L’article analyse les politiques et les dispositifs légaux en matière de conciliation vie familiale-vie professionnelle en Bulgarie depuis le début de la crise en 2008. Toutefois, leurs derniers développements sont davantage liés à la transition politique, économique et sociale après 1989. En effet, les politiques publiques en matière de conciliation ont été fortement influencées par la considérable détérioration de la situation démographique mais également par les exigences de l’acquis communautaire lors du processus d’adhésion, largement défendues par les acteurs sociaux. Malgré un réseau de services de gardes d’enfants dense et abordable, et des arrangements législatifs en faveur de l’emploi féminin, la Bulgarie n’en est toutefois qu’au début d’un long cheminement en ce qui concerne la prise de conscience de cette problématique.
La conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale est un point essentiel des politiques publiques danoises mises en place à destination des familles depuis plusieurs décennies. Le Danemark fait partie des pays nordiques qui furent précurseurs en matière de conciliation. Plus que la conciliation vie familiale-vie professionnelle, c’est la progression de l’égalité entre hommes et femmes qui est inscrite à l’agenda politique. L’objectif est triple : favoriser une égalité entre hommes et femmes sur le marché du travail, permettre aux parents de concilier leurs vies professionnelle et familiale et assurer le bien-être et l’éducation de tous les enfants via des structures de qualité. La mise en place des politiques publiques en direction des femmes a contribué à générer un modèle à deux apporteurs de revenus qui se traduit par une forte participation des femmes au marché du travail.
Pour autant, ces dernières années, il semble que l’objectif d’égalité entre hommes et femmes soit moins prégnant, qu’il ne soit plus le fil directeur de toutes les politiques mises en place. En effet, depuis quelques années, le référentiel qui sous-tend la politique danoise se modifie : le modèle de ménage à deux apporteurs de revenus semble être délaissé au profit d’une idée de « libre choix » des familles. Cette notion de « libre choix » suppose que le fait d’utiliser ou non les congés parentaux est du ressort des parents et que l’État n’a pas à interférer. « La famille sait mieux » (Lammi-Taskula et al., 2011) : cette phrase traduit bien le nouvel état d’esprit qui préside à la politique danoise en direction des familles. Cette philosophie du libre choix peut faire craindre un retour au modèle traditionnel où la mère est considérée comme le parent « principal » sur lequel repose l’articulation vie familiale-vie professionnelle. Et certaines statistiques tant sur le marché du travail qu’en termes d’utilisation du congé parental semblent abonder dans ce sens.
Est-ce à dire qu’on assiste à un changement de paradigme lié au fait que les pouvoirs publics estiment que l’objectif « égalité des sexes » est atteint ? Est-ce une modification structurelle ? Les évolutions, ces dernières années, des instruments clés de la conciliation (le travail à temps partiel, les congés parentaux et les structures de garde d’enfants) sont-ils le signe d’une certaine désaffection pour l’égalité entre les sexes ou une modification plus conjoncturelle directement liée à la crise économique et sociale de 2008 qui a fragilisé la présence des femmes sur le marché du travail ? S’il est encore trop tôt pour affirmer que le Danemark change de paradigme de politique familiale, cette question suppose de regarder les évolutions de ces dernières années touchant les instruments de conciliation vie familiale-vie professionnelle mis en place.
Un modèle d’égalité hommes-femmes
Le Danemark fait partie des pays nordiques considérés comme précurseurs dans lesquels l’égalité hommes-femmes tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel et familial a été fortement mise en avant. Cela a si souvent été énoncé et analysé que certains sont allés jusqu’à dire que les pays scandinaves avaient une passion pour l’égalité (Graubard, 1986). De fait, l’égalité professionnelle et familiale est présente depuis des décennies dans l’agenda politique et économique (Meilland, 2009). Et le Danemark comme les autres pays nordiques ont été labellisés « woman-friendly » (Borchorst, 2009), ce qui signifie que ces pays se doivent de prendre en compte les droits des femmes et d’adopter des politiques publiques qui permettent aux femmes de « choisir » plus librement leurs vies familiales et/ou professionnelles.
Cette égalité entre hommes et femmes dans la sphère privée a été favorisée par la révision des législations des pays nordiques dans les années 1920 et 1930. La législation visait à donner aux deux parents les mêmes droits et obligations et soulignait l’intérêt de l’enfant, qui devait être l’élément central pour déterminer le choix des parents. Peu à peu dans les années 1960 et 1970, l’idée d’égalité hommes-femmes à l’intérieur des familles est apparue, notamment du fait du développement de l’activité professionnelle des femmes. Les universitaires des pays nordiques ont à cette époque développé le concept de « féminisme d’État nordique » afin de tenter d’intégrer les femmes dans des « réunions d’hommes », de développer l’intervention de l’État afin d’émanciper les femmes et de favoriser la mise en place de politiques « en faveur des femmes ». C’est à cette époque que sont nées les premières conférences sur l’égalité des sexes et entre les hommes 1 et qu’est né l’Institut nordique de recherches sur les femmes et le genre (NIKK 2). C’est durant les années 1990 que la notion de conciliation fut mise en avant comme un élément central pour l’égalité hommes-femmes. Cette conciliation passait tout d’abord par un système de structures de garde d’enfants à la charge de l’État qui soit universel, décentralisé et articulant les soins aux enfants et l’éducation. Plus tard, les systèmes de congés furent développés afin que les enfants soient gardés par les deux parents et non plus un seul (création aussi de la notion de garde partagée lors des divorces). Des réformes furent adoptées en termes de rémunération des congés, de subvention des systèmes de garde d’enfants. Et bon nombre de pays nordiques instaurèrent (ou tentèrent de le faire) à la fois des congés de paternité mais aussi un système de quota de jours de congé parental réservé aux pères non transférable. Les politiques publiques mises en place dans les années 1990 et au début des années 2000 visaient à favoriser une égalité hommes-femmes sur le marché du travail mais aussi à l’intérieur des familles. Au cours de ces dernières décennies, la volonté politique de poursuivre et promouvoir l’égalité des sexes faisait et fait toujours consensus.
Cette injonction à l’égalité hommes-femmes s’est traduite par l’augmentation de la participation des femmes au marché du travail, par la présence des femmes dans les sphères de pouvoir économique et par le partage plus égalitaire des tâches domestiques et parentales. Pour autant, le Danemark fait toujours figure de « maillon faible » (Eydal et al., 2015) des pays nordiques, notamment en termes de partage des congés parentaux, de participation des femmes au marché du travail, de ségrégation professionnelle et de partage des tâches familiales et domestiques. Le principe danois en matière de politique familiale est que la famille est le socle de l’éducation de l’enfant et que les conditions de vie des enfants sont de la responsabilité des parents. Les autorités publiques ont pour responsabilité de fournir un encadrement social le plus adapté aux besoins des familles avec enfants.
La famille à deux apporteurs de revenus comme modèle principal
Le développement de l’activité professionnelle des femmes, souhaité à la fois pour des raisons économiques et idéologiques, a fortement été favorisé par le développement des structures de garde d’enfants et des congés maternité rémunérés. Aujourd’hui, le rythme quotidien des femmes est très proche de celui des hommes et cette similarité est aussi valable en termes de mode de vie et d’espérance de vie (Norden, 2013). Les femmes travaillent au Danemark depuis plusieurs décennies : « Le Danemark et la Suède ont atteint les objectifs de Lisbonne en ce qui concerne l’emploi des femmes à la fin des années 1970, 30 ans avant la date limite fixée », notait en 2008 Anette Borschorst. En 2008, si le taux d’activité des femmes de l’Union européenne à 27 (UE 27) était de 58,3 %, au Danemark il s’établit à 73,2 % (Eurostat).
Depuis 2008, la crise a eu des effets relativement importants sur la situation des hommes et des femmes sur le marché du travail, avec toutefois des rythmes et calendriers différents. Du fait du fort impact initial de la crise sur le secteur industriel, le chômage a dans un premier temps touché plus fortement la main-d’œuvre masculine. Mais, lorsque la crise s’est étendue aux activités de services à dominante féminine, le taux de chômage des femmes a augmenté au Danemark. Si l’on compare les pays « du Nord », les situations sont différentes, le Danemark conservant une place assez singulière, à la fois proche de ses voisins nordiques mais plus marqué par les difficultés liées à la crise économique (tableau 1) et sociale (avec notamment une crise immobilière sévère qui touche essentiellement les propriétaires, nombreux, et fortement endettés). Malgré la crise et le chômage, les femmes restent actives sur le marché du travail (tableau 2).
Et les femmes travaillent, même après une naissance. Toujours en 2008, les femmes ayant un enfant âgé de moins de 3 ans ont un taux d’activité de 71,4 % au Danemark contre 50,5 % pour la moyenne européenne (tableau 3). Une grande partie d’entre elles travaille à temps partiel mais le travail à temps partiel est moins fortement développé au Danemark que dans certains autres pays nordiques (notamment la Norvège, qui en 2012 a le plus fort taux d’emploi à temps partiel des femmes – 41,5 % contre 30,0 % pour le Danemark). La forte participation des femmes au marché du travail a fait évoluer la société danoise et les structures destinées à aider les familles. La famille à deux apporteurs de revenus est devenu un modèle courant. Pour autant, les femmes travaillent davantage à temps partiel, et ce pour des raisons familiales.
Depuis 2008, la crise économique a fortement influé sur les politiques économiques mises en place dans les pays de l’Union européenne mais aussi sur les « compromis entre les hommes et les femmes » (Leschke, Jepsen, 2012). Depuis 2008, le marché du travail danois connaît une crise importante touchant les populations dites vulnérables. Dans cette situation de tensions, on voit naître de nouvelles remises en question des relations hommes-femmes. Ainsi, globalement, l’opinion selon laquelle, en période de crise, les hommes ont, plus que les femmes, droit aux emplois tend à augmenter avec en toile de fond une recrudescence de la conception plus traditionnelle des rôles masculin et féminin. Le pourcentage de personnes qui approuvent ou approuvent fortement la proposition : « lorsque les emplois se font rares, les hommes devraient avoir plus droit à un emploi que les femmes » est passée au Danemark de moins de 2,5 % en 2008 à 5 % en 2010 (Leschke, Jepsen, 2012). On voit bien que même si cette tendance reste modeste, elle connaît un certain regain.
Le travail à temps partiel : un instrument capital de conciliation
Le travail à temps partiel au Danemark, et plus généralement dans les pays nordiques, est une forme de travail assez banalisée depuis les années 1960. Il est même devenu une certaine « norme » culturelle et sociale de ces pays. L’inscription de cette forme de travail a été essentiellement subordonnée à l’augmentation du travail des femmes et aussi à l’idée que le travail à temps partiel représente une solution de conciliation pour les familles où les femmes travaillent. Ce travail à temps partiel représentait la solution pour que les deux sphères (la famille et le travail) considérées comme antagonistes puissent coexister. Les politiques en faveur de cette forme d’emploi ont été aussi pour beaucoup dans son développement.
Le travail à temps partiel demeure au Danemark une forme d’emploi genrée et marquée sectoriellement. Ainsi, les femmes qui travaillent à temps partiel sont essentiellement concentrées dans le secteur public, et seuls 11,7 % des hommes de 15-64 ans travaillaient à temps partiel en 2005 (15,2 % en 2014). L’impact de la crise ne s’est pas traduit par une augmentation du travail à temps partiel des femmes qui a été relativement stable au Danemark entre 2008 et 2012. En revanche, le graphique 1 montre que les raisons données par les femmes et les hommes sur leur recours au temps partiel a changé. Pour les femmes, la part du travail à temps partiel « faute de mieux » a progressé entre 2007 et 2012 alors que la part du travail à temps partiel pour raisons familiales a diminué. Au Danemark, le motif principal de recours au temps partiel par la main-d’œuvre masculine reste la maladie. Toutefois, en 2012, les choses semblent se modifier : le travail à temps partiel masculin est utilisé en priorité pour des raisons soit familiales soit professionnelles (formation).
Le tableau 4 renvoie aux modèles de division sexuelle du travail et à la différence entre hommes et femmes en matière de temps passé dans les activités professionnelles et dans les activités domestiques et familiales. Globalement, la différence entre hommes et femmes est du simple au double dans les activités domestiques et familiales. L’investissement des femmes dans la sphère professionnelle est donc moindre que celui des hommes.
Actuellement, le travail à temps partiel au Danemark est vu à travers quatre questions (qu’on présente séparément même si elles se recoupent) : le travail à temps partiel comme problème pour l’égalité hommes-femmes, le travail à temps partiel comme instrument de conciliation vie familiale-vie professionnelle, le travail à temps partiel « faute de mieux », le travail à temps partiel comme stratégie d’entreprise. En effet, le travail à temps partiel est dénoncé par certains auteurs (Billie, Holt, 2014) comme facteur aggravant des inégalités hommes-femmes sur le marché du travail et des inégalités salariales. Et le fait de laisser aux femmes les charges et responsabilités familiales ne permet pas de pallier ce problème. Mais le travail à temps partiel est dans le même temps plébiscité par les syndicats et les ONG (Drange, Egeland, 2014) qui le soutiennent comme un instrument essentiel de la conciliation vie familiale-vie professionnelle. Billie et Holt (2014) explicitent l’importance au Danemark de consolider le droit à travailler à temps partiel et à garder ses enfants comme un « droit à une journée de travail émotionnellement cohérente 3 ». L’idée de privilégier la vie familiale contre la vie professionnelle fait débat au Danemark et soulève des positions assez antagonistes.
Le travail à temps partiel institutionnalise une certaine vision de la conciliation et les taux de travail à temps partiel suggèrent quand même que ce sont surtout les femmes danoises qui concilient le plus souvent. Et le système de congé parental mis en place renforce cette appréciation.
Singularité du « modèle » danois dans les dispositifs de congés liés aux enfants
La protection de la parentalité a une longue histoire dans les pays nordiques. La première loi sur la maternité date de 1901 au Danemark. Mais le congé maternité tel que nous le concevons aujourd’hui date de 1960, contre 1964 en Finlande, 1956 en Norvège et 1955 en Suède. Le système en place au Danemark consiste en un congé maternité de 18 semaines, un congé paternité de deux semaines et un congé parental allant de 32 à 40 semaines. Mais il y a quelques subtilités selon le secteur d’activité notamment. Quoi qu’il en soit, la mise en place de cette combinaison de congés n’a pas eu beaucoup d’effets sur la fécondité et la natalité au Danemark (encadré 1).
Pendant le congé maternité, paternité et les congés parentaux, les salariés sont protégés contre les licenciements, à travers le renversement de la charge de la preuve. En effet, tout licenciement d’un parent en congé est présumé illégal tant que l’employeur ne fournit pas une justification valide que le renvoi n’a pas trait au congé. Cette protection est valable dès lors que le/la salarié(e) annonce son intention de faire valoir son droit à un congé maternité, paternité ou parental.
Le congé maternité : un dispositif classique mais un financement atypique
Aujourd’hui au Danemark, les femmes ont un congé maternité qui commence quatre semaines avant le terme et s’étend jusqu’à 14 semaines après l’accouchement. Les deux premières semaines après la naissance sont obligatoires. Les salariés peuvent prétendre à une allocation quotidienne basée sur les revenus antérieurs avec un plafond d’environ 554 euros par semaine (avant impôts). Cette allocation est essentiellement financée par l’État (l’impôt) sauf pour les huit premières semaines, dont les municipalités supportent la moitié du coût. Pour avoir accès à cette allocation, la mère devra avoir travaillé 120 heures durant les 13 semaines précédant la naissance. Les travailleurs ayant un contrat temporaire ne bénéficient pas de cette allocation s’ils ne sont pas éligibles à l’allocation chômage. Le congé maternité reste le même pour toutes les naissances, y compris les naissances multiples. Avec la révision en 2009 de la loi sur la maternité (Barselsloven), les parents de même sexe et les parents adoptants ont les mêmes droits. Le montant des allocations versées au cours du congé maternité correspond au montant des prestations d’assurance chômage (environ 90 % du dernier salaire). En 2014, en moyenne, cela correspondait à 4 075 couronnes par semaine (soit environ 546 euros). Les parents au chômage conservent par ailleurs le droit aux prestations sociales, qui peuvent cependant s’avérer moins élevées que les allocations de congé maternité. Les étudiantes peuvent aussi bénéficier de l’indemnité maternité si elles ont terminé une formation professionnelle d’au moins 18 mois.
Le congé maternité est régulé à la fois par la législation et par les conventions collectives. En 2006, une étude montrait qu’environ 99 % des mères des enfants nés en 2005 avaient pris un congé maternité. Dans cette étude (reprise par Bloksgaard, Rostgaard, 2014), la plupart des femmes confiait que la prise de congé maternité et parentaux n’avait pas causé de réaction négative de la part de leurs employeurs et de leurs collègues. En 2011, 75 % de la force de travail était couverte par des accords collectifs (Bloksgaard, Rostgaard, 2015) qui leur permettaient de percevoir l’intégralité de leur salaire antérieur. Ce pourcentage est en constante diminution depuis la crise économique de 2008, notamment parmi les jeunes (Bloksgaard,
Rostgaard, 2015 ; Meilland, 2015). Par ailleurs, depuis la crise économique également, les syndicats notent une augmentation des licenciements de femmes salariées durant leur congé maternité ou parental. La plupart de ces cas se sont terminés par un accord financier d’environ six à neuf mois de salaire.
Pour aider les employeurs à financer les indemnités compensatrices lors des maternités, des fonds de remboursement ont été créés. En 1996, un premier fonds de congé a été mis en place pour « rembourser » les coûts des congés supportés par les employeurs privés. Dans les années qui ont suivi, différentes municipalités ont aussi mis en place des fonds identiques. Et en 2005, ce système d’assurance congés a été rendu obligatoire dans toutes les municipalités. Le but est de mettre en commun les coûts pour les employeurs des congés pris par les parents, afin, notamment, que les entreprises ayant une main-d’œuvre essentiellement féminine ne supportent pas des coûts plus importants. Depuis 2006, les employeurs privés doivent obligatoirement faire partie d’un fonds. Cette obligation est inscrite dans la loi de 2006 sur le droit de compensation de la maternité qui vise à accroître l’égalité hommes-femmes sur le marché du travail en compensant les cotisations patronales à payer durant les congés et à favoriser l’augmentation du taux d’activité des femmes en âge de procréer. Dans le fonds privé le plus important, DA-Barsel 4, les employeurs payent entre 80 et 110 euros par an pour chaque salarié à temps complet (les contributions dépendent du nombre d’heures travaillées par le salarié) et reçoivent un remboursement allant jusqu’à 25 euros par heure durant 31 semaines (maximum). Le coût supplémentaire de compensation pour les salariés qui ont de hauts salaires (supérieurs à 4 022 euros par mois) est à la charge de l’employeur. En 2010, environ 100 000 entreprises du secteur privé étaient couvertes par ces fonds.
Le congé paternité, créé en 1984, d’une durée de deux semaines, peut être pris à tout moment dans les 14 semaines suivant la naissance de l’enfant. L’indemnisation est la même que pour le congé maternité. Et il concerne les salariés reconnus comme étant engagés dans une relation, y compris les partenaires de même sexe.
Le congé parental : la prédominance du libre choix des parents
En termes de congé parental, chaque parent dispose depuis 2002 de 32 semaines de congé et ce jusqu’aux 48 semaines de l’enfant (auparavant, il ne disposait que de 22 semaines). C’est un droit individuel. Pour autant, si chaque parent peut disposer de 32 semaines de congé, seul un congé de 32 semaines par famille sera rémunéré. Les deux parents peuvent prendre ce congé en même temps ou le partager ; entre huit et 13 semaines peuvent être prises plus tard jusqu’aux 9 ans de l’enfant ; chaque parent peut prolonger les 32 semaines de huit semaines ou 14 semaines. Dans ce cas, l’indemnisation est réduite sur la durée choisie. La durée maximale du congé parental est de 52 semaines (y compris congé maternité et paternité). Il est aussi possible de combiner travail à temps partiel et congé parental : dans ce cas-là, l’indemnisation est réduite et le congé prolongé de 32 à 64 semaines. Enfin, dans le secteur industriel, trois semaines de congé parental sont réservées aux pères (par accord collectif).
Les allocations de congé parental s’élevaient à 211 900 couronnes (soit environ 28 400 euros) en 2014. Globalement, le congé parental est long et bien rémunéré. Il reste le même quel que soit le nombre d’enfants : chaque enfant, quelle que soit sa place dans la fratrie, a les mêmes droits que les autres et génère les mêmes droits pour les parents.
Le congé parental a essentiellement été modifié en 2002 sous un gouvernement libéral/conservateur avec l’ambition de créer une plus grande flexibilité pour les familles qui ont des enfants. Plusieurs propositions ont été présentées et mises en place : d’une part allonger le congé parental, d’autre part favoriser le droit au travail à temps partiel sans aucun obstacle direct ou indirect et sans aucune restriction et enfin supprimer le quota du congé parental réservé aux pères. Face à ces propositions, nombre de chercheurs, notamment Hilda Romer Christensen (propos repris par Hyldtoft, 2002), coordinatrice des recherches sur le genre à l’Université de Copenhague, ont exprimé leurs craintes que le but caché de ces réformes soit de vouloir renvoyer les femmes à la maison. Lene Askgaard Hyldtoft (2002) explique que cette extension des congés parentaux n’a pas été une mesure revendiquée par les femmes alors que ce sont elles qui l’utilisent le plus souvent. D’après cet auteur, la revendication vient plutôt des hommes. Ainsi, améliorer les congés maternité/parentaux a toujours été une priorité de premier ordre pour l’Union générale des travailleurs (SID 5), dont la majorité des membres sont des hommes. Par ailleurs, le parti social-démocrate et le parti social-libéral ont aussi inscrit l’allongement des congés parentaux à l’agenda, avec toutefois l’objectif d’augmenter les droits des pères en introduisant un quota qui leur est réservé. Les initiatives du gouvernement en 2002 ont été dans une direction inverse tout en se référant à la notion de libre choix pour les familles, notion clé au Danemark.
Évaluer la prise du congé parental par les mères au Danemark reste difficile étant donné que Statistics Denmark, source statistique la plus complète et fiable, ne donne pas d’information sur ce sujet. Une étude parue en 2007 montre que 94 % des mères utilisent le congé parental (Lammi-Taskula et al., 2011) et qu’en moyenne les femmes prennent 28 semaines de congé. Parmi les pères qui ont accès à un congé parental rémunéré, 45 % prennent uniquement le congé de paternité, les 55 % restants prennent quelques jours de plus.
Les statistiques globales (tous congés confondus) montrent que sur la période 2007-2010, le nombre de jours pris par les pères (quand pères et mères prennent un congé parental, mais pas forcément en même temps) augmente. En 2007, les pères prenaient en moyenne 32 jours de congés et ils en prennent 37 et 36 jours en 2012 et 2013. Dans les familles où seul le père prend un congé parental, il prend en moyenne 54 jours en 2012 et 49 jours en 2013 (Bloksgaard, Rostgaard, 2015). L’analyse montre que les pères qui prennent un congé parental ont un niveau d’études et d’éducation plus élevé et travaillent plus fréquemment dans le secteur public, dans lequel les droits aux congés sont plus sécurisés et mieux rémunérés. Leurs partenaires, qui présentent les mêmes caractéristiques, prennent souvent eux aussi un congé parental. La plupart du temps, les femmes unies à ces hommes sont aussi plus désireuses de retourner sur le marché du travail. Des études qualitatives montrent que peu de parents « négocient » entre eux la division du congé parental qui est automatiquement dévolu aux mères, selon un schéma traditionnel et culturel. Une étude récente soulignait que les pères danois limitent la prise de jours de congé parental par peur des conséquences professionnelles et/ou parce qu’ils estiment que le monde du travail n’est pas encore très adapté à ces congés (Bloksgaard, Rostgaard, 2015). En ce qui concerne le nombre de jours pris par les mères (quand les deux conjoints prennent un congé parental), il est relativement stable depuis 2007 et s’établit à 292 jours en 2007 et 297 en 2013. Quand seule la mère prend un congé parental, le congé pris avoisine 310-312 jours.
Depuis 1997, l’utilisation du congé parental par les pères et les mères varie en fonction des dispositions législatives et conventionnelles. L’impact de la loi et des conventions collectives est très net et modifie les attitudes, les comportements des individus.
Le quota du congé parental réservé aux pères : de l’échec législatif au « sauvetage » conventionnel
À l’instar de ses voisins, le Danemark a décidé en 1998 d’instaurer un quota de semaines réservé aux pères dans le congé parental.
Genèse et histoire
L’idée de réserver une partie du congé parental aux pères est apparue au début des années 1990 et devait permettre de s’assurer que ces derniers aient la possibilité de prendre un congé parental pour s’occuper de leurs enfants. C’était un congé qui venait en sus du congé parental actuel. Dans le cas des pays nordiques, le premier pays à mettre ce quota en place fut la Norvège en 1993, suivie par la Suède en 1995, le Danemark en 1998, l’Islande en 2000 et très tardivement la Finlande (en 2003, mais la mise en place effective n’a eu lieu qu’en 2013). Le Danemark a cependant supprimé la législation sur ce quota réservé aux pères en 2002 et dans le même temps allongé de dix semaines le congé parental global. Revenir sur cet « épisode » permet de mieux comprendre le Danemark, sa place particulière au sein des pays nordiques, sa conception de la conciliation vie familiale-vie professionnelle.
L’idée de réserver des semaines aux pères dans l’attribution du congé parental est apparue dans un climat de changement des place et rôle des pères dans la famille. La Norvège et la Suède avaient déjà mis en place cette réforme du congé parental quelques années plus tôt. Cependant, lorsqu’on regarde l’évolution du congé paternité et du quota du congé parental réservé aux pères dans les pays nordiques entre 2010 et 2014, on constate que le Danemark s’éloigne vraiment de ce modèle nordique et va même à l’inverse de ces pays (tableau 5).
Un échec législatif
Le quota de deux semaines réservé aux pères a été mis en place au Danemark en 1998 par le gouvernement de centre-gauche et supprimé en 2002 par une coalition de centre-droit (voir supra). L’argument de cette suppression était que ce quota réservé aux pères constituait une obligation pour les pères alors que cette décision devait uniquement relever de la sphère privée. Face à ce recul du gouvernement en termes de conciliation, les syndicats ont réagi en incitant à la mise en place de ce quota réservé aux pères, via les accords collectifs. Ce qui fut le cas notamment dans la fonction publique : tous les pères qui y travaillent pouvaient avoir, à partir de 2008, accès à un congé de six mois qui leur était réservé avec maintien du salaire.
Même si en 2011 il y a eu quelques tentatives de la part des politiques pour réinstaurer le quota réservé aux pères, rien de concret n’a vu le jour depuis 2002. En effet, cette question de la remise en place du quota avait été évoquée lors de la campagne électorale de 2011 mais sans aucune volonté politique forte. D’ailleurs, il convient de relever que ce point ne semble pas non plus au cœur des préoccupations des Danois : ainsi, un rapport de 2006 (repris par Bloksgaard, Rostgaard, 2014) mentionnait que 37 % des hommes et 23 % des femmes interrogés étaient en faveur de la réintroduction du quota de congé parental réservé aux pères. Ce faible enthousiasme de la part des femmes pouvait s’expliquer par le fait que les semaines réservées aux pères étaient à déduire des semaines que les femmes pouvaient prendre. Beaucoup de Danois restent attachés ainsi à la notion de libre choix des parents et c’est l’une des spécificités de la politique familiale danoise, qui diffère sur ce point fondamentalement de la politique familiale suédoise : le congé parental est totalement au libre choix des parents (l’État n’a pas à s’en occuper), mais le système de garde d’enfants est, comme nous le verrons plus loin, essentiellement de la responsabilité de l’État. L’abandon de l’idée de restaurer un quota avait été accepté par le gouvernement de l’époque en 2011 contre la promesse de mettre en place un comité qui établirait un rapport sur ce sujet en 2013. Cette proposition du comité a elle aussi été délaissée pour faire place à une incitation fiscale, à l’instar de la Suède, de manière à encourager les couples à se partager le plus équitablement possible les congés parentaux et ainsi, inciter les pères à prendre davantage le congé parental. Le peu de succès de cette réforme fiscale en Suède a toutefois conduit les autorités danoises à délaisser cette idée. En avril 2014, le Parti socialiste (Socialistik Folkeparti), qui a démissionné de la coalition gouvernementale, a présenté une motion pour remettre en place un quota réservé aux pères. L’objectif de cette motion, qui a été rejetée en avril 2015, était de forcer le gouvernement à prendre position sur cette question. On voit combien le débat sur l’individualisation du congé parental selon le sexe du parent reste encore un sujet brûlant, notamment au sein des partis politiques. Au Danemark, la position actuelle du gouvernement de centre-droit reste celle du libre choix des parents. Mais cette notion réactive le plus souvent le schéma traditionnel genré du marché du travail, avec le père qui se consacre à la vie professionnelle et la mère aux tâches parentales et domestiques.
Des conventions collectives à la rescousse
Face à cet échec législatif, des accords collectifs ont tenté de protéger les droits des pères au congé parental. Depuis 2007, les conventions collectives du secteur industriel (quelque 7 000 employeurs) prévoient un quota payé et réservé aux pères dans le congé parental. Le droit au congé qui leur était alloué était de trois semaines maximum de congé parental avec maintien du salaire. D’autres conventions se sont inspirées de celles-ci et ont tenté d’instaurer un tel congé parental réservé aux hommes. En 2012, une clause de l’accord du secteur industriel a été modifiée. Cette clause conditionnait le salaire reçu par les pères durant le congé au fait qu’ils le prendraient à la suite du congé maternité, c’est-à-dire à partir de la 15e semaine après la naissance. La suppression de cette clause a permis un assouplissement des dispositions et une flexibilité dans la prise du congé parental. Au printemps 2008, durant les négociations sur le marché du travail, un modèle similaire de congé parental réservé aux pères a été introduit dans le secteur public avec un quota de six semaines rémunérées ; ce quota est passé à sept semaines à l’issue des négociations sur l’emploi dans le secteur public du printemps 2015.
Dans le même temps, le secteur public a aussi mis en place un congé parental pour ses travailleurs. Ainsi, si les deux parents travaillent dans le secteur public, ils ont droit à un congé parental rémunéré (100 % du salaire) à prendre après le congé maternité et s’articulant en trois parties égales (6+6+6). Six semaines sont réservées à la mère, six autres au père et six semaines peuvent être partagées entre le père et la mère.
Une utilisation « malgré tout » du congé parental par les pères
Si le recours des mères aux congés parental reste difficile à apprécier (voir supra), il existe des informations plus importantes sur l’utilisation par les pères du congé parental. La production de données sur ce point a sans doute été stimulée par le sabordage de la tentative de réintroduction d’un quota réservé aux pères. En effet, l’introduction de ce quota entre 1998 et 2002 a fortement incité les hommes à prendre ce congé : seuls 12 % des pères prenaient quelques jours de congé en 1997 contre 36 % des pères en 2001.
Depuis 2002, le taux d’utilisation des jours de congé parental par les pères a connu des évolutions assez contradictoires. S’il a, sous l’influence de la suppression de la loi, connu une baisse importante, ce taux a ensuite enregistré une augmentation assez lente. Cette évolution est à mettre d’abord au crédit des accords signés dans les conventions collectives (notamment de branches, comme dans le secteur industriel) sur les congés parentaux réservés aux pères. De plus, l’introduction du quota en 1998 a encouragé un changement culturel dans le comportement des jeunes pères et dans le rôle qu’ils veulent tenir en rapport avec leur parentalité.
Ainsi, depuis 2000, le nombre de jours de congé pris par les pères a connu une augmentation certaine (tableau 6). On voit que les pays nordiques se partagent en deux groupes avec d’une part la Finlande et le Danemark et de l’autre la Norvège, la Suède et l’Islande. L’engouement pour le congé parental réservé aux pères est très variable d’un pays à l’autre. Le Danemark apparaît plus rigide sur cette question que ses pays voisins. Et de fait, en supprimant le quota réservé aux pères, il apparaît moins désireux d’avancer vers l’égalité entre les sexes en termes de prise du congé parental. Du moins, institutionnellement parlant, puisque l’augmentation du nombre de jours pris par les pères au Danemark est le fait des conventions collectives et de leur plus grande flexibilité. Il y a peu, Finansforbundet, un syndicat danois du secteur financier confirmait, chiffres à l’appui, la croissance très nette de la prise des congés paternité chez les salariés diplômés du secteur financier. En effet, la vice-présidente de ce syndicat, Solveig Orteby, déclarait que « la possibilité de percevoir le plein salaire pendant les congés a débouché sur une avancée décisive dans les congés de paternité 6 ». Les statistiques produites par le syndicat du secteur financier (dont la convention collective garantit le plein salaire jusqu’à quatre mois de congé parental) montrent que les hommes travaillant dans ce secteur ont doublé leurs congés de paternité depuis 2006, et prennent aujourd’hui 60 jours en moyenne contre 38 jours pour le reste des salariés. Cette tendance à l’allongement des congés de paternité se fait jour aussi chez les juristes : en effet, le syndicat des juristes, Djof, a constaté que 41 % des membres de moins de 40 ans ont pris un congé parental de trois mois ou plus contre une moyenne générale de 27 % des salariés de la même tranche d’âge. Selon le syndicat, la principale raison de cette utilisation croissante des droits à congé parental vient de la possibilité de toucher un plein salaire pendant le congé 7.
Par ailleurs, ce que les statistiques ne montrent pas, c’est la différence d’utilisation des jours de congé entre les pères qui travaillent dans la fonction publique et les pères qui travaillent dans le secteur privé. Il semble en effet que depuis la crise de 2008, tant le recours aux congés que le nombre de jours pris par les pères travaillant dans le secteur privé soient en diminution. Cette diminution est contrebalancée par la hausse du nombre de jours pris par les pères travaillant dans le secteur public.
La résistance des structures d’accueil des jeunes enfants : un service public, universel, décentralisé
La période maximale du congé parental rémunéré est de 11 mois. Mais dès son sixième mois, l’enfant a droit à une place en structure d’accueil. Le congé parental s’articule donc aux structures de garde.
Les politiques publiques danoises destinées aux enfants et aux familles sont concentrées essentiellement dans l’offre de structures de garde d’enfants. C’est l’un des piliers de la politique familiale danoise. En effet, a contrario de la Suède, le Danemark a fortement investi dans des services publics de gardes d’enfants et a « laissé » aux parents le choix de se partager ou non le congé parental. Chaque enfant a le droit d’être gardé : ce qui auparavant (début du XXe siècle) était un besoin est devenu un droit individuel pour chaque enfant dès 1964. Trois caractéristiques majeures du système de garde d’enfants danois sont essentielles : il s’agit d’un système universaliste, qui a pour objectif de prendre soin de tous les enfants ; c’est un système décentralisé ; enfin, il prône pour les enfants une éducation basée sur des idées sociales et pédagogiques. Pour cela, il faut que les parents puissent choisir entre différentes structures celle qui convient le mieux à leurs besoins. Et que la structure choisie, quelle qu’elle soit, soit une garde de qualité, ouverte à tous et ce quels que soient les revenus des parents. De fait, ces structures de garde ont pour obligation d’être flexibles, de favoriser le bien-être de l’enfant, de le stimuler dans son apprentissage, de l’épauler dans le développement de son identité et de faciliter l’intégration de tous les enfants.
Cet engagement de l’État est relativement ancien : l’ouverture des premières structures de gardes d’enfants date de 1919. Puis l’offre s’est développée tout au long du XXe siècle sous l’impact de l’industrialisation notamment. En 1964, l’institutionnalisation des structures de garde d’enfants et la responsabilité de l’État dans la garde d’enfants furent inscrites dans la loi. L’objectif de cette loi était de répartir les coûts de garde des enfants entre l’État, les municipalités et les parents, et de favoriser l’intégration des femmes mariées au marché du travail. Et de fait, si à la fin des années 1950 les trois quart des femmes mariées étaient encore femmes au foyer, en 1970, la moitié des femmes mariées étaient actives. Depuis lors, le Danemark conserve un des plus hauts taux d’utilisation des structures de garde. Actuellement, près de 98 % des enfants âgés de 3 à 5 ans et 90 % des enfants âgés de 1 à 3 ans bénéficient des structures de garde d’enfants publiques (tableau 7). Le principe fondateur de cette politique est que tout enfant entre 6 mois et 5 ans a droit à une place dans les structures de garde d’enfants et ce, indépendamment de la situation des parents sur le marché du travail. Ce droit individuel à avoir une place dès que l’enfant a 26 semaines se cumule avec le congé parental qui se prolonge bien au-delà de ce délai. De 1995 à 2010, le pourcentage d’enfants gardés de moins de 5 ans a fortement augmenté, notamment pour la tranche intermédiaire des 1-3 ans.
L’État garantit à toutes les familles un accès à une structure de garde et ce sont les municipalités qui subventionnent pour au moins 75 % les frais de garde d’enfants, quel que soit le mode de garde choisi par les parents (encadré 2). Les municipalités, responsables des structures de garde d’enfants, doivent assurer que tous les enfants âgés de 26 mois à 6 ans puissent avoir une place de garderie à temps complet. C’est aussi de leur responsabilité de déterminer et de rendre publics des objectifs pour les structures de garde d’enfants.
Étant donné que la majorité de ces structures sont à la charge des municipalités, leurs dépenses sont aussi, au moins pour 75 %, à leur charge. La participation financière des parents ne doit pas dépasser 25 % du coût de fonctionnement brut moyen du type de service de garde concerné. Ce qui varie d’une municipalité à l’autre : une étude récente a montré que le coût mensuel pour les parents peut varier entre 226 euros et 365 euros (Rostgaard, 2014). Mais la participation des parents dépend également de leurs revenus. Dans certains cas, une aide supplémentaire est versée par les autorités locales afin de réduire le montant payé par les parents aux services de garde : il s’agit de « l’allocation d’aide au placement ». Cette allocation est calculée en fonction du revenu des parents, ce qui permet aux familles à très faibles revenus de bénéficier de ces services gratuitement. De plus, les familles reçoivent une subvention pour les fratries. Lorsque plusieurs enfants de la famille sont placés dans une structure d’accueil et de garde, le service le plus onéreux est payé à plein tarif, tandis qu’une remise de 50 % est appliquée au placement des enfants suivants, qu’ils soient de la même fratrie biologique, adoptés ou issus de différentes unions mais vivant sous le même toit.
Les dépenses publiques totales s’élevaient en 2012 à environ 3,4 milliards d’euros (Danish Technological Institute, 2013). La dépense totale par enfant de 0-2 ans est de 14 700 euros par an dans les family day care et de 17 700 euros par an et par enfant de 0-2 ans dans les day care institutions et de 10 000 euros par enfant âgé de 3 à 5 ans et par an.
L’importance donnée au Danemark à un taux de couverture élevé des enfants, à une prise en charge de qualité, à temps plein et à un coût abordable sont des objectifs politiques de longue date. Mais, avec la crise de 2008 et les réductions des budgets des municipalités, les évolutions ces dernières années ont mis en danger la permanence de ces structures de garde d’enfants. En effet, les municipalités 8 qui ont promis de ne pas augmenter les impôts depuis la crise, mais qui ont du mal à équilibrer leurs budgets, ont choisi de fermer les structures de garde quelques jours par semaine (Borchorst, 2009).
Toutefois, le gouvernement s’est engagé ces dernières années, notamment via les lois de finance de 2012 et 2015, à allouer un total de 750 millions de couronnes par an (plus de 100 millions d’euros) pour maintenir la présence d’un personnel plus qualifié au sein des services de garde d’enfants. Et le nouveau programme pilote « Future Day Care » prévoit des efforts de développement et de recherche importants dans le domaine des services d’accueil et de garde d’enfants. Il se concentre notamment sur une meilleure définition et une remise à jour des pratiques pédagogiques. Un budget de 25 millions de couronnes (3,35 millions d’euros) a été alloué à ce programme de développement, qui doit prendre fin en 2017.
La flexibilité est aussi au centre de l’offre de garde. D’une part, les parents peuvent recevoir une allocation de garde d’enfants d’une année s’ils choisissent de ne pas utiliser l’offre traditionnelle de garde. D’autre part, un dispositif nommé « familieflexordningen » permet aux parents d’utiliser de façon flexible l’offre de garde, ce qui de fait module les coûts de la garde. Chaque municipalité décide du degré de flexibilité qu’elle va offrir en termes de garde d’enfants et de coûts.
Conclusion
Au Danemark, la conciliation vie familiale-vie professionnelle donne à voir une construction sociale du rôle de la femme-mère et père-homme très singulière, mêlant à la fois une approche militant pour l’égalité hommes-femmes et une pratique assez traditionnelle de recours aux congés parentaux et du travail à temps partiel, basée sur une conception libérale de liberté de choix. Un peu comme si ce choix des dispositions du congé parental n’intervenait que très peu dans les relations entre hommes et femmes sur le marché du travail et restait confiné à un cadre personnel et familial. Sur ce point, le rôle de l’État reste assez neutre : il met à la disposition des familles des instruments de conciliation (supposés favoriser l’égalité hommes-femmes) et laisse les parents libres de les utiliser ou non.
L’analyse des politiques de conciliation montre les paradoxes du modèle danois. En effet, la crise de 2008 a fragilisé les femmes sur le marché du travail, mais elle a plus fortement frappé les hommes. Elle semble avoir favorisé un retour des rôles traditionnels des hommes et des femmes, mais ce mouvement était déjà enclenché avant (notamment avec l’échec du quota de congé parental réservé aux pères), même s’il reste très limité. La crise semble surtout avoir généré un certain abandon de la problématique d’égalité des sexes. Pour autant, de multiples voix se font entendre dans le monde de la recherche notamment (Anette Borchorst, Tine Rostgaard…) pour lutter contre un potentiel silence sur ce sujet.
Si la conciliation vie familiale-vie professionnelle au Danemark a certainement « souffert » de la crise économique, il faut relativiser son impact. En effet, il ne faut pas négliger le rôle des conventions collectives lorsque les politiques publiques font défaut. C’est notamment le cas avec le congé parental réservé aux pères dans le secteur de l’industrie ou dans la fonction publique. Cette conception de la conciliation, ce mélange entre législatif et négociation collective permet toujours de poursuivre l’objectif d’égalité hommes-femmes en termes d’intégration des femmes sur le marché du travail, en termes de formation (initiale et tout au long de la vie), en termes de représentation politique et en termes de droit des femmes.
Sources :
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Bloksgaard L, Rostgaard T. (2014), « Denmark Country Note », in Moss P. (ed.), International Review of Leave Policies and Research 2014, http://www.leavenetwork.org/fileadmin/Leavenetwork/Country_notes/2014/Denmark.pdf.
Bloksgaard L., Rostgaard T. (2015), « Denmark
Country Note », in Moss P. (ed.), International Review of Leave Policies and Research 2015, http://www.leavenetwork.org/fileadmin/Leavenetwork/Country_notes/2015/denmark.pm.pdf.
Borchorst A. (2009), « Scandinavian Gender Equality: Competing Discourses and Paradoxes », Working Paper, n° 69, FREIA, Aalborg University.
Danish Technological Institute (2013), PLA on Early Childhood Education and Care in Copenhagen, 20-22 November, Summary Report, 29 November.
Drange I., Egeland C. (2014), Part-time Work in the Nordic Region II. A Research Review on Important Reasons, Norden Copenhagen.
Eurostat, site internet, http://ec.europa.eu/eurostat.
Eydal G.B., Gislason I.V., Rostgaard T., Brandth B., Duvander A.-Z., Lammi-Taskula J. (2015), « Trends in Parental Leave in Nordic Countries: Has the Forward March of Gender Equality Halted? », Community Work and Family, vol. 18, n° 2, p. 167-181.
Graubard S.R (1986), Norden: The Passion for Equality, Oslo, Norwegian University Press.
Hyldtoft L.A. (2002), Increased Flexibility for Families May Be a Set-back for Gender Equality, EIRO, http://www.eurofound.europa.eu/observatories/eurwork/articles/other-working-conditions/increased-flexibility-for-families-may-be-a-set-back-for-gender-equality.
Lammi-Taskula J., Brandth B., Duvander A.-Z., Gislason I.V., Eydal G.B., Rostgaard T. (2011), Parental Leave, Childcare and Gender Equality in the Nordic Countries, Norden, Copenhagen.
Leschke J., Jepsen M. (2012), « Introduction : crise, réactions politiques et creusement des inégalités dans l’Union européenne », Revue internationale du travail, vol. 151, n° 4, décembre, p. 317-342.
Mailand M. (2014), « Austerity Measures and Municipalities: The Case of Denmark », Transfer, vol. 20, n° 3, p. 417-430.
Meilland C. (2009), « Danemark : L’égalité professionnelle : un sujet d’actualité malgré la crise », Chronique internationale de l’IRES, n° 119, juillet, p. 23-30.
Meilland C. (2015), « Danemark : Réforme de 2014 : où en est-on en matière d’égalité salariale hommes-femmes ? », Chronique internationale de l’IRES, n° 150, juin, p. 39-54.
Rostgaard T. (2014), Family Policies in Scandinavia, Friedrich Ebert Stiftung, December.
* Chercheure à l’IRES.
1. Towards New Masculinities – Report from a Nordic Conference on Men and Gender Equality, 1995.
2. La mission de l’institut NIKK est de partager et de rassembler les informations relatives au genre et à l’égalité des sexes à la fois en termes de politiques mises en place mais aussi en termes de pratiques. Le champ géographique couvert est celui des pays nordiques, à savoir le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Suède et les régions autonomes comme le Groenland. Cet institut, né en 1995 de la volonté du Conseil des ministres nordiques, s’est au tout début appelé Nordic Institute for Women’s Studies and Gender Research. Il a été rebaptisé NIKK en 2006-2007.
3. « Right to an emotionally coherent working day ».
4. http://www.dabarsel.dk/en.
5. La Specialarbejderforbundet i Danmark fait partie de la Confédération danoise des syndicats (Landesorganisationen i Danmark, LO), majoritaire du Danemark. En 2005, SID s’est regroupé avec Kvindeligt Arbejderforbund (KAD), un syndicat de femmes, pour former 3F (344 400 membres), le plus grand syndicat de LO.
6. « Danemark : les salariés les plus diplômés champions de la prise de congés paternité »,
Planet Labor, n° 120402, 19 juin 2012.
7. Planet Labor, ibid.
8. Les municipalités ont subi de plein fouet la crise financière de 2008 via les mesures d’austérité initiées par le gouvernement. Certaines municipalités ont subi des coupes budgétaires de plus de 7 % de leur budget mais la plupart des municipalités ont subi des coupes comprises entre 2 et 5 %. Ces restrictions ont eu des répercussions à la fois sur les niveaux d’emploi dans ces municipalités, sur les salaires des travailleurs (avec un quasi gel en 2011 et 2013), mais aussi sur l’offre des services publics (Mailand, 2014).