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N°176. Numéro spécial : Des mesures inédites face à la crise liée au Covid-19 : le grand retour de l’État (jan 2022)
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Italie .Du gel des licenciements au plan de relance européen

Cristina NIZZOLI

En raison de son ampleur et de ses spécificités, la crise due au Covid-19 a suscité des réponses variées de la part des pouvoirs publics. Dans cet article, on revient sur la mise en œuvre de mesures temporaires souvent inédites (élargissement des amortisseurs sociaux, gel des licenciements, etc.), ainsi que sur le plan de relance et les réformes qui se préparent à partir de 2022. De même, on traite des enjeux posés par cette crise sanitaire sans précédent au système de relations professionnelles italien.

Mots-clés : Italie, Covid-19, amortisseurs sociaux, interdiction des licenciements, plan de relance européen.

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En Europe, l’Italie est l’un des premiers pays touchés par la pandémie de Covid-19 aussi bien en termes de décès qu’au plan économique. En 2020, l’économie italienne enregistre une contraction du PIB de 8,9 %, la plus importante depuis la seconde guerre mondiale. Néanmoins, au deuxième trimestre 2021, la progression du PIB s’établit à 2,7 %, ce qui conduit le gouvernement italien, qui avait initialement prévu une progression de 2 %, à tabler sur une croissance de plus de 5 % à la fin de l’année 2021.

Ici comme ailleurs, les périodes de confinement (du 9 mars au 18 mai 2020 et à nouveau au mois de novembre 2020), accompagnées d’une fermeture totale des écoles durant 13 semaines, affectent fortement la consommation, qui baisse de 10,7 % en 2020, ainsi que les exportations, bien que ces dernières reviennent à leur niveau pré-pandémique dès les derniers mois de l’année 2020. De manière générale, l’importante baisse du PIB résulte d’un effet de composition : les secteurs des services, les plus touchés par les différentes périodes de confinement, en sont une composante relativement importante. Le secteur du tourisme est particulièrement affecté, avec un nombre de touristes étrangers en baisse de 60 % en 2020 par rapport à 2019 (Banca d’Italia, 2021).

La production industrielle diminue quant à elle de 44 % au mois d’avril 2020 par rapport au mois de février de la même année et connaît un déclin de 11,4 % sur toute l’année 2020, selon l’Institut national de statistique (Istat, 2020). Les secteurs les plus affectés sont le textile, la production d’objets en gomme et matières plastiques, ainsi que ceux destinés à la fabrication des moyens de transports. Dans le bâtiment, l’indice de production chute au mois d’avril 2020 de plus de 50 % par rapport au mois de février de la même année (niveau égal à un tiers de celui atteint en 2019). Toujours selon l’Istat, environ 5,6 millions de personnes (9,4 % de la population italienne) vivent en 2020 dans des conditions de pauvreté absolue (encadré). Le nombre de ménages pauvres augmente ainsi de 335 000 par rapport à 2019 pour atteindre environ 2 millions en 2020, et, phénomène nouveau, concerne pour les deux tiers des familles résidant dans le nord de l’Italie. D’après l’OCDE (2021), la diminution de l’activité provoque une contraction des heures travaillées de 13 % en 2020. Le taux de chômage passe de 10 à 9,3 % entre 2019 et 2020 sous l’effet d’une réduction de 3,4 % du taux d’activité. Les travailleurs les plus touchés par cette baisse sont les indépendants, les femmes et les jeunes (15-34 ans), qui sont aussi celles et ceux qui ont le plus souvent un emploi précaire.

Face à l’ampleur de cette crise, les pouvoirs publics prennent dès 2020 des mesures de soutien à l’économie, parfois inédites mais pour la plupart temporaires. Le gouvernement italien organise ainsi des transferts publics et met en place des allocations sociales temporaires permettant de freiner la chute des revenus des ménages (-2,6 %), de moindre ampleur que celle du PIB. Le déficit public passe en conséquence de 1,6 à 9,5 % du PIB entre 2019 et 2020 (Banca d’Italia, 2021). Ces mesures sont prolongées par la loi de budget de 2021 qui prévoit pour la première fois, sous forme expérimentale, une indemnité extraordinaire en faveur des travailleurs indépendants, non éligibles aux allocations chômage existantes.

Nous retraçons l’ensemble de ces mesures dans la première partie de cet article avec l’objectif d’en saisir les modalités de mise en œuvre, les enjeux et les débats suscités. Parmi les dispositifs adoptés, le gel ou interdiction des licenciements représente la mesure inédite la plus frappante et, on le verra, la plus débattue. On aborde ensuite les lignes principales du plan de relance pour conclure sur le positionnement et le rôle joué par les organisations syndicales ainsi que les enjeux pour le système de relations professionnelles dans cette crise sanitaire sans précédent.

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Des mesures d’urgence adoptées dès le début de la crise

L’état d’urgence sanitaire autorise le gouvernement à édicter six décrets-lois entre les mois de mars et novembre 2020 : « Cura Italia », « Liquidità », « Rilancio », « Agosto », « Ristorazione » et « Sostegni » (tableau 1). Les mesures d’urgence qu’ils contiennent entraînent une dépense que le ministère de l’Économie estime à 140 milliards d’euros en 2020 (8,5 % du PIB), grâce à des rallonges budgétaires rendues possibles par la suspension du pacte de stabilité de l’Union européenne. L’OCDE (2021) évalue quant à elle ces dépenses à 108 milliards d’euros (6,6 % du PIB en 2020) et à 72 milliards d’euros pour 2021 (4,1 % du PIB). Un récapitulatif des principales mesures annoncées par le gouvernement (dont il est difficile d’évaluer à ce stade la mise en œuvre concrète et les effets) peut ainsi être dressé à partir de quatre grands domaines d’intervention : le soutien aux entreprises et aux travailleurs indépendants, le soutien à l’emploi, le soutien aux ménages et enfin, celui destiné au secteur de la santé, au cœur de la crise sanitaire.

Le soutien aux entreprises et aux travailleurs indépendants

Les aides aux entreprises prennent la forme assez classique de prêts garantis par l’État (à hauteur de 500 milliards d’euros) et d’accès facilité à des liquidités et au crédit, notamment en faveur des PME et des entreprises exportatrices. Une aide renforcée est consacrée aux entreprises du sud de l’Italie (Mezzogiorno), une région particulièrement affectée par le chômage. Le décret « Cura » introduit une indemnité Covid-19 pour différentes catégories de travailleurs particulièrement affectés par la pandémie, dont les travailleurs indépendants. Le décret « Rilancio » reconduit cette indemnité mensuelle mise en place en mars pour les deux mois suivants [1]. Il accorde aussi la possibilité aux entreprises de déclarer des travailleurs sans-papiers afin de les régulariser, même si c’est toujours de manière temporaire (tableau 1).

tableau1


Un soutien à l’emploi, fondé principalement sur une extension 
des dispositifs existants d’indemnisation du chômage et du chômage partiel

Les mesures de soutien à l’emploi passent par une extension de quatre mois de la durée des allocations chômage ordinaires existantes, la Nuova Assicurazione Sociale per l’Impiego (NASpI) pour les salariés et le DIS-COLL pour les travailleurs para-subordonnés [2]. Mais elles passent surtout par une extension de la durée et du champ des bénéficiaires de la cassa integrazione guadagni (CIG), un dispositif d’indemnisation prévu en cas de suspension temporaire de l’activité ou de réduction des heures travaillées (tableau 2). La CIG se décline en trois dispositifs : la cassa integrazione guadagni ordinaria (CIGO), qui prévoit une indemnisation des travailleurs confrontés à une dégradation temporaire de l’activité ou d’évènements temporaires non imputables à l’employeur ou aux travailleurs ; la cassa integrazione guadagni straordinaria (CIGS) pour ceux confrontés à une restructuration, réorganisation, reconversion d’entreprise, crise économique, faillite, liquidation judiciaire, fermeture administrative et autres cas de cessation d’activité ; et enfin la cassa integrazione guadagni in deroga (CIGD), pour les situations exceptionnelles de crises commerciales causées par des perturbations temporaires du marché, de restructurations ou de réorganisations. Alors que le nombre d’heures travaillées chute de 13 % en 2020, 7,2 millions de travailleurs bénéficient d’un de ces dispositifs entre mars 2020 et février 2021 selon l’OCDE (2021). Le champ des bénéficiaires de la CIGO, de la CGIS et de la CIGD est étendu à tous les salariés et à tous les secteurs, pour les deux premières, y compris dans les entreprises de 5 à 15 salariés et pour la troisième, y compris dans les entreprises de moins de 5 salariés. Le montant de l’indemnité s’élève à 80 % du salaire brut de référence au titre des heures chômées dans la limite de 40 heures par semaine, plafonnée toutefois à 939,89 euros/mois pour les salaires inférieurs à 2 159,48 euros et à 1 129,66 euros/mois pour ceux supérieurs à 2 159,48 euros.

tableau2

Une des mesures les plus retentissantes concerne toutefois le gel des licenciements, établi d’abord pour une durée de 5 mois puis plusieurs fois prolongé (voir infra).

Un soutien prononcé aux ménages

Parmi les mesures inédites, il faut mentionner le revenu d’urgence, introduit par le décret « Rilancio » du 19 mai 2020. Il prévoit deux allocations entre 400 et 800 euros aux ménages en difficulté à cause de la pandémie, selon le nombre de membres du foyer, et est prolongé à plusieurs reprises (tableau 3). D’après l’INPS (2021), ce nouveau dispositif aurait bénéficié à 1,6 million de ménages et à 3,7 millions d’individus en 2020. Le montant moyen de l’aide s’établit à 567 euros.

tableau3

Le revenu de citoyenneté (Reditto di cittadinanza), un dispositif sous condition de ressources adopté en 2019 pour accorder un revenu de base aux plus démunis en vue de leur réinsertion dans l’emploi (Di Ruzza, 2020), est augmenté et ses conditions d’éligibilité assouplies par le décret Rilancio. Dans son rapport annuel, l’INPS (2021) souligne que ce dispositif aurait permis de réduire le niveau de pauvreté de la partie la plus indigente de la population durant la pandémie, ayant profité jusqu’à 1,2 million de ménages en septembre 2020 (contre 944 000 en février 2020), qui ont perçu en moyenne 548 euros par mois. Le dispositif aurait cependant eu peu d’effets sur l’entrée de ses bénéficiaires sur le marché du travail selon l’OCDE (2021). L’aide aux parents recourant à des services de baby sitting aurait bénéficié à 784 700 individus en 2020, tandis que plus de 300 000 ménages auraient eu recours au congé parental (INPS, 2021). Dans les deux cas, la majorité des bénéficiaires de ces deux dispositifs résident dans le nord de l’Italie. Enfin, une aide au logement est attribuée sous plusieurs formes. Pour la première fois est introduit un moratoire temporaire sur les expulsions. Une aide aux locataires à bas revenu qui passe par les municipalités est en outre renforcée par une loi de juillet 2020. Une aide aux primo-accédants à la propriété est octroyée au travers d’une augmentation du Fonds de solidarité créé à cet effet en 2007 et d’un élargissement de son accès aux travailleurs victimes de chômage (partiel ou total) et aux travailleurs indépendants.

Des mesures d’aide d’urgence ciblées sur le secteur de la « santé »

Ce sont les premières mesures qui sont prises, compte tenu de la soudaineté et de la gravité de la crise sanitaire qui s’abat sur le nord de l’Italie (Lombardie en premier lieu) et qui conduit le gouvernement à décréter « l’état d’urgence sanitaire » le 31 janvier 2020. Le décret Cura Italia permet ainsi l’arrivée d’équipements de protection individuelle et de personnel dans les hôpitaux des zones les plus touchées, met en place des unités spéciales de continuité des soins chargés d’identifier et de suivre les cas de 
Covid-19. Il accorde aussi une aide financière au système national de santé par l’intermédiaire des régions (tableau 4), qui compense en partie une décennie de coupes budgétaires (Tognetti-Bordogna et al., 2020).

tableau4

En dehors de ces mesures, la loi de budget pour 2021 prévoit la possibilité de couvrir de manière structurelle les travailleurs indépendants qui remplissent certaines conditions à travers une forme de chômage partiel spécifique nommée Indemnité extraordinaire de continuité de revenu et d’opérativité (ISCRO). Les critères pour l’attribution, qui demeurent flous, font varier le montant de cette indemnité entre 250 et 800 euros. Le délai pour en faire la demande se terminait au 31 octobre 2021 et l’indemnité est prévue pour 3 ans, soit les années 2021, 2022, 2023 [3].

Nombreuses et très détaillées, ces mesures demeurent néanmoins difficiles à analyser du point de vue de leur mise en œuvre concrète et de leurs effets. Combien de personnes sont-elles touchées ? Quels sont leurs statuts ? Il convient en revanche d’insister sur le caractère temporaire de ces dispositifs (souvent renouvelés au fur et à mesure de l’adoption des décrets) et « morcelé » (ils changent souvent de contenu et ne sont pas intégrés à un plan d’intervention plus général).

Le gel des licenciements, la mesure du désaccord

Parmi les mesures citées jusqu’ici, celle qui attire le plus l’attention de l’opinion publique concerne le gel des licenciements. Décidée par le gouvernement dès le début de la crise sanitaire, elle est renouvelée à plusieurs reprises. Le décret « Cura Italia » est le texte qui, au mois de mars 2020, l’introduit pour la première fois et pour une durée initiale de 5 mois (tableau 2). Il prévoit :

- le verrouillage du lancement des procédures de licenciement collectif et la suspension des procédures en cours débutées après le 23 février 2020 ;

- l’interdiction du licenciement pour un « motif objectif justifié [4] » indépendamment du nombre de salariés de l’entreprise ;

- le gel ne s’applique pas aux licenciements intervenus en cas de fermeture définitive de l’entreprise.

Avec le décret « Agosto » (2020), l’interdiction des licenciements est prolongée. Les entreprises concernées sont alors couvertes par le dispositif de chômage partiel (CIG) et par le système d’exonération des cotisations. Le dispositif classique de chômage partiel est prolongé pour une durée pouvant aller jusqu’à 18 semaines, avec pour condition que les entreprises ne licencient pas. Selon le type d’amortisseur social, les entreprises se réfèrent aux règles générales qui tiennent compte du secteur d’activité et du nombre de salariés : le chômage partiel ordinaire (CIGO) est accordé aux entreprises industrielles ; le Fonds de complément salarial (FIS) concerne les entreprises commerciales qui emploient entre 5 et 50 salariés et le chômage partiel extraordinaire (CIGD) est accordé aux entreprises qui n’ont pas accès aux autres amortisseurs sociaux.

Cette mesure de gel des licenciements, bien que prorogée systématiquement, ne cesse de changer de contenu ; de manière générale, on ne peut que souligner la complexité des normes régissant la fin de son application. Ainsi, cette mesure prend fin le 1er juillet pour les entreprises qui bénéficient de la CIG (chômage technique et partiel financé par les cotisations sociales), soit l’agriculture et l’industrie, alors que les entre-
prises ayant profité de la CIGD (chômage technique et partiel exceptionnel) sont dans l’obligation de l’appliquer jusqu’au 1er novembre 2021 [5].

Mi-octobre 2021, un nouveau décret du gouvernement proroge la CIG de 13 semaines pour les entreprises des services et du secteur de la mode-textile.

Le gel des licenciements fait l’objet de protestations essentiellement de la part des organisations patronales (Confindustria, etc.), ce qui ne manque pas d’engendrer des critiques de la part des organisations syndicales (voir infra) et des tensions au sein de la majorité gouvernementale. Le Mouvement 5 Étoiles (M5S), majoritaire au sein du gouvernement dirigé par Mario Draghi, plaide pour la prolongation de la mesure indépendamment des secteurs concernés ; le chef de la Ligue, Matteo Salvini, s’y oppose en soutenant les entreprises et leur « liberté d’embauche ». Le ministre du Travail (Parti démocratique, centre-gauche) évoque quant à lui la possibilité d’une prolongation pour ensuite céder face aux pressions du patronat.

Il est intéressant de souligner que la Commission européenne s’exprime sur l’interdiction des licenciements en mettant en avant son caractère discriminatoire, en raison du fait qu’elle tend à protéger les salariés en CDI au détriment des travailleurs précaires [6]. Toujours d’après l’organe exécutif de l’UE, les mesures les plus efficaces de ce point de vue ont été celles des pays ayant procuré un soutien financier aux personnes dont les heures de travail ont été réduites en raison des difficultés de l’entreprise [7]. Des positions qui lui valent la critique des syndicats italiens. Ainsi, d’après le secrétaire de la Confederazione Italiana Sindacati Lavoratori (CISL, Confédération internationale des syndicats de travailleurs), l’UE « ne connaît pas la réalité de notre pays – nous risquons de subir une avalanche de licenciements [8]. » 

Un plan de relance européen en échange de réformes structurelles

Si les mesures présentées jusqu’ici sont avant tout des mesures d’urgence mises en place pour freiner les effets de la crise sur une période relativement courte, l’année 2021 inaugure une nouvelle phase de politique publique, celle d’une perspective de plus long terme. Dans un tel contexte, l’événement majeur pour l’Italie concerne l’approbation par la Commission européenne, le 22 juin 2021, du plan de relance. D’après ce plan, l’Italie devrait obtenir au total 191,5 milliards d’euros (11,6 % du PIB 2020), dont 68,9 milliards de subventions et 122,6 milliards de prêts (13 % des prêts ont déjà été versés en août 2021). À ces montants, il faut ajouter un fonds national de 30 milliards d’euros, ce qui fait de l’Italie le principal bénéficiaire du plan européen « Next Generation EU » [9]. Le Premier ministre, Mario Draghi, s’est engagé auprès de Bruxelles à dépenser ces ressources sur la base de projets précis. Les six missions principales du plan de relance concernent des domaines tels que : la « numérisation, [l’]innovation, [la] compétitivité et [la] culture » (21 % des ressources) ; la « révolution verte et la transition écologique » (30 %) ; les « infrastructures pour une mobilité durable » et l’« inclusion et [la] cohésion » (13 %) ; l’« instruction et la recherche » (14 %), la « santé » (9 %). Mais c’est surtout sur les modalités de mise en œuvre que l’Italie s’est engagée à être rigoureuse. De ce fait, le plan s’articule autour de trois niveaux administratifs dont le plus important est le bureau du Premier ministre, censé superviser la mise en œuvre des différents projets. Le contrôle sera effectué par la direction du Budget du ministère des Finances, tandis que la réalisation sera confiée aux ministères compétents. Un rapport devra être soumis au Parlement et à la Cour des comptes tous les six mois. Mais pour convaincre l’UE, l’Italie s’est aussi engagée à mener des réformes structurelles dont, d’après Mario Draghi, dépendent « notre avenir et notre crédibilité [10]. » Les réformes visent la fiscalité, la justice et surtout l’administration publique dont les membres du gouvernement mettent en avant la nécessité de « rajeunir » les rangs en ouvrant des postes au concours, sans que ces postes, ni leur statut d’emploi, soient clairement précisés. L’embauche de ce nouveau personnel, jeune, « spécialisé dans le green » et « dans la gestion de projets européens » est présentée comme la clé de voûte de la transformation de la fonction publique, elle-même garantie indispensable pour l’obtention des prêts de l’UE.

Les syndicats italiens, des acteurs incontournables lors de la pandémie

C’est au tout début de la crise sanitaire, le 14 mars 2020, que le premier protocole sur les manières de contenir la diffusion du virus dans les lieux de travail est signé par le patronat et les syndicats confédéraux, la Confederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL, Confédération générale italienne du travail), la CISL et l’Unione Italiana del Lavoro (UIL, Union italienne du travail). Un protocole contesté par une partie de la base de la CGIL, favorable à la fermeture de tous les lieux de travail, mais qui permet aux confédérations italiennes de s’imposer en tant qu’interlocuteurs clefs du gouvernement. Dans un tel contexte, les confédérations italiennes revendiquent dès le début l’élargissement des amortisseurs sociaux à l’ensemble des travailleurs, ainsi que leur rôle de représentants des travailleurs dans les négociations ouvertes par le gouvernement [11].

Deux cas emblématiques peuvent être cités : le gel des licenciements et la réforme de l’administration publique préalable à l’obtention des prêts du plan de relance européen.

Concernant le gel des licenciements, depuis le début, la CGIL, la CISL et l’UIL prônent le renouvellement systématique de cette mesure pendant la période épidémique. Dans ce contexte, au mois de juin 2021, un accord est signé, dans lequel les entreprises s’engagent à recourir à l’ensemble des amortisseurs sociaux en vigueur avant d’appliquer des procédures de licenciement ; une table de confrontation permanente, où siègent les organisations syndicales, est aussi ouverte pour surveiller l’évolution de l’emploi dans les mois de reprise de l’activité économique (2e semestre 2021). Néanmoins, la consultation avec les organisations syndicales a lieu lors de la phase de mise en application des mesures et non pas en amont, ce que les organisations syndicales ne manquent pas de souligner, voire de contester (Belletti, Norbiato, 2021).

Enfin, au mois de mars 2021, un « pacte pour l’innovation du travail dans la fonction publique et la cohésion sociale » est signé par les confédérations et le gouvernement. L’enjeu de cet accord est double. D’un côté, il marque l’acceptation de la part des organisations syndicales de la réforme de l’administration publique telle qu’elle est inscrite dans le plan de relance (voir supra), tout en les mettant dans une position favorable pour négocier le renouvellement tant attendu de la convention collective de la fonction publique.

Mais l’activité syndicale se manifeste aussi au plan local, par de nombreux accords signés dans les entreprises dès le mois de mars 2020. Des accords dont l’objectif est d’accélérer les procédures liées au chômage partiel à un moment où les mesures d’urgence n’ont pas encore été mises en place (voir supra). Sans aborder de manière détaillée l’ensemble de ces accords, il s’agit ici de donner un bref aperçu des thématiques récurrentes. La gestion du temps de travail apparaît comme un élément central, avec beaucoup d’accords qui visent à introduire et à organiser le télétravail. Comme prévu par les protocoles du mois de mars et avril, des comités paritaires avec des représentants des entreprises et des travailleurs se constituent afin de mettre en œuvre la supervision des mesures sanitaires liées au Covid-19 dans les lieux de travail. La simple constitution de ces comités est parfois entravée par les employeurs, comme dans le cas de certains entrepôts d’Amazon. D’après une étude conjointe de la CGIL et de la Fondation Di Vittorio sur un échantillon de 326 accords [12], les thématiques abordées sont avant tout liées aux relations professionnelles (65 %) et en particulier à l’institution de comités paritaires. La thématique de la santé et de la sécurité est aussi très présente (53,4 % des textes) ; l’organisation du travail est abordée dans 44,2 % des accords et elle est fortement liée à celle des horaires de travail et du télétravail (34 %). Moins d’un quart des accords sélectionnés fait référence aux amortisseurs sociaux [13].

Conclusion

En raison de son ampleur et de ses spécificités, la crise due au Covid-19 a suscité des réponses variées et parfois inédites de la part des pouvoirs publics. Deux catégories de mesures peuvent être identifiées. Une première catégorie concerne les mesures d’urgence, visant à court terme à freiner les impacts des périodes de confinement sur l’économie et sur l’emploi. L’élargissement des amortisseurs sociaux, la généralisation du télétravail, ainsi que le gel des licenciements font partie de ces mesures. La deuxième catégorie concerne en revanche tout ce qui se projette à plus long terme, comme le plan de relance et les réformes qui se préparent à partir de 2022.

De manière générale, les spécificités de cette crise (à la fois sanitaire, économique et sociale) en font un révélateur essentiel pour la compréhension d’au moins deux dynamiques qui ont trait au travail et à la sphère syndicale. Sur le premier aspect, la période pandémique a indéniablement bouleversé le rapport au travail des travailleurs et travailleuses. Que ce soit le télétravail, pour les secteurs qui pouvaient le mettre en place, ou tout ce qui relève de l’organisation et de la santé au travail pour les secteurs dits essentiels, la pandémie marque un tournant dans les réflexions autours de l’activité de travail. Le temps de travail et son organisation lors des différentes périodes de confinement ont mis en lumière les disparités de genre, alors que les travailleurs dits essentiels ont connu, même brièvement, une forme de reconnaissance de leur « sale boulot ».

Dans un tel contexte, les organisations syndicales ont eu la possibilité de réinvestir leur rôle de représentant des travailleurs. Nous l’avons vu, elles ont été des acteurs, dès le début de la crise, du processus de négociation tant au niveau national qu’au niveau des entreprises. C’est ici qu’ont été négociés la mise en place des amortisseurs sociaux ou encore les modalités de mise en place du télétravail. Dans le futur, il reste à savoir si les organisations syndicales sauront se saisir de cette opportunité pour redessiner leur rôle en portant des positions partagées sur le travail et ses différentes composantes, sans rester cantonnées aux seules questions de protection de l’emploi.

Achevé de rédiger le 18 novembre 2021.

Cristina NIZZOLI*

Sources :

Banca d’Italia (2021), Relazione annuale, anno 2020, Roma, 31 maggio, https://bit.ly/3CodNrl.

Belletti C.; Norbiato R. (2021), « Country chapter Italy », in Spasova S., Ghailani D., Sabato S., Vanhercke B. (eds.), Social Protection of Non-standard Workers and the Self-employed during the Pandemic, Brussels, ETUI/Ose, p. 53-62, https://bit.ly/310iI3G.

CGIL/Fondazione Di Vittorio (FDV) (2021), La contrattazione di secondo livello al tempo del covid-19, febbraio, https://bit.ly/3BoTsAP.

Di Ruzza A. (2020), « Italie : revenu de citoyenneté : la montagne accouche d’une souris », Chronique internationale de l’IRES, n° 169-170, mars-juin, p. 41-51, http://bit.ly/3v9naru.

INPS (2021), L’innovazione dell INPS per il rilancio del paese, XX, Rapporto annuale, luglio https://bit.ly/3oEhWl6.

Istat (2020), Rapporto annuale 2020. La situazione del Paese, 3 Iuglio, https://bit.ly/3BneS18.

Jessoula M., Pavolini E., Raitano M., Natili M. (2021), Social Protection and Inclusion Policy Responses to the COVID-19 Crisis: Italy, European social policy network (ESPN), European Commission, https://bit.ly/31ZNYAi.

OCDE (2021), Studi economici dell’OCSA: Italia 2021, 6 settembre, https://bit.ly/3Gy5oUo.

Tognetti-Bordogna M., Polillo B. R., Mallet J.-O. (2020), « Italie : après le choc initial, des ressources renouvelées pour le système sanitaire, en attendant une réforme plus ambitieuse », n° spécial, « Les mobilisations sanitaires des États et de l’Union européenne face à la première vague de Covid-19 », Chronique internationale de l’IRES, n° 171, septembre, p. 154-171, https://bit.ly/3be4u2j.

 

*Chercheure à l’Ires.

[1]. L’indemnité de 600 euros est introduite au mois de mars, et prolongée pour les mois d’avril et mai 2020. Elle est reconduite au fur à mesure des décrets-lois. Il est difficile de connaître sa durée précise (pendant combien de mois exactement est-elle versée ?) et de rendre compte de manière détaillée de son impact sur les indépendants.

[2]. La NASpI accorde une indemnité chômage aux salariés ayant été licenciés ou arrivant au terme de leur contrat de travail, après avoir cotisé au moins trois semaines au cours des quatre dernières années et 30 jours au cours des 12 mois précédant le chômage. Cette indemnité est égale à 75 % du salaire brut de référence, plafonnée à 1 335 euros par mois. Sa durée est égale à la moitié du nombre de semaines de cotisations qui ont été versées au cours des quatre dernières années. Le DIS-COLL est une indemnité chômage pour les travailleurs sous contrat d’emploi atypique et les travailleurs indépendants inscrits auprès de leur régime de retraite spécifique. Elle est calculée sur la même base que la NASpI mais pendant une durée équivalente à la moitié du nombre de semaines de cotisations payées au cours de la dernière année d’exercice.

[3]. Pour plus d’information, consulter le site de l’INPS : https://bit.ly/3noL3cT.

[4]. Le régime de l’équivalent du licenciement économique résulte, en Italie, de la loi n° 604 du 15 juillet 1966 et de la loi n° 223 du 23 juillet 1991 portant diverses dispositions en matière d’emploi et de travail. Concernant le licenciement individuel, l’article 3 de la loi n° 604 dispose que relève du licenciement « pour motif objectif justifié » (per giustificato motivo aggettivo) celui opéré du fait de « raisons inhérentes à l’activité productive, à l’organisation du travail et au fonctionnement régulier de celle-ci » : https://www.senat.fr/lc/lc273/lc2733.html.

[5]. H. Martinelli, « Italie : le gouvernement fait machine arrière sur la prolongation du gel des licenciements », Planet Labor, n° 12558, 4 juin 2021.

[6].    H. Martinelli, ibid. Pour consulter le texte de l’UE, voir : https://bit.ly/3CkT5rf.

[7].    P. Bérastégui, « L’Italie met fin à l’interdiction de licencier imposée en raison du coronavirus », ETUI, 21 juin 2021, https://bit.ly/3vTnds7.

[8].    D. Lettig, « Italy’s trade unions blast Commission’s criticism of pandemic layoff freezes », Euractiv, June 4, 2021, https://bit.ly/3GuFAsr ; R. Amato, « Sbarra (Cisl): “Sul blocco dei licenziamenti l'Europa sbaglia, va prolungato fino a ottobre” », La Repubblica, 3 giugno 2021, https://bit.ly/3mm8bIo.

[9].    O. Tosseri, « L’Italie accède enfin au plan de relance européen », Les Échos, 13 août 2021, https://bit.ly/3vQE3bc.

[10].   O. Tosseri, « Italie : le plan de la dernière chance », Les Échos, 26 avril 2021, https://bit.ly/3jKoTzD.

[11].   Le 24 avril 2020, un deuxième protocole est signé. Convertis en loi, ces deux protocoles deviennent une référence pour les négociations qui auront lieu au niveau des entreprises pendant toute la période de crise sanitaire.

[12].   Parmi les 326 « accords Covid-19 » de l’échantillon (signés entre mars et décembre 2020), 215 sont des accords d’entreprise et 111 sont des protocoles territoriaux (CGIL/Fondazione Di Vittorio, 2021).

[13].   Même s’il y a un biais dans la construction de l’échantillon puisque les accords ont été choisi pour éviter que ceux concernant les amortisseurs sociaux soient surreprésentés.