Notre article a pour objectif d’analyser les principaux développements en matière de conciliation vie familiale-vie professionnelle en Bulgarie après le début de la crise financière et économique en 2008. En Europe occidentale, cette crise a remis en cause certains dispositifs et financements publics existant dans ce domaine (Thévenon et al., 2014 ; Eydoux et al., 2014 ; Karamessini, Rubery, 2013).
Dans ce contexte, et pour comprendre le cas bulgare, il convient de mettre en lumière la situation des pays de la « Nouvelle Europe » qui ont traversé une transition marquée par des réformes économiques et sociales structurelles où l’accent était mis sur des mesures d’austérité (à l’exception de la Slovénie). Durant cette période, le problème principal consiste à redresser les indicateurs économiques et créer des emplois sans différenciation de genre, le travail à temps plein pour les deux sexes étant la norme. Les débats publics liés aux politiques familiales concernent principalement la détérioration de la situation démographique et l’efficacité économique et l’amélioration de la compétitivité primaient (Kovacheva, 2010). La première décennie de la transition est marquée par la désinstitutionnalisation des structures d’aide à l’enfance, très développées pendant les régimes communistes (Burri, 2010). Cette situation n’est pas due qu’à la baisse de la natalité mais aussi au processus de privatisation des établissements publics (Kovacheva, 2010).
La situation démographique en Bulgarie pendant les premières années de la transition ne cesse de se détériorer pour arriver à un taux d’accroissement naturel négatif de -7 ‰ en 1997. Le coefficient net de migration est le plus important de tout le bloc de l’Est au début des années 1990, avec des valeurs négatives de -10,9% en 1990 et -26,7% en 2001 (Pavlov, 2012). En 2010, la Bulgarie atteint la cinquième place du classement mondial de l’Organisation des Nations unies (ONU) concernant le vieillissement de la population avec 24,2% de plus de 60 ans (Rapport de l’ONU 1). En 2013, les enfants de 0 à 5 ans ne représentent plus que 5,7% de la population, la quatrième part la plus basse de l’Union européenne (UE) après l’Allemagne, la Pologne et l’Italie (Commission européenne/EACEA/Eurydice/Eurostat, 2014).
La situation bulgare de transition pose plusieurs questions : comment la thématique de l’emploi a-t-elle été abordée à travers le prisme du genre ? Comment les questions liées à la conciliation vie familiale-vie professionnelle ont-elles été prises en compte pendant les années de transition ? La crise a-t-elle provoqué des changements importants ? Notre hypothèse principale est que la situation actuelle dans ce domaine résulte de la conjonction de plusieurs facteurs et notamment de la transition économique et sociale, du processus d’adhésion à l’UE et de la situation démographique détériorée.
Pour aborder ces questions, la première partie se concentre brièvement sur les politiques entamées en matière de conciliation vie familiale-vie professionnelle pendant la transition. La deuxième partie porte sur les effets de la crise et les politiques mises en place après 2008. La troisième partie présente les débats en la matière et le rôle des principaux protagonistes.
Principaux développements en matière de conciliation avant 2008
La situation bulgare se caractérise par une prise de conscience tardive de la problématique de la conciliation vie familiale-vie professionnelle. Les principales questions étaient liées aux problèmes résultant des privatisations et restructurations et portaient sur la sauvegarde de l’emploi, les politiques d’égalité entre les sexes n’y étant pas prises en compte.
Une prise de conscience tardive en Bulgarie comme dans les pays d’Europe de l’Est
La Bulgarie contemporaine est naturellement marquée par la « dépendance au passé » communiste. Le régime menait une politique nataliste qui se basait sur une vision de la femme comme mère et travailleuse, comprenant de longs congés pour la mère et une disponibilité importante des services de garde d’enfants. Dans ce contexte, pratiquement aucune participation officielle du père dans l’éducation de l’enfant n’était prévue. Le poste de travail de la femme était conservé dans un système à mobilité professionnelle très faible (Kerimdchieva, 1998). Par ailleurs, la famille élargie (surtout les grands-mères) a toujours joué un rôle très important dans la garde des enfants de moins de 3 ans pendant que les mères travaillaient ou pendant les périodes de vacances, notamment du fait de l’âge de la retraite des femmes, fixé à 50 ans. La place des femmes était traditionnellement perçue, avant et après 1989, comme celle de mère et travailleuse, mais également comme la personne qui s’occupe principalement du travail domestique (Kovacheva, 2010). Les questions d’égalité en matière de répartition des tâches domestiques ne font d’ailleurs que très peu l’objet de débats, même en 2015. Pendant la transition et jusqu’à aujourd’hui, le modèle prédominant est celui du travail à temps plein pour les deux sexes à hauteur de 40,5 heures par semaine (Kovacheva, Kabaivanov, 2014). En outre, à ces heures payées s’ajoute le travail domestique, y compris la production de stocks de nourriture (cuisine quotidienne et conserves pour l’hiver). Selon une étude, les femmes bulgares réalisent en moyenne 16 heures de travaux domestiques par semaine, soit presque autant que celles qui en réalisent le plus en Europe, les Hongroises et les Portugaises (17 heures) (EQLS, 2007, cité par Kovacheva, 2010). Pourtant, malgré des changements économiques et sociaux majeurs, cette thématique n’a trouvé que récemment (depuis le début des années 2000) une place dans le débat public et académique (Tilkidjiev, 2006 ; Marginean et al., 2006 ; Gladicheva, 2006). Si les politiques de l’UE en la matière ont été un vecteur « d’améliorations » dans les anciens États membres (Burri, 2010:234), on peut affirmer qu’en Europe centrale et orientale elles représentent le principal facteur de prise de conscience de la thématique à travers les exigences de l’« acquis communautaire ». Dans le même ordre d’idée, pendant les années 2000, des chercheurs ont mis l’accent sur le temps de travail long et la multiplication des emplois comme les principaux obstacles de la conciliation vie familiale-vie professionnelle (Tang, Cousins, 2005 ; Marginean et al., 2006 ; Rossi, Mazzuchelli, 2008). En outre, des études ont démontré que les femmes, tout en effectuant des journées longues au travail, devaient s’occuper entièrement des tâches domestiques (Stoilova, 2008 ; Stoyanova, Kirova, 2008).
Les gouvernements d’Europe centrale et orientale ont légiféré pour tenter de remédier à l’intensification du travail (par rapport à la période communiste), la baisse de l’indice de fécondité et l’augmentation considérable des taux de vieillissement. À la différence des pays occidentaux où les politiques de conciliation s’expriment souvent dans la flexibilité et la diminution des horaires de travail, en Europe centrale et orientale l’accent est mis sur des périodes longues de congés maternité (Den Dulk et al., 2005 ; Wall, 2007 ; Kovacheva, Pohl, 2007). Ainsi, la Bulgarie, la Hongrie, la République tchèque et la Roumanie comptent les périodes de congés maternité les plus longues de l’UE (environ deux ans) (Commission européenne/EACEA/Eurydice/Eurostat, 2014). En outre, à la différence des anciens États membres, l’entreprise et les employeurs ne jouent qu’un rôle extrêmement limité dans cette thématique. Les demandes de changement sont principalement adressées aux autorités publiques nationales (législation) et locales (création de services de garde d’enfants) ainsi qu’à la famille élargie (Kovacheva, 2010).
Pourtant, malgré ces tendances communes, on constate une grande diversité dans les politiques familiales de ces pays. À titre d’exemple, le congé maternité est de 28 semaines en République tchèque et est payé à hauteur de 70 % du salaire mensuel brut. En 2012, seulement 4 % des enfants de moins de 3 ans y fréquentent des établissements de garde d’enfants 2. Par contre, en Bulgarie, le taux de fréquentation des établissements de garde d’enfants de moins de 3 ans est d’environ 16 % 3, alors que le congé maternité est le plus long des pays de l’UE : 410 jours payés à 90 % du salaire mensuel brut. Concernant l’emploi des mères (25-49 ans) ayant des enfants de moins de 3 ans, les chiffres diffèrent également. En 2013, le taux d’emploi des femmes ayant un enfant de moins de 6 ans était en effet d’environ 35 % en Hongrie et en Slovaquie, et de 42 % en République tchèque. En Bulgarie, malgré la durée des congés maternité, il était d’environ 56 %, avoisinant la moyenne européenne (UE 28) située à 60 % 4.
Une instabilité politique et économique qui favorise le statu quo
La spécificité de l’emploi des mères dépend des politiques publiques en la matière (congés et dispositifs de garde d’enfants), des normes sociales et culturelles mais également, dans ces pays, des changements économiques, sociaux et démographiques pendant la transition. À cet égard, la Bulgarie a été le pays le plus touché économiquement et démographiquement de l’ancien bloc de l’Est après 1989. En 1996, le pays vit en effet la plus grande crise économique de son histoire, l’inflation augmente de 32,9 % en 1995 à 310,8 % en 1996, pour atteindre un pic de 578,5 % en 1997. La stabilisation du pays n’a lieu qu’à travers l’instauration du Conseil de régime monétaire (Currency Board) du Fonds monétaire international (FMI). En outre, lors des processus de restructuration et privatisation de l’économie, on observe une longue période de pertes d’emplois. Ainsi, entre 1989 et 1993, le taux d’emploi baisse de 31,5 %. Le taux de chômage est de 11,9 % en 1995, il se stabilise autour des 12 % dans les années 1996-1998, pour grimper jusqu’à 18 % suite à la première vague des grandes privatisations en 2000 (Kirov, 2005). Le PIB chute drastiquement : de 21,75 milliards de dollars en 1989, il tombe à 9,71 milliards de dollars en 1994 et remonte progressivement après 2000 pour atteindre environ 56 milliards de dollars en 2014 5.
Le tableau 1 reprend des indicateurs économiques et démographiques pour illustrer ces évolutions. Les données montrent qu’avant 2008, nous pouvons distinguer deux périodes dans le développement économique et social en Bulgarie.
Pendant la première période (1989-1997), caractérisée par une instabilité politique et économique, aucune réforme systémique dans les politiques publiques n’est entamée. L’emploi des femmes comme celui des hommes est fortement lié aux restructurations et aux changements de la structure de la production. La situation économique est la première cause de la détérioration de la situation démographique. En sept années seulement, l’indice de fécondité baisse de 1,81 à 1,09 enfant par femme. Pendant la période 1990-1999, la population en âge de travailler diminue de 17,2 % du fait de la diminution de la natalité, du vieillissement de la population et de l’émigration. La priorité étant le redressement économique, aucune réforme substantielle n’est prise dans le domaine de la conciliation vie familiale-vie professionnelle et les politiques publiques restent dans la droite ligne de celles d’avant 1989, encourageant l’emploi à temps plein des femmes couplé avec de longs congés maternité. En l’occurrence, au début de la transition, le congé maternité comporte trois phases. La première peut commencer 45 jours avant le terme de la grossesse et va jusqu’à 180 jours après, payée à 100 % de la rémunération antérieure. La seconde phase, payée au salaire minimum, peut être prise jusqu’aux 2 ans de l’enfant. Ce congé est transférable, après que l’enfant a atteint 1 an, au père ou aux grands-parents maternels. Enfin, pendant la troisième phase, le congé n’est pas payé et la mère a le droit de rester avec l’enfant jusqu’à ses 3 ans. Pendant ces trois années, l’entreprise est dans l’obligation de garder le poste de travail de la mère (Bogetic, Hillman, 1995).
L’offre de service public de garde d’enfants commence à diminuer pendant cette période. Le régime communiste avait développé un système en deux étapes : des crèches (des 8 mois aux 3 ans de l’enfant) et des kindergarten (3 à 6 ans). Cette situation reste la même après 1989, avec des horaires à temps plein. Toutefois, le réseau diminue du fait de la forte baisse des naissances et de la vente des bâtiments par les autorités locales afin qu’ils soient, par exemple, transformés en entreprises (Kovacheva, Kabaivanov, 2009). Le nombre de kindergarten diminue de 34 % entre 1995 et 2007 (Institut national de statistiques, 2012) et le nombre de crèches d’environ 40 % entre 1990 et 2000
(Sotirova, Ivanova, 2012).
Au début des années 2000, émergence de la conciliation sous l’impulsion européenne
Avec le processus d’adhésion de la Bulgarie à l’UE, qui débute en 2000, commence une nouvelle période. Après le choc initial des premières privatisations, à partir des années 2004-2005, les taux d’emploi et d’activité économique augmentent pour les deux sexes. Outre les thématiques liées à l’emploi des femmes, celles ayant trait, plus largement, à la conciliation vie familiale-vie professionnelle émergent dans le débat public. En analysant plusieurs documents issus du gouvernement, tels que les stratégies nationales pour l’emploi, des syndicats et des employeurs, nous pouvons constater une omniprésence du référent européen dans ces changements. Entre 2000 et 2006, la Bulgarie effectue plusieurs changements législatifs dans le domaine de l’égalité de traitement entre les sexes en concordance avec l’acquis communautaire (Commission européenne, Rapports réguliers de la Commission sur les progrès accomplis par la Bulgarie sur la voie de l’adhésion (2000-2006)).
Il s’agit des directives 92/85/CE pour la protection de la maternité, 96/34/CE sur le congé parental, 97/81/CE contre les discriminations visant les travailleurs à temps partiel, du Pacte européen pour l’égalité des sexes de 2006, de la feuille de route pour l’égalité hommes-femmes 2006-2010, et de la Stratégie de Lisbonne et ses dispositifs pour l’emploi des femmes. Nous pouvons conclure que pour la période 2000-2007, les changements qui interviennent dans ce domaine sont majoritairement liés aux normes internationales et européennes. En ce sens, comme le soulignent Sotirova et Ivanova (2012), les recommandations des Conventions de l’ONU liées à l’égalité des sexes et la conciliation vie familiale-vie professionnelle « ont été en grande partie reprises dans le Code du travail ». En outre, ces instruments ont directement influencé la législation bulgare. Les discours des parties prenantes au processus législatif ont intégré le vocabulaire européen d’égalité des sexes et d’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle (Sotirova, Ivanova, 2012).
Principales évolutions en matière de conciliation après le début de la crise économique et financière de 2008
La période d’après 2008 s’inscrit dans le sillage des réformes entamées dans le contexte du processus d’adhésion à l’UE. Les évolutions ne sont que partiellement dues à la crise, dans la mesure où le législateur et les acteurs sociaux ont voulu protéger l’emploi et en particulier les groupes vulnérables : femmes et enfants. Toutefois, les évolutions du congé maternité visent principalement à améliorer la situation démographique.
La Bulgarie a été touchée par la crise vers fin 2009, soit plus tardivement que les économies des anciens États membres. Le taux d’activité, qui avait atteint un de ses niveaux les plus élevés en 2008 avec 67,9 %, descend à 65,9 % en 2010. Une légère hausse est enregistrée après 2012, pour atteindre 69,0 % fin 2014. Au cours des années 2008 à 2014, le taux d’activité des femmes diminue plus lentement que celui des hommes : de 63,1 % en 2008 à 61,9 % en 2011, pour remonter à 65 % en 2014 6. En 2010, du fait de la crise, des licenciements collectifs ont lieu et le chômage passe de 5,6 % en 2008 à 10,2 % en 2010, atteignant son niveau de 2005. Au début de la crise, le chômage des femmes est plus bas que celui des hommes (10,3 % contre 12,2 % pour la population active de 15 à 64 ans). Malgré l’amorce d’une certaine amélioration économique en 2012, le taux de chômage atteint 13,2 % en 2013, et son niveau est toujours plus bas pour les femmes (12,2 %) que pour les hommes (14 %) 7. Toutefois, il convient de souligner que ces chiffres sont à prendre avec précaution car ils ne prennent pas en compte les exclus du chômage ni les émigrés.
Les dépenses de politiques familiales n’ont pas connu de fortes baisses. Entre 2008 et 2015, elles représentaient environ 10 % du poste « Dépenses sociales », lesquelles correspondent à 18 % du PIB (Institut national de statistiques, 2015 8).
Un allongement des congés pour les deux parents
Pendant la période de crise, des mesures stimulant l’emploi des femmes et surtout la natalité sont prises. Nous avons vu qu’en 2007 le congé maternité avait été augmenté à 315 jours. En 2009, le législateur décide d’une nouvelle augmentation. Celle-ci représente la réforme la plus substantielle depuis 1989 : désormais, le congé maternité est de 410 jours payés à hauteur de 90 % du salaire brut. Il est également prévu que la femme puisse bénéficier de son congé maternité à partir de 45 jours avant le terme de la grossesse. À cette période s’ajoute également, comme par le passé, un « congé jusqu’à ce que l’enfant atteigne 2 ans », payé la somme fixe de 340 lev (environ 170 euros). En contrepartie, la période de cotisation pour avoir droit au congé de maternité est revue considérablement à la hausse : de 7 jours à 9 mois (en 2009), ensuite à 12 mois et enfin à 24 mois (art. 49 (1), Code du travail 2015). En outre, depuis 2015, le calcul des allocations pour le congé maternité prend en compte les 24 derniers mois de salaire brut au lieu des 18 mois comme auparavant 9. La mère retrouve son poste de travail à son retour de congé.
Les statistiques montrent qu’en 2010, 96,1 % des mères ont utilisé le congé dans leur intégralité (410 jours). Ce chiffre est presque identique (95,6 %) en 2013. Le pourcentage de mères qui ont pris un congé d’un an aux 2 ans de l’enfant a été de 87,8 % en 2010 et 88,3 % en 2013 10. Ainsi, aucune variation due à la crise ne ressort.
Il est important de souligner que la pratique informelle suivante est largement répandue : l’employeur paie officiellement des cotisations de sécurité sociale sur un salaire brut bien plus bas (souvent le salaire minimum) que celui réellement perçu par l’employé. Le contrat d’un employé peut donc, par exemple, mentionner un salaire de 380 lev, soit 194 euros (le salaire minimum), alors qu’il perçoit en réalité 740 lev, soit 378 euros. Cet arrangement permet à l’employeur de payer moins de cotisations sociales. Ainsi, des mères se voient percevoir des allocations de congé maternité avoisinant le salaire minimum. Cette pratique relevant de l’économie informelle ne peut être chiffrée.
En matière de congés d’enfants malades, la mère peut bénéficier d’un congé allant jusqu’à 60 jours par an et payé selon le régime général d’indemnité maladie (art. 40, Code de sécurité sociale 2015). Concernant les allocations familiales, on observe une hausse importante en 2008 : elles passent de 18 lev (9 euros) à 35 lev mensuels (18 euros) pour un premier enfant, 50 lev (25 euros) pour un deuxième, et de nouveau 35 lev (18 euros) pour un troisième (Koceva, Dimitrova, 2014).
Le congé paternité n’a été modifié qu’après 2009. Le père a désormais le droit de prendre un congé après le sixième mois de l’enfant (contre 1 an précédemment) en remplaçant la mère. Ainsi, il peut s’occuper de l’enfant de son sixième mois jusqu’à la fin des 410 jours du congé maternité. Les données montrent que, depuis la mise en place de la mesure, le nombre de pères qui en ont bénéficié est passé de 0,1 % en 2009 à 3,8 % en 2014 (Institut national de sécurité sociale, 2015:64). Seuls 611 pères ont pris un congé pour la période allant des 1 aux 2 ans de l’enfant en 2010 (651 en 2013), 39 885 mères l’ont fait en 2010 (35 454 en 2013) 11.
De la même manière, ce congé peut être transféré, avec l’accord de la mère, à un des grands-parents, s’ils sont en ordre de cotisations sociales (art. 50(7) du Code du travail 2015). Comme nous l’avons souligné, ces dispositifs existaient déjà au début de la transition, seul change l’âge de l’enfant après 2009. Le père et les grands-parents peuvent aussi remplacer la mère concernant le congé octroyé à somme fixe après les 410 jours du congé maternité et jusqu’aux 2 ans de l’enfant. 1,4 % des pères ont bénéficié de cette mesure en 2014 (Institut national de sécurité sociale, 2015:64). En 2010, on estime le transfert aux grands-parents des différents types de congés se rapportant à la tranche d’âge de 1 à 2 ans à approximativement 3,6 %. En 2014, ce transfert concerne environ 3,8 % des congés 12.
De la même manière, depuis 2011, en conformité avec la directive 2006/54/CE sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi, le législateur a octroyé un droit à 15 jours de congé payé pour le père à partir de la naissance de l’enfant. Ainsi, c’est la première fois que le père reçoit un droit à congé lié à la naissance en Bulgarie (art. 50(6) du Code du travail 2015). En 2013, environ 36 % de pères ont bénéficié de ce type de congés 13.
Pendant ces congés, les parents (ou grands-parents) continuent à accumuler des droits de congés annuels. Ce cumul ouvre en pratique la possibilité pour (principalement) les mères de rester avec l’enfant entre sa deuxième et sa troisième année en prenant un congé sans solde. Cette pratique, couplée à l’aide de la famille élargie, représente une des explications du faible taux de fréquentation des crèches malgré les places disponibles et les tarifs abordables (voir infra).
Une multiplication des dispositifs publics de retour au travail des mères
Une clause a été intégrée dans la loi contre les discriminations en 2008 qui protège le poste de travail occupé par les « mères » (art. 13, al. 3) lorsqu’elles sont en congé maternité ou parental. Une fois encore, ce changement visait à répondre aux dispositions de la directive 2006/54/EC (Spirova, Ivanova, 2012).
Depuis 2008-2009, plusieurs mesures ont été prises dans l’objectif de concilier vie familiale et vie professionnelle dans la Stratégie nationale pour l’emploi. En l’occurrence, la loi pour la stimulation de l’emploi prévoit des aides pour les employeurs souhaitant engager des parents seuls et/ou au chômage ayant des enfants de moins de 3 ans. Concrètement, la loi prévoit le versement de subventions aux employeurs sur une période de 12 mois (Spirova, Ivanova, 2012).
Une autre mesure similaire ciblait les mères d’enfants âgés de 3 à 5 ans. Dans ce cas, l’État subventionne les employeurs sur une période de 12 mois et, si le travailleur s’inscrit dans un cycle de formation continue, l’État subventionne également l’établissement. 2010 marque par ailleurs les débuts du projet « De nouveau au travail » financé par le programme opérationnel « Développement des ressources humaines ». Le projet vise à proposer gratuitement le service de nourrices (femmes âgées souvent au chômage) pour stimuler le retour au travail de femmes avec de jeunes enfants (Agence nationale pour l’emploi, 2013).
Un autre programme a été créé en 2007. Intitulé « En soutien de la maternité », il vise également la réintégration plus rapide des femmes sur le marché du travail après le congé maternité. Il se concentre sur les mères bénéficiant du « congé jusqu’aux 2 ans de l’enfant », avec une possibilité de le transférer aux grands-parents (Agence nationale pour l’emploi, 2011, 2012, 2013, 2014).
Une autre initiative dans le cadre du programme opérationnel « Développement des ressources humaines » vise particulièrement les entreprises : il s’agit des « innovations sociales dans les entreprises ». Doté d’un budget de 38 millions de lev (environ 23 millions d’euros), ce programme prévoyait d’aider les parents isolés et parents ayant des enfants de moins de 3 ans afin qu’ils puissent travailler à mi-temps tout en recevant une compensation sous la forme d’un bonus salarial. De plus, les entreprises sont encouragées à proposer des projets pour la création d’« aires de jeux pour les enfants » (des garderies pour les enfants du personnel) (Agence pour l’emploi, 2012). D’autres programmes visant à concilier le travail domestique et professionnel des femmes ont été également élaborés : « Alternatives » et « Aide à la maison » (Agence pour l’emploi, 2014). Concernant ces programmes, nous avons pu obtenir des données générales relatives aux mères sans emploi ayant un enfant de moins de 3 ans. La moyenne mensuelle montre qu’en 2010, 4,93 % de ces femmes ont été incluses dans ce type de programmes ; en 2011, environ 8 % en faisaient partie et en 2014 ce chiffre est descendu à 2 % 14.
Un recours aux structures de garde faible pour les enfants de moins de 3 ans et élévé au-delà
Comme nous l’avons souligné, le système de garde d’enfants est composé de crèches pour les enfants de 10 mois à 3 ans et de kindergarten pour ceux de 3 à 6-7 ans.
Si, dans les années 1990, le nombre de crèches a diminué de 40 %, les années 2000 ont vu ce nombre augmenter de 26 %. Cette hausse est particulièrement importante entre 2007 et 2011. Ces établissements offrent en moyenne 15,3 places pour 100 enfants. En 2000, le taux d’accueil des crèches était d’environ 10 %, et, à partir de 2009, il a augmenté pour atteindre 15,8 % en 2015. Ainsi, 8,6 % des enfants bulgares de 1 à 2 ans et 37,3 % des enfants de 2 à 3 ans fréquentent les crèches 15.
La répartition en fonction de l’âge est la suivante : 0,1 % ont moins de 1 an, 17,8 % de 1 à 2 ans et 79,8 % de 2 à 3 ans. 95,5 % du personnel y est composé d’infirmiers/ères, en légère augmentation depuis 2010 16. Les contributions demandées par ces établissements sont abordables et varient en moyenne de 45 à 50 lev (25 euros) par mois avec des exonérations pour certaines familles percevant des revenus d’insertion, pour le deuxième enfant, etc. 17.
Ce phénomène d’augmentation du nombre d’établissements et du taux de fréquentation s’explique par plusieurs facteurs et notamment par l’augmentation de l’indice de fécondité après 2004, de l’âge de la retraite (moins de grands-parents peuvent donc garder les enfants), ou encore de l’activité économique et du taux d’emploi des femmes.
À la différence des crèches, le nombre de ces jardins d’enfants continue à diminuer : entre 2000 et 2011, il a été réduit de 13 % 18 (Institut national de statistiques, 2012). Par contre, le taux d’accueil y est en augmentation constante : de 66,3 % en 2000 à 73,8 % en 2008 et 82,5 % en 2015 19. Environ 90,4 % de ces enfants fréquentent le jardin d’enfants à temps plein. Le nombre de places pour 100 enfants varie selon les régions mais, le plus souvent, il est supérieur à la population (102,2 places pour 100 enfants en moyenne nationale). Dans les petites villes et villages situés dans des régions à faible activité économique comme par exemple Bojcica (Nord-Ouest), les places disponibles sont de 287 pour 100 enfants. À l’inverse, des pénuries existent dans les plus grandes villes : à Sofia, il n’existe que 87 places pour 100 enfants, à Varna 90, à Plovdiv 90, et à Burgas 93,8 20.
Le système privé de garde d’enfants n’est que très peu développé : il n’accueille que 1,36 % des enfants bulgares en 2015 (0,15 % en 2000) 21.
Le système de « jardins d’enfants » publics pour les enfants âgés de 3 à 6 ans est bien institutionnalisé et développé. Les établissements fonctionnent à temps plein de 7 heures à 19 heures. Toutefois, il n’existe que très peu de flexibilité en termes d’aménagement du temps. Les contributions demandées aux parents pour l’accueil de leurs enfants dans ces établissements varient selon les régions mais elles restent abordables, et comprennent les repas pour toute la journée. Par exemple, à Sofia, la contribution est de 70 lev (35 euros) 22 pour un salaire moyen de 1 173 lev (550 euros) 23. Dans le cas d’une ville de taille moyenne dans une région favorisée comme Blagoevgrad, la contribution demandée est de 40 lev (20 euros) 24 pour un salaire moyen de 600 lev (300 euros) 25.
Les services de garde d’enfants au sein des entreprises sont extrêmement rares en Bulgarie. Cette pratique n’est pas régie par la loi, et ce n’est que très récemment que, dans le Projet de loi sur l’éducation scolaire, une définition et des propositions concernant les crèches d’entreprises et des partenariats public-privé ont été inscrites (Conseil national de coopération tripartite, 2015).
Au final, malgré une certaine baisse du nombre des établissements pré-scolaires (crèches et jardins d’enfants), la couverture est importante pour les enfants après 3 ans. Le faible taux d’accueil dans les crèches (moins de 3 ans) n’est pas dû à un manque de places mais à un recours important aux congés et aux traditions culturelles dans le pays. Sur ce dernier point, il n’est pas rare que des enfants dont les parents travaillent dans les villes soient gardés plusieurs mois par leurs grands-parents dans les petites villes et villages jusqu’à ce qu’ils aient l’âge de fréquenter un jardin d’enfants. Ce phénomène est directement lié au retour des mères au travail qui préfèrent faire garder l’enfant par la famille élargie (Kovacheva, 2010).
Les acteurs sociaux en demande de plus de flexibilité
Dans cette partie, nous analysons les objectifs des acteurs qui se sont mobilisés sur ces questions. Trois types d’acteurs ont pris position dans ces discussions : les syndicats, les organisations de parents et, dans une moindre mesure, les employeurs.
Des stratégies syndicales largement inspirées de l’agenda européen
Les syndicats ont été les organisations les plus actives en termes de stratégies et de propositions législatives. En Bulgarie, il existe deux grandes confédérations syndicales : la Confédération des syndicats indépendants (KNSB/CITUB) et la Confédération du travail Podkrepa (KT Podkrepa). KNSB, héritier réformé des anciens syndicats communistes, est la confédération la plus importante, avec 275 762 membres (recensement de 2012). KT Podkrepa est née d’un mouvement politique anticommuniste en 1989, et est devenue graduellement un syndicat au début des années 1990. Elle compte 91 738 membres (recensement de 2012) 26.
En général, les syndicats bulgares ont été particulièrement actifs dans leurs « usages de l’Europe » (Jacquot, Woll, 2004), c’est-à-dire pour mettre à l’agenda les exigences européennes dans le domaine social afin d’institutionnaliser certaines situations de fait ou de nouveaux droits (Spasova, 2015). Comme nous l’avons souligné, la mise en place de politiques de conciliation vie familiale-vie professionnelle est intimement liée, dans le cas bulgare, à l’adhésion à l’UE. Les principaux documents issus des organisations syndicales sur ce sujet ont toujours une partie argumentaire basée sur les exigences ou la situation européenne. Les syndicats ont donc repris les référents cognitifs en matière de conciliation et les instruments européens utilisés dans leurs propositions législatives afin de porter ces questions sur la scène nationale.
En 2012, les syndicats, en particulier KNSB, ont fortement critiqué la rigidité des arrangements de travail, notamment concernant l’emploi des femmes. Le syndicat KNSB a proposé de mettre en place une forme de congé pour « absence au travail pour raisons familiales », qui permettrait aux parents de s’absenter également pour leurs enfants majeurs (plus de 18 ans) le cas échéant. Selon cette proposition, les heures non prestées devraient être récupérées ultérieurement. Le syndicat a également demandé la mise en place d’horaires flexibles selon les besoins familiaux des travailleurs et la création d’un nouveau type de congé « pour raisons familiales », de quatre jours par an, non reportable d’une année à l’autre. KNSB a voulu également porter le débat public sur l’imposition des familles ainsi que sur l’allègement des impôts pour les entreprises qui investissent pour améliorer la conciliation vie familiale-vie professionnelle 27. Les syndicats sont enfin activement impliqués par le ministère de l’Emploi et des Affaires sociales dans l’élaboration de programmes dans ce domaine et dans la recherche sur la thématique. Comme le souligne Kovacheva, on sous-estime le rôle des syndicats qui, avec les organisations de parents, peuvent porter ces thématiques au niveau national (Kovacheva, 2010).
Des associations de parents défavorables à l’intervention de l’État
La Bulgarie compte quelques grandes organisations de parents comme « L’Alliance : Souris avec moi 28 », « Le mouvement des mères bulgares 29 », « Des mères actuelles et futures », qui depuis 2010 ont été très actives lorsque des changements de lois en matière familiale ont été proposés. L’idée qui sous-tend leurs revendications est essentiellement celle du « moins d’intervention de la part de l’État » dans l’éducation des enfants. Bien que l’égalité hommes-femmes soit bien présente dans leur argumentaire, ces associations ne proposent que peu de mesures concrètes liées au travail des femmes. Elles sont surtout actives dans des projets sociaux et culturels ponctuels. Outre ces formes institutionnalisées, des manifestations et protestations ad hoc ont été organisées par des « mères » sur des faits divers liés à l’enfance ou sur des propositions législatives ponctuelles. Leur organisation a eu lieu à travers les réseaux sociaux (Facebook) et le très populaire forum BG-mamma.com, qui compte 875 000 participants par mois et atteint 20 % de flux internet en Bulgarie 30. Ces manifestations ont souvent été soutenues par d’autres organisations de la société civile ayant des intérêts dans le domaine. À titre d’exemple, lorsque le législateur a présenté un projet visant à rendre obligatoire l’enseignement pré-scolaire à partir de 4 ans, une vague de protestations de mères a submergé le pays. Les revendications reprenaient des slogans tels que « les enfants n’appartiennent pas à l’État », « l’école est un service social et pas une dictature 31 ». Les revendications des organisations familiales peuvent finalement paraître souvent paradoxales. D’une part, elles exigent de l’État qu’il assure plus de services publics liés à la garde d’enfants et la garantie d’emploi pour les femmes, d’autre part, elles l’accusent d’ingérence dans l’éducation des enfants. Ce « décalage » fait écho au passé communiste où l’État était omniprésent, y compris dans la gestion de la vie familiale.
Le problème de la conciliation vie familiale-vie professionnelle n’est en revanche pas primordial pour les organisations de femmes (féministes). Comme le souligne la représentante d’une organisation féministe, on ne peut pas voir l’émergence de « nouveaux pères » en Bulgarie, parce qu’il n’existe que très peu de « nouvelles mères ». Les femmes continuent à penser qu’elles sont les mieux placées pour s’occuper de l’enfant et du travail domestique 32.
Des arrangements informels entre employeurs et salariés
Du côté des employeurs, les organisations nationalement représentées ont généralement intégré dans leur discours les principes d’égalité hommes-femmes et de conciliation vie familiale-vie professionnelle dans le processus d’adhésion à l’UE. Il est important de souligner que la construction d’organisations d’employeurs stables a été longue. Le nombre d’organisations a fortement varié et seule la Bulgarian Industrial Association (BIA), la plus grande organisation représentant les PME, est restée stable depuis le début de la transition. Cette dernière fait partie des organisations les plus actives en matière de propositions législatives. La BIA a travaillé sur plusieurs projets, notamment de qualification professionnelle des femmes, depuis le milieu des années 2000. Ces dernières années, et notamment au cours des discussions sur des amendements au Code du travail en 2015, la BIA a toujours soutenu la proposition du gouvernement en faveur de la mise en place de formes plus flexibles du temps de travail. Les trois autres organisations reconnues au plan national ont émis des opinions similaires (Conseil national de coopération tripartite, 2015). Un des arguments principaux est la nécessaire conciliation vie familiale-vie professionnelle en se basant sur des instruments européens.
Toutefois, l’étude la plus récente réalisée sur le sujet, par le KNSB et la fondation Friedrich Ebert (Spirova, Ivanova, 2012), démontre que les formes flexibles d’emploi (à temps partiel, à horaires flexibles, etc.) ne sont pas déterminées par des motivations liées à l’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, bien que, dans les entreprises étudiées, la main-d’œuvre féminine soit majoritaire. Ce positionnement est principalement motivé par le fait que les entreprises peuvent garder leur main-d’œuvre tout en diminuant sa durée du travail et en étant subventionnées par les mesures gouvernementales anticrise (Spirova, Ivanova, 2012). Les contrats à durée déterminée sont utilisés par les entreprises comme une longue période d’essai ou pour mieux ajuster la main-d’œuvre au processus de production. L’étude montre également que les attitudes des employeurs envers la problématique sont plus personnelles et basées sur la compréhension d’un problème humain que sur des éléments de politique organisationnelle (Spirova, Ivanova, 2012:37). Les managers disent ouvertement ne pas très bien connaître la législation en matière de conciliation vie familiale-vie professionnelle. Les politiques de flexibilités sont très spécifiques à l’entreprise elle-même.
Une autre étude a corroboré ces résultats d’arrangements personnels avec les employeurs. La flexibilité et les arrangements existent mais ils sont informels et souvent n’apparaissent pas dans les horaires officiels. De ce fait, il est très difficile d’en estimer la portée (Kovacheva, 2010).
Il est intéressant de souligner que l’appareil syndical, mais également les syndicalistes au niveau de l’entreprise, ne prennent pas encore suffisamment en compte l’importance considérable de cette problématique (Spirova, Ivanova, 2012:56). Des arrangements existent mais demeurent informels et l’intérêt pour le sujet, même chez les femmes, ne concerne que le quotidien immédiat sans que des revendications émergent.
Conclusion
L’examen de la situation bulgare en matière de conciliation vie familiale-vie professionnelle, et plus spécifiquement d’arrangements en temps de crise, nous permet de tirer trois grandes conclusions.
Tout d’abord, malgré les réformes économiques structurelles, la mise à l’agenda de ces thématiques dans l’espace public bulgare lors du processus d’adhésion à l’UE et une certaine désinstitutionnalisation de la garde d’enfants après 1989, très peu de changements sont intervenus dans la structure de l’emploi féminin et le modèle familial et de conciliation vie familiale-vie professionnelle. Le modèle d’emploi bulgare reste le temps plein (environ 40,5 heures par semaine) pour les deux sexes. Parallèlement, la femme occupe toujours le rôle central dans l’éducation des enfants et le travail domestique. Très peu de changements ont été observés dans ce domaine, le travail domestique représente 3,61 heures par jour pour les femmes contre 1,25 heure par jour pour les hommes (Nikolova, 2011).
Notre deuxième conclusion porte sur le rôle de la crise économique. Nous avons montré que celle-ci joue un rôle mineur dans ce domaine. La prise de conscience de la problématique de l’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle a eu lieu surtout lors du processus d’adhésion à l’UE avec les exigences de l’acquis communautaire. Concrètement, cela a donné lieu à l’adoption de plusieurs arrangements allant dans ce sens dans la législation bulgare jusqu’en 2007. À cela s’ajoute le besoin de stimuler la natalité dans un des pays du monde les plus exposés au vieillissement de sa population. Ainsi, après le début de la crise, les politiques publiques de soutien à la conciliation ont continué et des dispositifs ont été instaurés en 2011 : congé paternité après la naissance des enfants, augmentation du nombre de places dans les crèches, etc. Le taux de fréquentation des jardins d’enfants, même s’il reste faible, est en constante augmentation bien que plusieurs congés liés à la garde d’enfants existent. En outre, des incitations publiques à destination des employeurs qui s’engagent dans ce domaine sont mises en place.
Ainsi, malgré la crise et à la différence de plusieurs pays de l’UE, les politiques familiales et de conciliation vie familiale-vie professionnelle ont connu une évolution positive. Toutefois, des paradoxes importants existent dans ce domaine, et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, des politiques de congés maternité longs ont été mises en place en même temps que des programmes pour inciter les employeurs à embaucher des mères d’enfants de moins de 3 ans. En deuxième lieu, à l’instar d’autres domaines en Bulgarie, « l’informel » joue un rôle important. Malgré la législation concernant les adaptations possibles en matière de temps de travail pour raisons de conciliation, ces arrangements ont, en temps de crise, surtout été utilisés pour des raisons économiques. Les pratiques de flexibilité du temps de travail en entreprise sont souvent informelles, et proviennent d’un accord tacite entre le travailleur et l’employeur. Enfin, malgré les places disponibles dans les crèches subventionnées et la contribution abordable demandée aux parents, l’éducation des enfants demeure culturellement un projet de famille élargie, surtout jusqu’aux 3 ans de l’enfant. Comme nous l’avons vu, la participation de la troisième génération a été formalisée dans la loi dès les 6 mois de l’enfant avec la possibilité de transfert de congé aux grands-parents. Toutefois, ces arrangements familiaux restent souvent informels.
La situation bulgare en matière de conciliation se caractérise donc par deux facteurs principaux : la « dépendance au sentier » et la situation économique. Concernant le premier, nous avons démontré que très peu de changements systémiques ont été entamés depuis la fin du régime communiste : le système de garde d’enfants reste le même, abordable et favorable à l’emploi des femmes et celles-ci continuent à travailler à temps plein tout en étant les exécutrices principales du travail domestique. Cette situation est fortement liée à la prédominance du facteur économique pendant la transition. Le législateur, mais également les femmes elles-mêmes, mettaient l’accent sur la « survie » économique plutôt que sur les politiques en matière d’égalité des sexes. Pour les femmes et leurs compagnons, il importait d’avoir un emploi à temps plein (Nikolova 2011), l’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle n’était pas formalisé comme une priorité.
Ces paradoxes soulèvent plusieurs questions qui nécessitent des analyses plus précises sur l’importance du rôle du culturel et des pratiques informelles dans ce domaine, mais aussi sur la prise en compte de la situation économique et d’éducation de la composante ethnique constituée de Roms et Turcs bulgares, pour laquelle militent plusieurs ONG. Les taux d’emploi des femmes et de scolarisation des enfants y sont en effet nettement plus bas. Malgré son réseau de services de gardes d’enfants dense et abordable, et des arrangements législatifs en faveur de l’emploi féminin, la Bulgarie n’est qu’au début d’un long chemin en ce qui concerne la prise de conscience de cette problématique.
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* Professeur assistante de sociologie et politiques sociales à l’Université de Plovdiv ; membre du Centre de la vie politique (CEVIPOL), Université libre de Bruxelles.
1. Cité par S. Kanikova, « Balgaria – Starostneradost » (Bulgarie – la vieillesse malheureuse), Deutsche Welle, www.dw.com/bg.
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10. Données exclusives transmises aux auteurs par l’Institut national de sécurité sociale le 1er décembre 2015. Il convient de préciser qu’aucune institution ne produit ce type de statistiques en Bulgarie. Calculs des auteures.
11. Données de l’Institut national de sécurité sociale ; voir note 1, supra.
12. Données de l’Institut national de sécurité sociale ; voir note 1, supra. L’Institut nous a fourni le nombre de personnes par mois âgées de plus de 39 ans qui bénéficient de congés indemnisés pour la garde d’enfants (de 1 à 2 ans) pour 2010 et 2014. Pour notre calcul, nous avons fixé la limite inférieure d’âge à 46 ans en nous basant sur des données concernant l’âge moyen auquel les femmes deviennent mères, grand-mères et prennent leur retraite. Ainsi, dans notre calcul, une infime partie (qui ne fausserait pas le résultat final) de femmes pourraient s’avérer être des mères biologiques ou adoptives. En outre, il est important de préciser que ces chiffres ne reflètent que la situation légale : plusieurs pratiques et arrangements informels avec les grands-parents ou autres membres de la famille élargie coexistent.
13. Données exclusives de l’Institut national de Sécurité sociale ; voir note 1, p. 93.
14. Agence nationale pour l’emploi, Données internes relatives aux programmes d’incitation de mères ayant un enfant de moins de 3 ans, Sofia, 2015.
15. Institut national de Statistiques de Bulgarie 2015, Statistiques sur la situation des crèches en Bulgarie (2000/2001-2014/2015), http://www.nsi.bg.
16. Institut national de Statistiques de Bulgarie 2015, ibid.
17. Règlement relatif aux crèches et aux jardins d’enfants la commune de Blagoevgrad ; règlement similaire pour la commune de Sofia.
18. Statistiques sur les établissements des « jardins d’enfants » (2000/2001-2014/2015), http://www.nsi.bg.
19. Statistiques sur les établissements des « jardins d’enfants », ibid.
20. Statistiques sur les établissements des « jardins d’enfants », ibid.
21. Statistiques sur les établissements des « jardins d’enfants », ibid.
22. Règlement relatif aux crèches et aux jardins d’enfants, commune de Sofia.
23. Institut national de statistiques, Évolution du salaire moyen brut en Bulgarie (2005-2015), http://www.nsi.bg.
24. Règlement relatif aux crèches et aux jardins d’enfants, commune de Blagoevgrad.
26. Le taux de syndicalisation a fortement diminué en dix ans, passant de 26 % en 2003 (Kirov, 2005) à 19 % en 2012.
27. « Propositions d’amendements au Code du travail relatifs à la conciliation de la vie familiale et professionnelle », KNSB, 10 avril 2012, http://www.knsb-bg.org/index.php/%D0%B2%D1%81%D0%B8%D1%87%D0%BA%D0%B8-%D0%BD%D0%BE%D0%B2%D0%B8%D0%BD%D0%B8/526-novini-sotzialna-zashtita/2316-sachetavaneto-na-semeiniya-i-trudoviya-zhivot-tryabva-da-e-podchineno-na-norma-a-ne-da-stava-na-dobra-volya.
28. http://www.usmihnisesmen.org.
30. E. Kirilova, « Liuben Belov e noviiat majoritaren sobstvenik na BG-mamma » (Liuben Belov est le nouvel actionnaire majoritaire de BG-mamma), Investor.bg, 8 avril 2015, http://www.investor.bg/medii/455/a/liuben-belov-e-noviiat-majoritaren-sobstvenik-na-bg-mamma-192617/.
31. « Roditeli protestirat sreshtu zadaljitelnata preduchilishtna za 4 godishnite » (Des parents protestent contre l’enseignement préscolaire obligatoire à partir de 4 ans), Novinite.bg, 12 décembre 2012, http://novinite.bg/articles/26308/Roditeli-protestirat-sreshtu-zadaljitelnata-preduchilishtna-za-4-godishnite.
32. Entretien avec une représentante d’organisation féministe, 2012.