientée vers l’expansion et le gouvernement fédéral prévoit de nombreuses mesures de stimulation de l’économie d’une valeur totale évaluée pour l’année 2020 à 20 milliards d’euros par l’IMK, l’institut macroéconomique de la Fondation Hans-Böckler (Dullien et al., 2021b). Lors de la première vague de Covid-19, le gouvernement fédéral et les Länder lancent très rapidement des programmes d’aide d’urgence. En dehors des subventions de l’activité partielle, prise en charge par l’Agence fédérale pour l’emploi, le gouvernement met en place, dès mars 2020, un « bouclier Covid » comportant des aides d’urgence et « transitoires » ainsi qu’un Fonds de stabilisation de l’économie. Puis, en juin 2020, il y adjoint un « paquet conjoncturel Corona ». Ces mesures font l’objet de fréquentes révisions dont il est difficile de faire le suivi et d’évaluer l’impact total, et ce, d’autant que nombre d’entre elles doivent être mises en œuvre sur deux, voire plusieurs années. Nous établissons ici un inventaire des mesures les plus significatives, en commençant par les subventions de l’activité partielle, pour présenter ensuite les autres aides aux entreprises et aux indépendants, celles à la transition écologique et numérique, puis celles aux ménages. Nous indiquons ensuite différentes évaluations quantitatives de ces mesures, y compris des dépenses effectives.
La place centrale des subventions publiques de l’activité partielle
Les subventions de l’activité partielle constituent la partie la plus importante des mesures d’urgence. Cette mesure a la particularité de bénéficier simultanément aux entreprises et aux salariés concernés. Il s’agit d’un modèle qui a précédemment fait la preuve de son efficacité pour la sauvegarde de l’emploi et de la compétitivité dans la crise de 2008-2009 (Rehfeldt, 2016). Il est réactivé par le gouvernement, qui allège temporairement les conditions d’accès à l’activité partielle et augmente, comme en 2008, les montants et la durée des subventions. Pour ce faire, il fait adopter en mars 2020 une loi qui lui permet de procéder à des modifications par décret sans avoir besoin de l’autorisation du Bundesrat, la deuxième chambre qui représente les gouvernements des Länder. Plusieurs modifications temporaires sont ainsi introduites en 2020 et 2021 (Drahokoupil, Müller, 2021). Elles prennent fin en décembre 2021.
La condition d’accès à cette subvention reste une baisse d’activité « substantielle », désormais définie comme une perte de 10 % des rémunérations mensuelles brutes pour au moins 10 % des salariés (en temps normal, elle doit toucher au moins un tiers des salariés). Si la réduction du temps de travail dépasse 50 %, les compensations, payées par l’Agence fédérale de l’emploi, sont relevées à partir du quatrième mois d’activité partielle de 60 à 70 % du salaire net (de 67 à 77 % pour les salariés avec un enfant). À partir du septième mois, les compensations sont relevées à 80 % du salaire net (87 % pour les salariés avec un enfant). Le gouvernement prolonge aussi temporairement la durée maximale des subventions de 12 à 24 mois.
Tous les salariés gagnant moins de 6 500 euros mensuels brut (5 800 euros à l’Est), y compris les travailleurs temporaires et les apprentis, ont droit à ces subventions. Ce droit est temporairement élargi aux travailleurs intérimaires. Les subventions ne sont pas soumises à l’impôt sur le revenu. Désormais, les salariés concernés peuvent temporairement débuter une activité secondaire sans diminution de la subvention publique, à condition que leur rémunération totale ne dépasse pas leur salaire antérieur. De mars 2020 à septembre 2021, l’Agence restitue les cotisations sociales versées par les entreprises ayant eu recours à l’activité partielle. Ces restitutions sont ensuite diminuées de moitié jusqu’en décembre 2021. Si l’employeur déploie d’importants moyens pour la formation de ses salariés, l’autre moitié des cotisations sociales est également restituée, et cela jusqu’en juillet 2023. Jusqu’à la même date, les coûts de formation sont pris en charge par l’Agence, à hauteur de 15 à 100 %, selon la taille de l’établissement. En outre, les entreprises qui maintiennent ou augmentent leur nombre d’apprentis sans réduire leur activité reçoivent des primes proportionnées. Les PME peuvent recevoir des subventions supplémentaires pour payer les indemnités des apprentis.
La décision de relever ces indemnités est précédée d’un débat sur l’opportunité d’instaurer un salaire minimum d’activité partielle, comme le demandaient des syndicats et l’aile gauche du parti chrétien-démocrate. Cela aurait évité que dans les secteurs à bas salaires, des salariés en activité partielle soient fréquemment obligés de demander une compensation supplémentaire sous forme d’allocation sociale de base. Le gouvernement ne s’oriente pas dans cette voie, mais préfère relever progressivement et temporairement le taux de subvention de l’activité partielle. Cela ne constitue cependant pas un soutien suffisant pour des salariés à bas salaire qui risquent de perdre leur emploi avant même de pouvoir bénéficier des taux relevés.
En avril 2020, environ 6 millions de salariés sont indemnisés pour activité partielle en Allemagne (graphique 1), soit environ 18 % des salariés cotisants. Ce niveau, encore jamais atteint, représente le quadruple du nombre de travailleurs indemnisés lors de la crise de 2008-2009 (1,4 million de salariés, soit 5,2 % d’entre eux, en avril 2009). Ce nombre reste cependant faible comparé aux pour-
centages de recours à l’activité partielle en avril 2020 en France (35 %) ou en Italie (45 %) (Eurofound, 2021). Avec 1,19 million de salariés, c’est l’industrie manufacturière et notamment l’automobile (encadré 1) qui mobilise le plus le dispositif en avril 2020, suivie de l’hôtellerie-restauration (1,1 million) et du commerce (1,0 million). Après le confinement de novembre-décembre 2020, le nombre de salariés indemnisés atteint un deuxième pic, beaucoup plus modeste, de 3,5 millions en février 2021. Sur l’ensemble de la période, le taux de recours est corrélé à la sévérité des restrictions et reste donc comparativement plus faible que dans d’autres pays (OECD, 2021 ; Drahokoupil, Müller, 2021). Après un nouveau pic de l’activité partielle en janvier-février 2021, les pourcentages diminuent dans l’ensemble des branches. En septembre 2021, seulement 1 à 4 % des effectifs des branches sont encore en activité partielle, à l’exception de la restauration (5,5 %) et de l’imprimerie (6,3 %).
Des programmes spécifiques de soutien aux entreprises et aux indépendants
Pour compenser les pertes des entreprises et indépendants occasionnées par les mesures de confinement, le gouvernement met en place une série de programmes spécifiques d’aides. En mars 2020, le Parlement adopte un « bouclier Covid » qui comporte une aide d’urgence (Soforthilfe) pour les indépendants et TPE ainsi qu’une « aide transitoire » (Überbrückungshilfe) pour l’ensemble des entreprises et indépendants. Ce dernier programme est ensuite prolongé plusieurs fois durant les années 2020 et 2021 (Überbrückungshilfe II, III, III plus).
Le « bouclier Covid » en soutien aux TPE et aux indépendants
Pour l’aide d’urgence, 40 milliards d’euros sont mobilisés en mars 2020 pour les TPE et 10 milliards d’euros pour les indépendants. Les indépendants et les TPE jusqu’à 5 salariés reçoivent cette aide sous forme d’un versement forfaitaire pouvant aller jusqu’à 9 000 euros de mars à mai 2020, sans conditions de ressources. Pour les TPE jusqu’à 10 salariés, ces aides forfaitaires sont limitées à 15 000 euros par entreprise. En même temps, un programme d’aide transitoire est mis en place sous forme de subventions des coûts fixes. Il concerne d’abord les PME et indépendants, puis est élargi à des entreprises plus grandes et, sans limitation de taille, aux entreprises des branches qui ont particulièrement souffert des décisions de confinement (commerces, hôtellerie-restauration, voyages, culture). Il est possible de solliciter simultanément l’aide d’urgence et l’aide transitoire.
Les entreprises et indépendants dont le chiffre d’affaires a diminué en avril et mai 2020 d’au moins 60 % par rapport aux mêmes mois en 2019 sont initialement éligibles à l’aide transitoire. Jusqu’à 50 % de leurs frais fixes d’exploitation leur sont remboursés si les ventes sont au moins 50 % inférieures à celles du même mois l’année précédente. Si la baisse des ventes est plus élevée, le remboursement peut atteindre 80 % des frais fixes d’exploitation. Le schéma est ensuite prolongé pour les mois de juin à août 2020, en baissant le seuil d’éligibilité à une chute mensuelle des ventes de 40 %. Le remboursement mensuel maximal est limité à 50 000 euros, à 3 000 euros pour les entreprises jusqu’à 5 salariés. Si les pertes en coûts fixes d’une TPE sont particulièrement élevées, le remboursement peut être exceptionnellement supérieur. Un schéma similaire est ensuite prolongé pour les mois de septembre à décembre 2020 (Überbrückungshilfe II), en baissant de nouveau le seuil d’éligibilité à 30 % de chute des ventes et en augmentant le taux de remboursement maximal à 90 %. Jusqu’à 20 % du coût du personnel est également remboursé de façon forfaitaire.
Pour compenser les fermetures dues au confinement de novembre-
décembre 2020, un programme spécial d’aide (November- und Dezemberhilfe) est mis en place, qui rembourse jusqu’à 75 % du chiffre d’affaires des entreprises et indépendants concernés par les fermetures imposées. Un nouveau schéma pour l’ensemble des entreprises et indépendants est ensuite défini pour les mois de novembre 2020 à juin 2021 (Überbrückungshilfe III), avec un remboursement maximal de 100 %, des suppléments pour les entreprises subissant des pertes durables ainsi que pour certaines branches particulièrement touchées. Il est prolongé pour les mois d’octobre à décembre 2021 (Überbrückungshilfe III Plus). Comme pour les programmes précédents, le remboursement est forfaitaire (50 % après le dépôt de la demande, jusqu’à 100 000 euros par mois). Les demandes de remboursement doivent être déposées au plus tard le 31 décembre 2021.
Les travailleurs indépendants ou les coopératives qui subissent d’importantes pertes de chiffre d’affaires, mais dont les coûts fixes sont insuffisants pour réclamer l’aide transitoire, peuvent demander une aide « restart » (Neustarthilfe). Elle compense jusqu’à 50 % des pertes en chiffre d’affaires, calculées par rapport à une période de 6 mois en 2019, et permet le versement forfaitaire d’un maximum de 7 500 euros pour les indépendants sans salariés (30 000 euros pour les coopératives). Cette aide est prolongée deux fois jusqu’en décembre 2021, avec à chaque fois une avance forfaitaire de 4 500 euros par période de trois mois pour les indépendants. Une partie de cette avance doit être remboursée si la perte finale de chiffre d’affaires s’avère inférieure à l’estimation initiale.
Le fonds de stabilisation de l’économie en soutien aux grandes entreprises
En mars 2020, un fonds de stabilisation de l’économie est créé à hauteur de 600 milliards d’euros. Il est destiné aux grandes entreprises, mais aussi aux start-up qui connaissent des difficultés. Cette aide prend deux formes : des garanties de crédits et des recapitalisations. Ce programme est mis en œuvre par les Länder qui le complètent par leurs propres programmes d’aides ainsi que par des prêts bonifiés. La banque publique Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW) [4] est chargée de mettre en place une série de mesures supplémentaires. Elle met à disposition des instituts de financement des Länder des crédits garantis supplémentaires pour les indépendants, les TPE et les start-up, de façon à porter le total des crédits publics jusqu’à un maximum de 1,8 million d’euros par entreprise. Elle émet également des garanties pour des crédits antérieurs. La KfW octroie à l’ensemble des entreprises des « crédits rapides » garantis à 100 % dont le montant maximal par entreprise est temporairement relevé de 800 000 à 1,2 million d’euros. Un « programme spécial » alloue aux entreprises et aux indépendants des crédits bonifiés avec une procédure d’examen allégée et accélérée. Ces crédits sont garantis jusqu’à 90 %. La plupart des mesures prennent fin en décembre 2021.
Le « paquet conjoncturel Corona »
Quand il devient évident que la récession sera considérablement plus forte que la crise de 2008-2009, le gouvernement fédéral ajoute en juin 2020 un « paquet conjoncturel Corona » de 130 milliards d’euros, qui comporte 67 mesures. Ce programme établit de nouvelles aides aux entreprises, un « paquet d’avenir » pour favoriser la transition écologique et numérique (encadré 2), ainsi que des aides aux ménages (voir infra).
De nombreuses aides et simplifications fiscales temporaires s’appliquent aux salariés et aux entreprises. Il s’agit, entre autres, de reports de paiements et de délais prolongés pour les déclarations fiscales, de possibilités d’amortissement améliorées, de subventions exonérées, etc.
Le paquet conjoncturel comprend des aides supplémentaires d’1 milliard d’euros pour le secteur de la culture. Elles passent en mai 2021 à 2,5 milliards d’euros, dans le cadre d’un programme fédéral annoncé comme le plus grand programme d’aide culturelle de l’histoire de la République fédérale. Il doit soutenir la reprise d’événements culturels avec deux volets centraux : une aide pour les événements accueillant un public réduit, et la protection contre les défaillances pour les grands événements comme les festivals.
Une part importante des aides du paquet conjoncturel de juin 2020, budgétée à 11 milliards d’euros, est destinée à subventionner les surcoûts d’achat d’énergie que la loi impose aux entreprises et aux ménages pour financer le développement des énergies renouvelables.
Pour soutenir le service public de santé, des aides de 4 milliards d’euros sont accordées aux Länder, ainsi qu’une enveloppe de 3 milliards d’euros aux hôpitaux pour leur modernisation. D’autres aides sont mobilisées pour la production nationale de médicaments essentiels et de vaccins ainsi que pour créer et maintenir un stock d’équipements de protection sanitaire.
Pour compenser les pertes de recettes dues au confinement, les Länder sont autorisés à accorder aux entreprises de transport public des subventions que l’État fédéral soutient avec une aide de 2,5 milliards d’euros. En ce qui concerne les municipalités, qui ont subi d’importantes pertes en impôts locaux des entreprises, l’État fédéral et les Länder leur accordent une aide partagée paritairement.
Pour aider le secteur de la restauration, son taux de TVA (à l’exclusion des boissons) est temporairement abaissé en juillet 2020 de 19 à 7 %, puis à 5 %, et est relevé de nouveau à 7 %. Cette mesure est prolongée jusqu’à fin 2022.
Un fort soutien à la consommation des ménages
Le paquet conjoncturel de juin 2020 comporte des mesures fiscales et une augmentation des aides aux familles et des allocations sociales. Ces mesures sont destinées à la fois à soutenir la demande intérieure et à lutter contre les inégalités sociales qui se sont aggravées dans la crise sanitaire.
Le taux de TVA baisse jusqu’en décembre 2021 de 19 à 16 % et le taux réduit de 7 à 5 % (voir supra). Avec un coût de 20 milliards, c’est une des mesures les plus importantes du paquet. L’IMK estime cependant qu’il s’agit de la mesure la moins efficace du point de vue des ménages, car les entreprises ne l’ont pas suffisamment répercutée dans leurs prix. En outre, la baisse de la TVA n’est pas socialement ciblée, car elle profite aussi aux ménages riches avec un taux d’épargne élevé. La faible rapport coût-efficacité de cette mesure est partagé par les experts interrogées pour un rapport au ministère du Travail (Bonin et al., 2021).
En 2020, les parents qui, en raison de la fermeture des écoles et des garderies, doivent rester à la maison pour s’occuper de leurs jeunes enfants ont droit à être indemnisés de leur perte de revenus pendant 10 semaines (doublée en 2021), une allocation auparavant réservée à la garde d’enfants malades. Un parent isolé a droit à 20 semaines d’indemnisation (également doublée en 2021). Il peut également bénéficier d’une hausse de son exonération fiscale.
En 2020, les familles qui perçoivent des allocations familiales reçoivent une prime de 300 euros par enfant (Kinderbonus), payée en deux versements. C’est la seconde mesure la plus importante de soutien aux ménages dans le paquet de juin 2020, avec un coût de 4,3 milliards d’euros. Contrairement à la baisse de la TVA, elle a un fort impact sur la stabilisation de la demande des ménages (Behringer et al., 2021). De plus, elle contribue à diminuer les inégalités, en ciblant les ménages modestes. Cette prime est renouvelée en 2021 à hauteur de 150 euros. Déjà en 2019, une augmentation des allocations familiales a été programmée pour 2020. Une nouvelle augmentation pour 2021 est décidée en décembre 2020 (Fagnani, 2021).
La durée des allocations chômage est temporairement prolongée de trois mois. Toutes les personnes qui ont perdu un revenu vital du fait de la crise, y compris maintenant aussi les indépendants et les dirigeants de TPE, peuvent jusqu’au 31 décembre 2021 demander à bénéficier de l’allocation sociale de base, « Hartz IV ». Habituellement, elle fait l’objet d’une vérification des ressources financières du demandeur. Elle est toutefois temporairement accordée pour une période de six mois renouvelables, sans vérification et sur déclaration du demandeur selon laquelle il ne dispose pas de « fortune considérable ». En avril 2021, toutes les allocations de base sont augmentées d’une prime forfaitaire de 150 euros et d’un bonus supplémentaire de 150 euros pour les familles.
En mars 2020, un moratoire sur les loyers avec interdiction d’expulsion est institué pour une période de trois mois. Sa prolongation, demandée par les sociaux-démocrates, est refusée par les chrétiens-démocrates, qui font valoir l’accès facilité à l’allocation sociale de base. Cette dernière comporte en effet une allocation logement (subvention du loyer et du chauffage), gérée par les municipalités et financée habituellement à moitié par l’État fédéral et les Länder. Son montant est relevé en 2020 et 2021. Dans le cadre du paquet conjoncturel, l’État fédéral augmente sa contribution à 74 %. Bien qu’il s’agisse d’une simple redistribution entre des autorités publiques, cette contribution permet de stimuler l’économie.
Enfin, la crise sanitaire ayant entraîné une augmentation des dépenses des caisses d’assurance sociale, le gouvernement décide de stabiliser les cotisations sociales à un maximum de 40 % dans le cadre d’une « garantie sociale 2021 », en couvrant les besoins financiers supplémentaires par le budget fédéral.
Des écarts importants entre montants d’aide annoncés et réellement mis en œuvre
Les évaluations quantitatives des mesures d’aide annoncées arrivent à des résultats très divers. Le seul paquet conjoncturel de juin 2020 est évalué par le gouvernement fédéral à 130 milliards d’euros. En additionnant les différentes mesures, l’IMK parvient quant à lui à un montant de 169 milliards d’euros (Dullien, Tober, Rietzler, 2020. Cependant, beaucoup de mesures s’étalent sur plusieurs années. De plus, un certain nombre d’aides annoncées en mars 2020 n’ont pas été consommées et ont donc été réintégrées dans le paquet conjoncturel de juin 2020. L’IMK estime les mesures effectives en 2020 du paquet conjoncturel à 85 milliards d’euros et la totalité des mesures d’aides effectives en 2020 à 207 milliards d’euros, soit 6,3 % du PIB : cette somme est obtenue en additionnant les 85 milliards du paquet conjoncturel, les mesures prévues avant la crise (22 milliards d’euros), les mesures fédérales d’urgence décidées en mars 2020 (54 milliards), les mesures supplémentaires des Länder (32 milliards), les mesures pour l’activité partielle et l’aide aux chômeurs (10 milliards) ainsi que les aides aux hôpitaux (4 milliards) (Dullien et al., 2020). En ce qui concerne les mesures anti-crise supplémentaires pour 2021, l’IMK les évalue à 31 milliards d’euros, qui incluent les dépenses supplémentaires pour l’activité partielle, des exonérations fiscales et les mesures des Länder. Elles s’ajoutent aux dépenses de 28 milliards d’euros reportées du paquet conjoncturel de juin 2020 (Dullien et al., 2020).
Dans les études comparatives, l’évaluation des mesures d’urgence annoncées par l’Allemagne en 2020 varient du simple au double, de 4 à 8 % du PIB. Selon certaines études, les dépenses allemandes seraient les plus faibles, selon d’autres les plus fortes des grands pays de l’UE (France Stratégie, 2021 ; Math, dans ce numéro).
France Stratégie compare les seules mesures en faveur des entreprises [5], en utilisant les données de la Direction générale du Trésor, arrêtées au 21 juin 2021. Estimées en pourcentage du PIB, les mesures budgétaires annoncées par l’Allemagne, qui représentent 115,25 milliards d’euros (3,3 % du PIB), sont les plus faibles de tous les grands pays européens. En revanche, l’Allemagne occupe la première place pour les mesures annoncées en matière de liquidités et de garanties, avec un montant de 957 milliards d’euros (27,7 % du PIB). En Allemagne, 70 % des montants budgétaires annoncés sont des subventions directes, 6 % des exonérations socio-fiscales et 23 % des subventions de l’activité partielle. La part des subventions directes est la plus importante des grands pays, alors que la part destinée à l’activité partielle est la plus faible.
Ce qui distingue l’Allemagne des autres pays est donc la faiblesse relative du montant des subventions de l’activité partielle, un constat confirmé par Drahokoupil et Müller (2021). Au 21 juin 2021, la totalité des subventions allemandes de l’activité partielle, soit 26 milliards d’euros, a été consommée. Avec 0,9 % du PIB, il s’agit de nouveau du montant le plus modeste des grands pays européens. France Stratégie attribue cette faiblesse aux taux de remplacement des salaires plus faibles. Cette explication doit être relativisée, car, comme nous l’avons vu, ces taux ont été progressivement relevés durant la crise. Une explication alternative de cette faiblesse est le recours relativement plus faible à l’activité partielle par les entreprises en raison de la moindre sévérité des restrictions liées à la situation sanitaire (voir supra).
Selon France Stratégie, 44,3 milliards d’euros (1,3 % du PIB) ont été décaissés jusqu’en juin 2021 en autres subventions aux entreprises, soit deux tiers des subventions annoncées ; ce montant est comparable aux autres pays. En ce qui concerne les mesures de liquidités et de garanties, la position de l’Allemagne s’inverse. Estimées en pourcentage du PIB, les mesures annoncées (30 % du PIB) sont les plus importantes des grands pays européens ; mais pour les montants effectivement utilisés (environ 50 milliards d’euros, soit 1,6 % du PIB), l’Allemagne occupe la dernière place.
Le rapport de la Commission européenne, qui porte sur les montants des aides aux entreprises qu’elle a approuvées jusqu’en mars 2021 (cité par France Stratégie, 2021), est une autre manière de mettre en relief la différence entre les montants annoncés et ceux effectivement décaissés. Pour les montants annoncés, l’Allemagne arrive largement en tête avec une somme qui correspond à 46 % de son PIB. En revanche, les montants effectivement décaissés ne représentent que 3 % du PIB, loin dernière les autres grands pays.
En janvier 2021, l’Institut der deutschen Wirtschaft (IW), l’institut de recherche des organisations patronales allemandes, dénonce les retards de décaissement des aides annoncées aux entreprises, qu’il attribue à la lenteur bureaucratique (Bardt, Hüther, 2021). Il ne se satisfait de ces écarts que sur un point : la faiblesse des participations pu-
bliques réalisées en vue de recapitaliser des grandes entreprises en difficulté comme la Lufthansa. Les experts interrogés dans le cadre d’un rapport de mars 2021 sur l’efficacité des mesures (Bonin et al., 2021) partagent les critiques sur les retards des aides. Seules les subventions de l’activité partielle, les aides aux familles et l’abaissement de la TVA ont eu une exécution immédiate. On observe cependant une accélération de la mise en œuvre des mesures tout au long de l’année 2021, comment l’indiquent les chiffres publiés mensuellement par le ministère allemand des Finances [6].
Les mesures gouvernementales ont indéniablement contribué à sauvegarder l’emploi et le niveau de vie de la population. Elles ont toutefois souvent eu comme effet d’aggraver les disparités sociales, notamment entre les hommes et les femmes. Les fermetures des crèches et écoles ont particulièrement pénalisé les femmes, qui ont réduit plus que les hommes leur temps de travail salarié pour s’occuper des enfants, notamment dans les ménages à bas revenus (Fagnani, 2021). Ces inégalités sont aggravées par certaines des mesures gouvernementales. Selon une étude détaillée de 108 mesures pour atténuer socialement la crise, 38 % des mesures ont une utilité directe pour les individus, dont 38 % profitent davantage aux hommes et 41 % profitent équitablement aux deux genres. Seulement 21 % des mesures profitent davantage aux femmes et sont donc susceptibles de rééquilibrer les disparités initiales. De plus, les mesures qui profitent davantage aux hommes disposent d’une plus grande dotation budgétaire, ce qui renforce encore les inégalités (Frey, 2021).
L’apport de la négociation collective : des primes « Corona » aux suppléments pour activité partielle
Les mesures prises par le gouvernement face à la crise sanitaire ont généralement reçu l’assentiment des acteurs sociaux. En mars 2020, la confédération des employeurs Bundesvereinigung der Deutschen Arbeitgeberverbände (BDA) et la confédération syndicale Deutscher Gewerkschaftsbund (DGB) signent une déclaration commune pour signaler leur disposition à surmonter cette crise en partenariat et en coopération avec l’État, comme précédemment dans la crise de 2008-2009, avec le souci de protéger en priorité la santé des citoyens et d’atténuer l’impact économique et social de la crise. Étant donné l’urgence de la situation, il n’y a pas de concertation tripartite au sommet comme en 2008-2009. Dans la deuxième phase de la crise sanitaire, une concertation étroite, mais informelle, se noue cependant. Elle s’établit surtout au niveau des ministères, là où les syndicats disposent d’un accès privilégié à deux ministères-clés dirigés par des sociaux-démocrates : les Finances et le Travail. C’est cependant au niveau des branches et des entreprises que l’apport des acteurs sociaux est le plus important.
La négociation collective et les « primes Corona »
Une fois de plus, le système de négociation collective s’est montré capable de s’adapter à une situation de crise et de contribuer à sécuriser revenus et emploi. Son impact est toutefois diminué par rapport à la crise de 2008-2009, la couverture conventionnelle ayant continué à chuter, pour s’établir à 51 % des salariés. Pendant la crise sanitaire, certaines branches se contentent de signer un avenant de crise à la convention collective en cours, dont la renégociation est reportée. Les mesures pour atténuer les effets sociaux de la crise prennent essentiellement deux formes : des « primes Corona » et des suppléments aux subventions publiques de l’activité partielle. Il faut cependant souligner que ces deux formes ne constituent pas nécessairement une reconnaissance sociale de l’apport de certains travailleurs « essentiels » au fonctionnement de la société. La répartition des bénéficiaires reflète davantage l’état du rapport de forces dans les branches conventionnelles qui ne profite que rarement aux travailleurs à bas salaires, même réputés « essentiels ».
Les primes Corona bénéficient jusqu’en mars 2022 d’une exonération de cotisations sociales et d’impôts jusqu’à 1 500 euros ; il est toutefois interdit de transformer une prime préexistante en prime Corona. De nombreuses entreprises décident de payer une telle prime, parfois par accord avec leurs conseils d’établissement. Chez Daimler et Volkswagen, son montant annuel s’élève à 1 000 euros. Des primes Corona entre 300 et 600 euros sont incorporées dans certaines conventions collectives de branche, comme celles du bâtiment, de la fonction publique et de la Poste. Ver.di, le syndicat des services, négocie plusieurs accords avec des hôpitaux publics et privés pour le versement d’une prime Corona aux soignants. Il négocie également un accord pour une prime Corona de 1 500 euros à destination des soignants des personnes âgées, conditionnée à la réception d’une aide publique correspondante. Le financement de la prime devient un sujet de débat entre le ministère fédéral de la Santé et les caisses d’assurance maladie. En mai 2020, le gouvernement fait adopter une loi prévoyant le versement d’une prime Corona à tous les soignants s’occupant de personnes âgées. Les salariés percevront 1 000 euros maximum, au prorata des heures travaillées. Cette prime est prise en charge par les caisses d’assurance maladie. Les employeurs publics et privés sont invités à ajouter 500 euros supplémentaires.
Dans d’autres branches, moins touchées par la pandémie, les conventions collectives sont renouvelées en 2020, et contiennent de substantielles augmentations salariales générales. Dans l’ensemble toutefois, les salaires conventionnels augmentent en 2020 de seulement 2 %, alors que les augmentations annuelles étaient de 3 % en 2018 et 2019. Pour les conventions collectives renouvelées en 2020, cette augmentation est seulement de 1,5 %. Si l’on prend en compte l’inflation modérée en 2020, la hausse des salaires conventionnels réels reste toutefois comparable aux années précédentes. Elle a ainsi contribué à stabiliser la demande [7].
Les augmentations conventionnelles montrent plus de contrastes entre branches que par le passé. Avec +0,5 %, la métallurgie connaît l’augmentation nominale la plus basse, car les salaires conventionnels sont gelés en mars 2020 par un accord spécial en échange de garanties pour l’emploi liées à la crise sanitaire. La renégociation de la convention collective est reportée à fin 2020 [8]. Beaucoup de conventions collectives prévoient une hausse plus importante pour les bas salaires. Dans la fonction publique, des augmentations particulièrement fortes sont prévues pour les soignants. En règle générale, les augmentations sont plus élevées en Allemagne de l’Est, de façon à obtenir en 2020 un rattrapage de 97,9 % des salaires conventionnels de l’Ouest (Schulten, 2021).
Contrairement à d’autres pays comme la France, le droit de l’activité partielle en Allemagne ne comporte pas de suspension des licenciements. Il est donc compréhensible que les syndicats aient cherché à sécuriser l’emploi par la négociation collective. IG Metall a ainsi cherché à négocier une réduction du temps de travail en échange du renoncement temporaire à des licenciements. Certaines entreprises, notamment Daimler, ZF Friedrichshafen et Bosch, ont accepté d’inscrire des garanties d’emploi dans des avenants à la convention de branche. Ver.di a signé une convention collective d’entreprise pour le personnel au sol de la Lufthansa dans laquelle l’emploi est garanti jusqu’en mars 2022, en échange d’un gel des salaires, d’un renoncement à certaines primes ainsi que d’un abaissement du supplément de la convention de branche pour activité partielle de 90 à 87 %. Un accord similaire est signé avec la filiale Eurowings (Schulten, 2021).
Les suppléments pour activité partielle
Comme lors de la crise de 2008-2009, les employeurs, notamment dans les industries exportatrices, sont particulièrement favorables au dispositif d’activité partielle, car il permet de garder une main-d’œuvre qualifiée et expérimentée en vue d’une reprise économique rapide. Il n’est donc pas surprenant qu’à l’instar de 2008-2009, un grand nombre d’employeurs aient accepté de payer un supplément aux subventions publiques, soit sur la base d’accords avec les syndicats et les conseils d’établissement, soit de façon unilatérale par une modification des contrats individuels. Dans certaines branches, des conventions collectives anciennes ont déjà prévu d’augmenter ces suppléments. Ainsi, la convention-cadre de la chimie garantit 90 % des salaires nets et celle de Volks-
wagen entre 78 et 95 % en fonction du niveau des salaires. Dans la métallurgie du Land Bade-Wurtemberg, une convention collective spéciale sur l’activité partielle de 2012 garantit entre 87 et 97 % des salaires nets. Dans ce dernier cas, les pourcentages peuvent être réduits si l’entreprise renonce aux licenciements pendant la durée du l’activité partielle. Sur ce modèle, d’autres branches signent des conventions collectives spéciales en 2020, notamment les autres régions de la métallurgie, le caoutchouc, le papier, les banques, les assurances, la restauration collective et les municipalités. Ces conventions garantissent entre 75 et 95 % des salaires nets, parfois temporairement 100 %. L’accord de la métallurgie garantit 80 % des salaires nets, en échange d’une réduction des primes annuelles. Cet accord prévoit également des jours de congés supplémentaires pour des salariés qui doivent s’occuper des enfants pendant la fermeture des écoles et crèches. Certaines fédérations d’employeurs refusent cependant de tels suppléments. C’est le cas notamment des branches hôtellerie-
restauration et commerce de détail, pourtant particulièrement frappées par la crise sanitaire et caractérisées par des salaires particulièrement bas [9]. On voit ainsi se dessiner de grandes inégalités. Les salariés avec des bas salaires ont moins de chances d’obtenir un supplément conventionnel que les autres.
Les conseils d’établissement jouent un rôle important dans la mise en place de l’activité partielle. Selon la loi, avant de mettre en place le régime d’activité partielle et demander de bénéficier de la subvention publique, l’employeur doit obtenir l’accord écrit du conseil d’établissement. D’autre part, les subventions ne sont versées qu’une fois que l’entreprise a épuisé toutes les autres possibilités pour éviter le recours au chômage partiel, notamment l’octroi de jours de congé, l’utilisation des droits précédents aux congés payés et des comptes épargne-temps. Sur toutes ces questions, l’accord du conseil d’établissement est également nécessaire. Beaucoup de conseils d’établissement réussissent à négocier des accords qui comportent des suppléments aux subventions publiques, voire aux suppléments de la convention collective de branche. C’est le cas dans la majorité des établissements de la métallurgie.
En juin 2021, 46 % des salariés bénéficient de mesures supplémentaires, avec cependant de grandes disparités qui induisent de nouveau des inégalités entre salariés. Ainsi, dans le secteur financier, 81 % des salariés peuvent toucher un supplément, alors qu’ils sont seulement 33 % dans ce cas dans le commerce de détail ou 28 % dans le secteur sanitaire et social. Les bénéficiaires potentiels sont plus nombreux s’ils travaillent dans un établissement qui applique la convention collective de branche (60 %) ou dispose d’un conseil d’établissement (58 %), alors qu’ils ne sont que 32 % à percevoir un supplément d’indemnité de chômage partiel dans un établissement sans convention collective et 36 % dans ceux sans conseil d’établissement. Dans l’industrie, les différences sont encore plus accentuées : 82 % des salariés couverts par une convention collective peuvent toucher une indemnité supplémentaire, mais seulement 12 % de ceux non couverts. Ces différences se reproduisent lors du deuxième pic d’activité partielle en novembre 2020, en accentuant les différences entre hommes et femmes. Si en juin 2020 la part des femmes qui bénéficient d’un supplément (47 %) est identique celle des hommes (47 %), en novembre 2020, seules 37 % des femmes en bénéficient, contre 48 % des hommes. En novembre 2020, la moitié des bénéficiaires potentiels d’un supplément peuvent toucher jusqu’à 80 % de leur salaire net. 14 % des salariés peuvent même percevoir plus de 90 % de leur salaire net. Il est intéressant de noter que le montant des suppléments est alors plus élevé dans les établissements sans convention collective, mais il ne faut pas oublier que dans ces derniers, seule une minorité peut bénéficier d’un tel supplément (Pusch, Seifert, 2021) [10].
Conclusion
La plupart des mesures gouvernementales ont été décidées en 2020 sur la base de dispositifs préexistants, en améliorant leur accessibilité et le montant des aides (Hanesch, Gerlinger, 2021). Beaucoup ressemblent à celles prises lors de la crise de 2008-2009. C’est le cas notamment de l’amélioration temporaire des indemnités pour activité partielle, de la prime pour enfant et des mesures fiscales pour faciliter les investissements (Dullien, Tober, Truger, 2020). C’est également le cas de l’amélioration des indemnités pour activité partielle par la négociation collective de branche et par des accords d’entreprise. Ce qui est nouveau dans les mesures du gouvernement, ce sont les mesures fiscales visant à stabiliser la demande des ménages ainsi que le souci particulier accordé au soutien à l’activité des indépendants.
La part de l’investissement public est moins importante que dans les programmes conjoncturels de 2008-2009. Comme nous l’avons vu, une part notable des mesures est destinée à accélérer la transition écologique, objectif qui n’apparaissait pas dans les programmes de 2008-2009 (Dullien, Tober, Truger, 2020). Le montant des mesures annoncées, qui correspond à la gravité exceptionnelle de la chute du PIB, est par ailleurs inédit.
La crise sanitaire a contribué à briser deux tabous de l’orthodoxie allemande : l’austérité budgétaire et le refus de l’interventionnisme étatique. L’excédent budgétaire des administrations publiques au sens de Maastricht de 45 milliards d’euros (+1,3 % du PIB) en 2019 s’est transformé en un déficit de 157 milliards (-4,8 % du PIB) en 2020. La dette publique, ramenée à 60 % du PIB en 2019, atteint 68 % du PIB en fin d’année 2020. Le « frein à l’endettement », inscrit dans la Constitution allemande, et les contraintes de Maastricht ont été suspendues provisoirement. La question reste de savoir pour combien de temps encore. La plupart des mesures d’urgence ont un caractère temporaire, mais les besoins d’investissement pour réussir les transitions écologique et numérique sont énormes. Ils constitueront l’un des enjeux de l’orientation du nouveau gouvernement fédéral issu des élections de septembre 2021.
Achevé de rédiger le 23 novembre 2021.
Udo REHFELDT*
Sources :
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Bonin H, Eichhorst W., Krause-Pilatus A., Rinne U. (2021), « Wirksamkeitsanalyse der Corona-Massnahmen, Kurzexpertise », Forschungsbericht, n° 573, BMAS, März, https://bit.ly/3HVtskK.
Destatis (2021), « Dashboard Deutschland – Konjunkturprogramm », August, https://bit.ly/3BEwZQd.
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schemes-europe.
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Dullien S., Herzog-Stein A., Hohlfeld P., Rietzler K., Stephan S., Tober S., Watzka S. (2021a), « Engpässe bei Vorprodukten verzögern Erholung. Prognose der wirtschaftlichen Entwicklung », IMK Report, n° 171, September, https://www.imk-boeckler.de/de/faust-detail.htm%3Fsync_id=HBS-008132.
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Rehfeldt U. (2016), « Le modèle allemand du dialogue social et son renouveau dans la crise », in Lapointe P.-A. (dir.), Dialogue social, relations du travail et syndicalisme. Perspectives historiques et internationales, Québec, Presses de l’Université de Laval, p. 91‑122, https://bit.ly/3q3weOt.
Schulten T. (2021), Tarifpolitischer Jahresbericht 2020: Tarifpolitik unter den Bedingungen der Corona-Pandemie, WSI-Tarifarchiv, März, https://bit.ly/3weD19l.
[1]. Pour inciter davantage au télétravail, les mesures d’hygiène et de distanciation sont renforcées en entreprise. Ainsi, dans les bureaux partagés, les salariés doivent avoir chacun un espace d’au moins 10 m2.
[2]. En reprenant une demande des syndicats, le ministre du Travail avait initialement rédigé un projet de loi qui allait plus loin et prévoyait un droit des salariés à 24 jours de télétravail par an, avec la possibilité de négocier davantage par un accord de branche ou d’entreprise. Finalement ce projet a échoué en raison de l’opposition conjointe des organisations patronales, du ministre de l’Économie et du parti libéral.
[3]. Galasso et Foucault (2020) donnent pour mi-avril 2020 un taux de télétravail légèrement plus élevé de 31 % et un taux de présence sur les lieux de travail de 49 % (le reste des salariés étant en situation de chômage ou chômage partiel). Ce taux de télétravail est le moins élevé de tous les pays analysés par eux. Ceci est certainement l’effet du poids des ouvriers de l’industrie en Allemagne, pour lesquels le télétravail est généralement impossible à mettre en œuvre. Le taux de télétravail est nettement plus élevé chez les cols blancs, mais reste toujours moins élevé que dans les autres pays. Seuls les salariés diplômés, généralement des cadres, ont un taux de présence très élevé et un taux de télétravail faible, comparé aux cadres des autres pays.
[4]. La KfW (littéralement « Etablissement de crédit pour la reconstruction ») a été fondée en 1948 pour financer la reconstruction de l’économie allemande en utilisant l’argent du Plan Marshall.
[5]. France Stratégie a donc retiré les mesures de soutien à la demande (soutien au revenu des ménages, stimulation de la consommation, dépenses de santé, etc.). Celles-ci ne représenteraient partout qu’une part faible de l’ensemble des mesures, qui n’est cependant pas chiffrée dans le rapport.
[6]. Pour le suivi du décaissement des subventions et crédits au titre des programmes conjoncturels, voir le site web régulièrement mis à jour de l’Office fédéral de la statistique (Destatis, 2021), qui comporte un renvoi au site web du ministère des Finances pour le suivi détaillé des différents programmes.
[7]. Les salaires horaires ont augmenté de 3 %, mais en raison de la réduction du temps de travail, les salaires annuels ont connu pour la première fois une baisse de 0,3 %.
[8]. Cette renégociation est difficile car les employeurs demandent une prolongation du gel et des baisses automatiques de salaires en fonction des résultats des entreprises. Commencée en décembre 2020, elle ne peut aboutir qu’en mars 2021, après des grèves d’avertissement difficiles à organiser en raison de la pandémie. Les employeurs concèdent des augmentations salariales modestes de 2,3 % (comparées aux 4,3 % de la convention de 2018). En revanche, le syndicat IG Metall obtient une série de primes, dont une « prime Corona » de 500 euros payée en juin 2021 et une « prime de transformation » payable annuellement à partir de 2022. Dans les entreprises en difficulté, cette dernière peut être offerte sous forme de temps libre. En combinant cette prime avec d’autres mesures, elle peut permettre d’introduire la semaine de 4 jours sans perte de salaire. L’accord fixe aussi le cadre pour négocier des « conventions collectives d’avenir » dans l’ensemble des entreprises et pas seulement, comme maintenant, dans les entreprises en difficulté. Ces conventions doivent fixer conjointement les objectifs de l’entreprise à long terme, y compris sur les investissements ainsi que sur les choix des produits et des sites de production.
[9]. Seule une convention collective régionale du commerce garantissait ces suppléments, mais seulement jusqu’à fin juin 2020.
[10]. Cette analyse des suppléments ne porte que sur les droits des salariés à un supplément au cas où ils seraient touchés par une mise en activité partielle. Le calcul du montant de ce supplément dépend donc du moment et de la durée de l’activité partielle en comparant les barèmes publics et conventionnels (ou volontaires) alors en vigueur. On a cependant une idée de l’importance de ces suppléments si l’on sait qu’en novembre 2020, 48 % des travailleurs en activité partielle sans supplément déclaraient avoir eu besoin de recourir à leurs économies, mais seulement 40 % s’ils bénéficiaient d’un tel supplément.