La conciliation vie familiale-vie professionnelle a bénéficié d’une attention politique accrue ces dernières décennies dans les pays de l’OCDE. Globalement, il n’existe pas de tendance commune aux politiques de conciliation mises en place dans les pays étudiés même si leur objectif reste commun : inciter les femmes à entrer et à rester sur le marché du travail. L’analyse des différentes monographies nationales sur les deux instruments de conciliation que sont les congés liés aux enfants et leurs modes de garde au cours de la période récente met en avant trois résultats principaux : d’une part, les modèles de conciliation restent dépendants et liés aux modes de régulation des pays, d’autre part la variété des modèles font écho à la spécificité des relations emploi-famille dans les pays et à la singularité des modèles d’emploi féminin nationaux et enfin les dispositifs de conciliation étudiés ont été fortement épargnés par la crise dans la majeure partie des pays.
La conciliation vie familiale-vie professionnelle a bénéficié d’une attention politique accrue ces dernières décennies, comme le montrent nombre de travaux sur cette question (Adema, Ali, 2015). Dans les pays de l’OCDE, les dépenses publiques bénéficiant aux familles sont passées de 2,3 % du PIB en 2001 à près de 2,9 % en 2009 (Thévenon et al., 2014). Parmi ces dépenses, une partie sert à financer les instruments pour une « meilleure » conciliation et notamment les congés parentaux et les structures d’accueil des jeunes enfants.
Les préoccupations sociétales des pays de l’OCDE paraissent relativement semblables et sont justifiées par la nécessité de favoriser l’emploi des femmes et de répondre aux nouveaux enjeux démographiques. Les instruments de conciliation, notamment les congés parentaux et les structures d’accueil des jeunes enfants, mis en place suivant des calendriers différents 1, ont pour objectif commun d’inciter au développement de l’emploi féminin ces dernières décennies et de faire face aux besoins générés par la multiplication des couples biactifs. Très souvent, il s’agit aussi de faire face à l’augmentation des situations de ruptures familiales et de risque de pauvreté des enfants et des mères isolées. L’arrivée massive des femmes sur le marché du travail à partir des années 1960 a constitué une première voie vers l’émancipation des femmes et un défi à la résolution de l’équation travail/famille. Mais lorsqu’on analyse l’emploi des femmes dans les pays de l’OCDE, même si une tendance commune se dégage (le taux d’emploi des femmes est moindre que celui des hommes, elles restent cantonnées dans certains emplois, certaines durées du travail, le plafond de verre semble persistant…), les spécificités nationales demeurent en termes de temps de travail, de trajectoires professionnelles continues ou non, etc. Pour autant, du fait de modalités très variées de développement de l’emploi féminin, de la diversité des contextes institutionnels et culturels, qui confèrent à l’enfant une place singulière au sein de chaque société, les politiques de conciliation demeurent très différentes dans les pays de l’OCDE.
La confrontation entre d’une part une croissance sans précédent d’une offre de services et de produits destinés à la prise en charge du travail domestique 2 et familial et d’autre part la permanence d’une division du travail sexuée est paradoxale. Il est donc d’autant plus pertinent de s’interroger si les outils de la conciliation ont conduit à une sorte d’impasse ou s’ils demeurent insuffisants. Par ailleurs, il convient d’examiner si la crise qui a impacté, à des degrés divers, les marchés du travail a exacerbé les tensions qui pèsent sur les modèles de conciliation des différents pays de l’OCDE.
Globalement, il n’existe pas de tendance commune aux politiques de conciliation mises en place par les pays étudiés dans ce numéro. Si dans tous les pays, des congés maternité ou des congés parentaux existent, l’exemple des États-Unis (Sauviat, dans ce numéro) montre que l’accès à des congés est loin d’être universel. Pour autant, dans bien des pays, des politiques ont été mises en place afin de favoriser la conciliation vie familiale-vie professionnelle et d’inciter les femmes à entrer et revenir sur le marché du travail. Le contexte économique et les impératifs budgétaires semblent influer sur les moyens dont disposent les États pour améliorer cette conciliation mais pas tellement sur la nécessité de le faire, qui semble largement acquise. Mais les facteurs structurels, institutionnels, historiques et culturels participent aussi au façonnement et à la construction de modèles de conciliation nationaux.
L’objectif de cet article est de proposer des éléments de synthèse sur les transformations ayant affecté ces deux instruments de conciliation que sont les congés liés aux enfants et les modes de garde au cours de la période récente (et un peu moins récente quand cela était nécessaire à la compréhension) mais aussi et surtout d’appréhender les caractéristiques des différents modèles de conciliation dans les pays de l’OCDE. Pour ce faire, la première partie sera consacrée à la présentation de ces deux éléments à concilier que sont la famille (à partir d’une analyse de l’évolution des taux de fécondité) et l’emploi. Nous montrerons aussi comment, notamment dans certains pays, le travail à temps partiel est utilisé comme un instrument de conciliation par défaut. Dans un deuxième temps, nous tenterons de mettre en avant les traits saillants des modèles de conciliation dans les pays étudiés dans ce numéro de la Chronique internationale de l’IRES, à savoir l’Allemagne, la Bulgarie, le Danemark, les États-Unis, la Grèce, le Japon, les Pays-Bas, le Portugal et la Suède. Il s’agira en premier lieu de souligner comment les modes de régulation à l’œuvre dans les différents pays conditionnent les relations emploi-famille, puis de présenter les évolutions récentes en matière de congés parentaux et de structures de garde d’enfants.
Famille et emploi : des modèles de division sexuelle du travail variés
Avant même de s’intéresser plus avant aux modèles de conciliation présents dans les pays étudiés dans ce numéro spécial, un détour par les caractéristiques de l’emploi et de la famille est nécessaire. A-t-on affaire aux mêmes familles dans les différents pays de l’OCDE ? Aux mêmes marchés du travail ? Même si les modèles de conciliation ne s’expliquent pas uniquement par une caractérisation de ces deux éléments présentés ici 3, ils en sont néanmoins indissociables.
Les différents régimes d’État-providence liant emploi et protection sociale existant dans les pays de l’OCDE influencent les structures familiales et vice versa (Esping Andersen, 1999 4) : ils peuvent développer une approche familialiste ou dé-familialiste. La première approche se caractériserait par « un système dans lequel les pouvoirs publics assument et même insistent sur le fait que les ménages doivent supporter et assumer la responsabilité du bien-être des membres de la famille. Dans ce cas, la famille doit être tenue pour responsable des siens. Au contraire, un système dé-familialiste est un système qui vise à décharger le ménage de la responsabilité du bien-être des personnes du fait de leur parentalité » (Esping Andersen, 1999:51). Même si cette classification a ses limites, elle montre combien la famille et le regard d’une société sur celle-ci peut structurer des institutions et impacter les politiques publiques en matière de conciliation.
La possibilité de concilier le travail et la famille, et notamment l’activité féminine et le processus de constitution de la famille, est un facteur clé pour favoriser la fécondité, dont le niveau avait fortement baissé, et dans un contexte de participation croissante des femmes au marché du travail (Luci, Thévenon, 2011). Et cet objectif de participation croissante des femmes sur le marché du travail, même s’il n’est pas partagé par tous les pays, est un élément à prendre en compte pour appréhender les différents modèles de conciliation dans les pays et leurs évolutions récentes.
Notre propos vise à comprendre ce qui est à l’œuvre aux deux pôles de la conciliation. Pour ce faire, cette partie s’organisera autour de deux points : la famille dans les pays de l’OCDE, via une analyse des taux de fécondité et les marchés du travail, en examinant en particulier les taux d’emploi.
La famille et la conciliation dans les pays de l’OCDE
L’évolution des taux de fécondité dans les pays de l’OCDE
Même si notre propos n’est pas d’étudier finement la constitution des familles dans les différents pays de l’OCDE, comprendre l’évolution des taux de fécondité permet d’appréhender celle des modèles de conciliation au fil des années. On ne concilie plus aujourd’hui comme il y a 20 ou 30 ans : le changement des structures familiales, de leur composition 5 façonne différents modèles de conciliation. Or, les temps professionnels et familiaux sont à la fois dépendants des évolutions structurelles de la société mais aussi de ses évolutions conjoncturelles. Auparavant, les pays avec de faibles taux d’emploi féminin présentaient des indices de fécondité relativement élevés, mais cette assertion n’est plus vraie actuellement, et les pays qui présentent de hauts taux de fécondité présentent également de hauts taux d’emploi féminin (voir encadré pour des définitions).
Le tableau 1, issu de la base de données de l’OCDE sur la famille, permet d’illustrer la baisse du taux de fécondité entre 1970 et les années 1990 et la reprise de la fécondité dans la décennie 2000 pour quelques pays. Ainsi, si la France, la Suède, les États-Unis, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Danemark sont au niveau de la moyenne de l’OCDE, la Bulgarie, le Japon, l’Allemagne, l’Italie, la Grèce, l’Espagne et le Portugal sont nettement en deçà. Seuls la France, la Suède et le Royaume-Uni connaissent une hausse de leur taux de fécondité depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000, taux qui chute assez nettement dans tous les autres pays. Cette reprise de la fécondité dans certains pays de l’OCDE s’est arrêtée dès le début de la crise de 2008. Certains auteurs (Adema, Ali, 2015) mettent en rapport la stagnation de la fécondité avec la montée de l’insécurité dans l’emploi. Cet élément n’est pas le seul à prendre en compte, mais il n’en demeure pas moins une des pistes d’explication.
De fait, le poids démographique est un autre déterminant des politiques économiques et sociales mises en œuvre. Au Japon par exemple, la population des 65 ans et plus représente 26 % de la population totale alors que cette proportion est de 18 % en France et de 8 % en moyenne mondiale. Mais ce n’est pas tant l’allongement de la durée de vie que l’insuffisance de naissances qui préoccupe les pouvoirs publics japonais. Selon le National Institute of Population and Social Security Research (NIPSSR) de Tokyo, organisme dépendant de l’État, la population japonaise devrait baisser d’un tiers d’ici à 2060 si le taux de fécondité se maintient au niveau actuel. Cette tendance n’est certes pas nouvelle – le taux de fécondité était déjà inférieur à 2 enfants par femme dès 1977 – mais elle a été exacerbée au cours de la période récente au point de devenir un réel enjeu pour les pouvoirs publics : « Quand la fécondité a chuté jusqu’à 1,26 en 2005, de nombreuses écoles ont dû fermer, les municipalités rurales ont dépéri. […] Le débat n’est devenu réellement politique que depuis 2014 6 ». Cette importance donnée à la démographie, à la reprise de la natalité et au maintien des femmes sur le marché du travail fait partie de la politique menée par le Premier ministre Abe, lequel a, en septembre 2015, mis en place un nouveau portefeuille chargé des questions sociales dirigé par un ancien fonctionnaire du ministère des Finances (avec une focalisation sur le déclin démographique et le vieillissement de la population). Pour autant, peu d’objectifs chiffrés ou de mesures ont été annoncés. Face aux craintes d’une pénurie de main-d’œuvre, le gouvernement tente, sans grand succès, d’offrir aux femmes sorties du marché du travail des passerelles de réinsertion (Muriel Jolivet, dans ce numéro). Cette injonction au retour à l’emploi des femmes après la naissance des enfants se heurte au poids des traditions et de la relation emploi-famille existante au Japon.
L’analyse des taux de fécondité dans les pays de l’OCDE éclaire une des facettes de la variété des évolutions des structures familiales. Cette diversité va de pair avec des relations emploi-famille très spécifiques selon les pays.
Des modèles de conciliation en transition ? Une assignation des femmes au « care », toujours réelle
Les modèles de conciliation varient fortement d’un pays à l’autre, et leur comparaison est difficile en raison des différences économiques, historiques, culturelles, institutionnelles et religieuses. Les analyses sur le travail domestique sont nombreuses et confirment l’assignation des femmes au travail domestique et à l’éducation des enfants, même si l’histoire du travail des femmes n’est pas linéaire. Le tableau 2 présente le temps moyen passé (en heures) par les pères et les mères à s’occuper de leurs enfants selon les pays. Même si le tableau ne fournit pas d’information selon le nombre d’enfants 7, il permet déjà de montrer que quel que soit le pays, les femmes consacrent davantage de temps à l’éducation et aux soins des enfants que les hommes. Toutefois, la répartition des tâches entre hommes et femmes est très variable selon les pays. Ainsi, les pays nordiques, tels que la Suède ou le Danemark, se démarquent par une répartition assez égalitaire des tâches parentales. À l’inverse, les Pays-Bas, qui sont à cet égard assez proches de l’Allemagne, du Royaume-Uni ou de la France, donnent à voir un surinvestissement des femmes dans les tâches dédiées aux enfants. Ce constat fait écho à celui de Marie Wierink (dans ce numéro), qui montre très clairement la surreprésentation des femmes dans les emplois à temps partiel (y compris dans l’utilisation du congé parental), du fait notamment du faible taux de couverture des structures de garde d’enfants (de moins de 3 ans) mais aussi du fait de la durée des journées scolaires plus courte (pour les plus grands enfants) que la durée quotidienne du travail. L’Allemagne et le Royaume-Uni sont très proches l’un de l’autre, avec de fortes différences entre hommes et femmes dans le temps passé à s’occuper de leurs enfants. Pour autant, les compromis à l’œuvre, tant en termes de politique familiale, sociale que de politique d’emploi dans ces deux pays sont relativement distincts. En Allemagne, l’investissement de l’État dans la conciliation emploi-famille est assez récent et dirigé vers la mise en place d’un congé parental (Thévenon, 2006). Le modèle prégnant reste encore celui de « Monsieur
Gagnepain », avec un retrait des femmes du marché du travail lors de la naissance des enfants (Kahmann, dans ce numéro). Même si des changements se font jour, on assiste à une spécialisation des femmes dans la sphère domestique. Dans le cas du Royaume-Uni, l’intervention publique en matière de conciliation est assez limitée avec un faible développement des structures de garde d’enfants, notamment en faveur des enfants de ménages à bas revenus. L’investissement dans l’enfant et les activités domestiques va conditionner un recours à la flexibilité du marché du travail via le développement des emplois à temps partiel. Mais dans ces deux cas, la conciliation emploi-famille repose sur la population féminine et un surinvestissement des femmes dans les activités destinées aux enfants. Les données présentées ici ne font état ni des États-Unis ni du Japon, mais, dans ce dernier cas, Muriel Jolivet (dans ce numéro) souligne que les pères ayant un ou deux enfants de moins de 6 ans déclarent passer une heure par jour aux soins et à l’éducation de leurs enfants contre sept heures pour les mères. L’utilisation du terme de « professionnal housewife » souligne l’enfermement des femmes ayant des enfants dans la sphère domestique.
Pour la France, ces données peuvent être complétées par les travaux de Champagne, Paihlé et Solaz (2015), qui montrent que si l’investissement des femmes dans la sphère professionnelle (qui s’est traduit par une augmentation des taux d’activité des femmes et de leur niveau d’éducation ces dernières décennies…) a réduit le temps passé aux tâches domestiques, il ne s’est pas traduit par une réduction du temps consacré aux tâches éducatives. Selon ces auteurs, la dynamique du partage des tâches domestiques en France entre 1999 et 2010 est relativement lente et montre une spécialisation des rôles encore prégnante entre hommes et femmes.
Cette analyse des temps parental et domestique, que l’on peut qualifier de temps « gris » dans la mesure où ils se mélangent et sont parfois difficilement dissociables, permet de repérer les enjeux de la conciliation dans les pays et la variété des conciliations possibles. Cela éclaire aussi les compromis mis en place dans les pays de l’OCDE entre ceux qui privilégient la spécialisation intra-familiale entre hommes et femmes (les hommes sont investis essentiellement dans la sphère professionnelle et les femmes dans la sphère domestique) et ceux qui prônent une plus grande égalité d’accès à l’emploi des hommes et des femmes. En fonction de la distribution du travail domestique, certains travaux ont mis en évidence des modèles de couples à tendance égalitaire 8 et ceux où la prépondérance du travail domestique féminin est grande (de Singly, 2014). En généralisant, on peut ainsi mettre en évidence des pays où la distribution du travail domestique est assez égalitaire (Suède et Danemark où le rapport travail domestique féminin sur travail domestique masculin est 1,2 – voir tableau 2) et certains pays où celle-ci est assez inégalitaire (les Pays-Bas, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne, la Grèce… où le rapport travail domestique féminin sur travail domestique masculin varie entre 1,7 et 2 – voir tableau 2). Cette inégalité dans le soin aux enfants et dans les tâches domestiques se retrouve dans l’investissement professionnel des femmes et des hommes dans les pays, et dans les modèles de conciliation qui y sont privilégiés (Thévenon, Solaz, 2013).
L’emploi des femmes et des hommes, des mères et des pères dans quelques pays de l'OCDE
La situation des femmes et des hommes façonne les modalités de conciliation dans les différents pays de l’OCDE. Si l’emploi et la construction familiale semblent davantage compatibles que par le passé, la combinaison vie
familiale-vie professionnelle a un prix que les familles doivent supporter.
Même si les taux d’emploi des hommes et des femmes se rapprochent depuis plusieurs décennies, et ce dans tous les pays, une analyse de ces agrégats entre 2008 et 2014 9 met en évidence des modèles d’emploi différents selon les pays. Les États-Unis et le Japon semblent relativement proches : les taux d’emploi sont élevés pour les hommes tandis que ceux des femmes demeurent plus modestes que la moyenne de l’UE 27. La Suède, le Danemark et les Pays-Bas constituent un ensemble de pays assez proches avec des taux d’emploi des hommes et des femmes supérieurs à 80 % (des taux parmi les plus forts de l’UE). L’Allemagne se caractérise par des taux d’emploi masculin proches des pays nordiques mais les taux d’emploi des femmes sont inférieurs à ceux des pays nordiques (ils restent cependant plus élevés que la moyenne européenne). La Grèce, l’Espagne et l’Italie présentent des taux d’emploi des femmes assez faibles, très inférieurs à la moyenne de l’UE. Le Portugal se distingue des autres pays dits du Sud de l’Europe, avec des taux d’emploi élevés pour les femmes mais aussi pour les hommes.
Les taux d’emploi des femmes (tableau 3) ont connu une augmentation entre 2008 et 2014 en Allemagne, au Japon et, dans une moindre mesure, au Royaume-Uni. Dans le même temps, en Allemagne, le taux d’emploi des hommes connaissait une légère augmentation alors que le taux d’emploi des Japonais restait stable. La plus forte baisse du taux d’emploi féminin a eu lieu en Grèce, tout comme l’emploi masculin du fait de la crise de 2008 (Karakioulafis, dans ce numéro).
La présence d’enfants n’est pas sans conséquence sur l’emploi féminin et ce, de manière variable selon les pays et le nombre d’enfants. En Allemagne, Bulgarie, Italie et Grèce, le taux d’emploi des femmes ayant deux enfants est inférieur de 5 points environ à celui des femmes ayant un seul enfant. Dans un certain nombre de pays (France, Allemagne, Royaume-Uni, Portugal et Bulgarie), la rupture est assez nette à partir du troisième enfant (tableau 4 ; Thévenon, 2013). Pour autant, tous les pays ne semblent pas connaître les mêmes difficultés de conciliation avec trois enfants. En effet, aux Pays-Bas et au Danemark, le taux d’emploi des femmes ayant trois enfants baisse mais demeure très élevé (aux Pays-Bas, on peut rapprocher cela du développement du travail à temps partiel). Dans ces deux pays, il semble que ce soit davantage l’arrivée d’un enfant qui modifie l’investissement professionnel des femmes que le nombre d’enfants présents au foyer. Dans d’autres pays, les taux d’emploi connaissent une rupture assez nette entre le deuxième et troisième enfant. L’exemple de la Bulgarie est très parlant puisque le taux d’emploi des mères de trois enfants et plus est de l’ordre de 15 %. Et dans la plupart des pays, les taux d’emploi des mères de trois enfants sont inférieurs d’au moins 10 points à ceux des femmes ayant deux enfants (et ce même s’ils restent supérieurs à la moyenne OCDE). Même si les familles avec trois enfants et plus ne représentent pas la structure familiale prédominante 10, les faibles taux d’emploi soulignent les difficultés de conciliation qui existent encore en Bulgarie.
Le travail à temps partiel : un instrument de conciliation par défaut
Dans certains pays, le travail à temps partiel est considéré comme un instrument de conciliation, à la fois par les pouvoirs publics et par la main-d’œuvre féminine. C’est une sorte de compromis social. Il est revendiqué en Allemagne (Kahmann, dans ce numéro) et surtout aux Pays-Bas, où il devient quasiment un mode de vie et façonne le congé parental et les structures de garde d’enfants (Wierink, dans ce numéro). Dans d’autres pays, le temps partiel n’est pas utilisé comme un moyen de conciliation : c’est un emploi faute de mieux, une forme d’emploi peu valorisée (Portugal, Bulgarie, Grèce). Et, entre ces deux modèles assez contrastés, il y a une multitude de pays qui mêlent temps partiel familial, temps partiel faute de mieux (la France par exemple)… Dans tous les cas, le travail à temps partiel reste essentiellement une forme d’emploi de femmes. C’est un emploi « genré » et lié à la vie familiale.
Du tableau 5 se dégagent les Pays-Bas où le travail à temps partiel est la forme d’emploi dominante pour les femmes (72,3 % de l’emploi des femmes) (Wierink, dans ce numéro). Ce développement du travail à temps partiel touche aussi les hommes néerlandais, dont les taux de travail à temps partiel sont les plus élevés parmi les pays de l’UE. L’Allemagne connaît aussi des taux de travail à temps partiel féminin très élevés (presque la moitié de l’emploi féminin), mais ils demeurent inférieurs à ceux des Pays-Bas. Dans le cas de l’Allemagne, et même si de nouvelles politiques ont été mises en place ces dernières années, le retrait du marché du travail reste pour les femmes une alternative à l’emploi pour garder leurs enfants (Kahmann, dans ce numéro), plus que le travail à temps partiel, plutôt utilisé quand les enfants sont plus grands. Enfin, les pays scandinaves et le Royaume-Uni présentent des taux d’emploi féminin à temps partiel assez élevés, ce qui prouve l’importance de ce moyen de conciliation dans ces pays. Le travail à temps partiel y est vu comme une suite logique au congé parental, sans être toutefois devenu une norme d’emploi féminin. Il facilite la transition entre le congé parental et la reprise du travail. C’est toutefois moins vrai pour le Danemark qui se démarque dans l’utilisation du travail à temps partiel des autres pays scandinaves.
D’un pays à l’autre, les raisons déclarées du travail à temps partiel peuvent être très diverses, et se combiner : emploi « faute de mieux », deuxième emploi, emploi pour des raisons familiales, personnelles, de formation professionnelle. Les femmes actives à temps partiel ne constituent pas un groupe homogène, tant en termes de qualification, de secteur d’activité qu’en termes de durées travaillées. Et le prisme des durées des emplois à temps partiel est large, tant à l’intérieur des pays qu’entre pays (Wierink, dans ce numéro). Si l’on regarde les durées de travail des temps partiel, au sein de l’UE 27, la durée hebdomadaire habituelle moyenne du travail des salariés à temps partiel varie de 17,9 heures au Portugal à 24,4 heures en Suède, pour une moyenne de 20,2 heures dans l’UE 27 en 2011. La France, avec une durée hebdomadaire habituelle de 23,3 heures en moyenne, affiche une des durées les plus élevées, après la Suède, la Roumanie, la Belgique et la Hongrie. En revanche, en Allemagne, au Danemark et au Royaume-Uni, les durées hebdomadaires sont parmi les plus faibles. Les Pays-Bas, dont le taux de temps partiel est le plus élevé, ont également une durée hebdomadaire inférieure à la moyenne de l’UE (Pak, Zilloniz, 2013). La diversité est donc forte, et c’est une des raisons pour lesquelles il faut rester prudent dans l’analyse des temps partiels dans les pays de l’OCDE. Le « choix » ou l’acceptation d’un travail à temps partiel s’inscrit souvent dans une logique de conciliation vie familiale-vie professionnelle : ainsi, les chiffres de la partie française du Panel européen des ménages montraient que, dans plus de la moitié des cas, c’est pour des raisons familiales que les actives optent pour le travail à temps partiel (Bourreau-Dubois et al., 2001). Souvent, il y a cumul des raisons : faute de trouver un emploi à temps complet et, de fait, « il faut garder les enfants ». Faute de mieux et pour raisons familiales, l’un justifiant et expliquant l’autre et vice versa.
Le choix du travail à temps partiel pour concilier les nécessités familiales ou dues aux contraintes du marché du travail n’est jamais aussi tranché. Les statistiques présentant les raisons du travail à temps partiel, même si elles sont incomplètes et limitées du fait même de la question posée (voir note du tableau 6), mettent en avant une différenciation hommes-femmes assez nette. Dans quasiment tous les pays étudiés, la proportion de femmes qui justifient le fait d’occuper un emploi à temps partiel par le fait de s’occuper de leurs enfants est de l’ordre de 20 %, sauf au Danemark, en Grèce et au Portugal. Dans ces deux derniers pays, le temps partiel est assez peu développé. Ce qui est notable, c’est le cas du Danemark, où la part de l’emploi à temps partiel dans l’emploi total est assez élevée (26,5 % pour les femmes, et 8,4 % pour les hommes en 2014 ; tableau 5), mais où le recours au temps partiel pour s’occuper des enfants est très faible. Ce constat est sans doute à rapprocher du fort développement des modes collectifs de garde des enfants (dès que l’enfant a 1 an) et à temps plein. Dans ce cas, le choix du travail à temps partiel est moins lié aux contraintes familiales.
L’analyse des comportements d’activité des couples ayant des enfants montre qu’on retrouve un socle de pays où environ la moitié des couples travaillent tous les deux à temps plein, à savoir le Portugal, la Bulgarie, les États-Unis 11, la Finlande, le Danemark, la Pologne et la Suède (graphique 1). On retrouve la prédominance du travail à temps partiel aux Pays-Bas qui écrase le modèle des deux apporteurs à temps plein. Ce temps partiel est aussi fortement présent en Allemagne, au Royaume-Uni, en Suède et dans une moindre mesure au Danemark. Les États-Unis font aussi partie, comme la Grèce, l’Espagne et l’Italie, des pays où plus de 35 % des couples sont sur le modèle de « Monsieur Gagnepain ». Cet ensemble de pays assez disparates en termes économique, social, etc., sont loin de se ressembler. Pour autant, certaines caractéristiques sont proches, notamment l’utilisation du travail à temps partiel qui reste très limité dans tous ces pays. De fait, si on se base uniquement sur le développement du travail à temps partiel, on pourrait conclure que les modèles de conciliation dans ces pays se ressemblent. Ils se ressemblent peut-être en termes de résultats (taux d’emploi à temps partiel) mais peu en termes de compromis social et de modèles de conciliation via les structures de modes de garde des enfants et de congés parentaux.
L’analyse de ces indicateurs que sont les taux de fécondité, les taux d’emploi, les taux d’emploi à temps partiel des femmes et des hommes met en évidence une pluralité de compromis sociétaux entre famille et emploi dans les différents pays de l’OCDE. Dans certains pays, les femmes sont plus nombreuses à se retirer du marché du travail lors de la naissance des enfants (Allemagne). Dans d’autres, elles ont davantage recours au travail à temps partiel (Pays-Bas). Dans d’autres encore, la seule étude des taux d’emploi ne permet pas de tirer des conclusions sur les modalités de conciliation (France, Belgique…). C’est la raison pour laquelle il faut prendre en considération, dans une analyse des relations emploi-famille, les instruments de conciliation traditionnels que sont les congés liés aux enfants et les structures d’accueil des jeunes enfants.
Diversité des modèles de conciliation dans l’OCDE : traits saillants et évolutions récentes
Plusieurs éléments ressortent des différentes monographies nationales présentées ici. Le premier résultat est assez évident mais important à souligner : les modèles de conciliation restent dépendants et liés aux modes de régulation des pays. Le deuxième point important consiste en la variété des modèles qui font écho à la spécificité des relations emploi-famille dans les pays et à la singularité des modèles d’emploi féminin nationaux. Enfin, le troisième point de notre travail est la résilience des dispositifs de conciliation étudiés face à la crise dans la majeure partie des pays.
Le poids des modes de régulation
L’un des résultats transversaux des monographies présentes dans ce numéro est le fort déterminisme des régimes politiques et économiques sur les politiques de conciliation vie familiale-vie professionnelle. Les politiques mises en place dans les différents pays, si leur objectif demeure commun (attirer la force de travail féminine sur le marché du travail et la stabiliser), utilisent des instruments multiples, propres à chaque pays (via la fiscalité, les transferts financiers, les structures publiques de garde d’enfants, les congés parentaux) et des modalités institutionnelles différentes.
1. « Le système statistique EU-SILC a pour vocation de permettre la production d’indicateurs structurels
sur la répartition des revenus, de la pauvreté et de l’exclusion comparables pour les pays de l’Union
européenne. Il s’inscrit dans le programme d’action communautaire de lutte contre l’exclusion sociale
et fournit le matériau statistique au rapport de synthèse annuel de la Commission européenne
sur ces questions. Il a également pour finalité de mettre à disposition des chercheurs une base
de micro-données sur les revenus et conditions de vie, afin qu’ils puissent mener des
études comparatives sur les inégalités et le rôle des politiques sociales et fiscales
dans la redistribution » (site Internet Insee). De fait, la base EU-SILC peut être limitée et fragile.
Pour autant, elle fournit quelques données sur des domaines encore peu comparés.
Une vaste littérature éclaire les formes d’encastrement « sociétal » et de contextes institutionnels variables qui modèlent les prérogatives assignées aux familles, aux entreprises et plus généralement au marché du travail et à l’action publique 12. Dans les pays plutôt libéraux en termes d’intervention de l’État, l’État intervient peu dans les affaires familiales et la législation est faiblement contraignante (à la fois concernant les droits à congé et la garde des enfants). Face à ce « désert légal », certaines entreprises peuvent décider de prendre leurs responsabilités en matière de conciliation vie familiale-vie professionnelle, dans la mesure où celle-ci a un effet direct sur le recrutement, la mobilité ou l’absentéisme des salariés. Dans certains cas, toutefois, l’intervention des entreprises semble outrepasser certaines limites de la vie privée 13. Aux États-Unis, les femmes ont plus souvent revendiqué de nouvelles formes de travail que des interventions des pouvoirs publics : des organismes tels que « New Ways to Work », présents aux États-Unis et au Royaume-Uni dès les années 1970, tentaient de promouvoir des formes de travail plus favorables à la famille (« family-friendly »), de manière à faciliter le maintien des mères dans l’emploi, par des formules telles que le « job sharing » (partage des emplois) ou les « career break » (pauses de carrière) par exemple.
Dans les pays nordiques (modèle social-démocrate), où la responsabilité de la prise en charge des enfants incombe largement à l’État, les entreprises jouent souvent un rôle mineur mais néanmoins important via la négociation collective sur des sujets sur lesquels les gouvernements échouent à mettre en place des mesures : c’est le cas notamment au Danemark où le secteur de l’industrie et le secteur public ont défini des mesures de conciliation importantes à l’égard des parents (Meilland, dans ce numéro). Pour autant, les dispositifs de conciliation que sont les congés et les structures de garde d’enfants sont essentiellement du ressort de l’État. En Suède, « ce n’est pas tant une approche en termes de conciliation entre les charges professionnelles et familiales ni en termes de droits des femmes [qui prévaut] mais bien […] un référentiel d’égalité des droits et des devoirs » (Daune-Richard, 2013). Cette référence se retrouve au Danemark,
et ce dernier, tout comme la Suède, cherche à promouvoir « l’égalité des sexes ». L’objectif d’égalité qui sous-tend les politiques sociales en Scandinavie est une égalité des chances pour tous. Mais cet objectif reste encore inabouti au
Danemark, comme le suggèrent les statistiques sur les congés parentaux et l’abolition du quota de semaines de congé parental réservé aux pères (Meilland, dans ce numéro). Il en est de même en Suède (Annie Jolivet, dans ce numéro) où la féminisation des congés parentaux est encore importante. Par ailleurs, les travaux d’Elisabeth Elgàn (2009) rappellent que si l’égalité des sexes est réalisée dans la sphère politique suédoise, l’absence des femmes aux postes de direction des entreprises montre qu’elles ne sont pas encore les égales des hommes dans la vie économique du pays. Les États-Unis peuvent d’une certaine manière rejoindre ce projet d’égalité des sexes, avec une volonté de traiter de façon égalitaire les femmes et les hommes, y compris lors des grossesses. Pour autant, ils se différencient des pays nordiques en mettant en avant que le choix d’avoir des enfants demeure une affaire privée et doit donc être assumé essentiellement par la famille. De fait, il n’existe pas de congé de maternité légal rémunéré au niveau fédéral aux États-Unis. Des initiatives existent mais au niveau de quelques États fédérés et de quelques grandes entreprises du secteur des hautes technologies (Sauviat, dans ce numéro). On voit dans cet exemple qu’il est très difficile de créer des typologies qui résistent à toutes les caractéristiques des modèles de conciliation.
Dans les pays corporatistes-conservateurs (comme l’Allemagne ; Kahmann, dans ce numéro), la charge de la conciliation revient essentiellement aux familles et aux mères, suivant le traditionnel modèle du « male breadwinner » (Monsieur Gagnepain). Même si les évolutions depuis une dizaine d’années tendent à modifier ce schéma et à développer un modèle à deux apporteurs de revenus (tout en favorisant les naissances), il reste toutefois prédominant. Le développement du travail à temps partiel est également typique de l’Allemagne. En effet, les pouvoirs publics, qui prônent une « nouvelle » politique familiale axée essentiellement sur la conciliation et qui concentrent leur attention sur deux objectifs (favoriser l’entrée des femmes sur le marché du travail et pallier la faiblesse démographique), tentent de développer un modèle de travail à temps partiel comme contre-modèle au retrait des femmes du marché du travail. Pour cela, le gouvernement tente de maintenir les femmes sur le marché du travail via la mise en place d’un congé parental à la suédoise. L’objectif est que les femmes allemandes puissent s’occuper de leurs enfants pendant le congé parental et revenir à leur poste à l’issue de celui-ci. En favorisant cette conciliation, le gouvernement espère d’une part ancrer les femmes sur le marché du travail et d’autre part favoriser la natalité en la rendant compatible avec l’emploi.
Dans les pays d’Europe du Sud (Espagne, Italie, Portugal, Grèce), les arrangements informels l’emportent et la charge de la conciliation repose essentiellement sur les femmes, les familles, les solidarités familiales, et les relations de proximité (Rego, Pernot, dans ce numéro ; Karakioulafis, dans ce numéro). Dans ces pays, la conciliation demeure essentiellement une affaire de familles et de grands-parents. L’État intervient donc très peu en ce domaine. Mais si, en termes de structures de garde d’enfants et de congés parentaux, le Portugal se distingue peu des autres pays du Sud de l’Europe, l’objectif affiché des politiques de conciliation portugaises est quant à lui assez spécifique à ce pays, puisqu’il prône l’égalité des sexes même s’il reste beaucoup de chemin à parcourir.
Deux pays occupent une place relativement à part dans cette typologie : la Bulgarie et le Japon. La Bulgarie occupe une place singulière, à mi-chemin entre l’héritage de son passé communiste (avec une institutionnalisation des structures de garde d’enfants qui n’est plus de mise) et l’influence de ses traditions familialistes. Les années 2000 ont été témoins de la prise en compte de l’égalité hommes-femmes avec un allongement du congé maternité, la création du congé parental et du congé de paternité. Mais dans le même temps le nombre de structures de garde d’enfants a fortement diminué (Kovacheva, Spasova, dans ce numéro). En Bulgarie, la mise en place de dispositifs de conciliation date des années 2000 et a été initiée sous l’impulsion des directives européennes : il s’agit là d’une particularité de la Bulgarie, du moins dans notre analyse des pays de l’OCDE. Outre l’augmentation du nombre de crèches (qui fait suite à une forte baisse initiée dans les années 2000), qui ne permet pas encore une garde systématique des enfants de moins de 3 ans, la Bulgarie a introduit de nouvelles allocations destinées aux familles, un allongement de la durée du congé parental, une nouvelle législation du congé paternité permettant à un plus grand nombre de pères de prendre quelques jours de congé ainsi qu’un amendement au programme « In Support of Motherhood » permettant aux grands-parents retraités de garder les enfants. Comme en Bulgarie, la Pologne présente un arrangement famille-emploi basé sur un congé parental très long et peu payé associé à une offre très faible de structures de garde d’enfants. Mais les réformes récentes montrent qu’il y a une tentative pour inciter les femmes à revenir plus tôt après la naissance sur le marché du travail et les hommes à s’investir davantage dans la sphère familiale.
Quant au Japon, la relation famille-emploi y apparaît très traditionnelle avec une spécialisation quasi totale des femmes dans la sphère familiale dès le mariage ou alors après la première naissance (Muriel Jolivet, dans ce numéro). Le Japon présente un modèle très conservateur et inégalitaire en termes de répartition des rôles entre les hommes et les femmes. Comme nous l’avons déjà évoqué, face à l’allongement de l’espérance de vie, le gouvernement Abe tente de promouvoir le retour des femmes sur le marché du travail après les naissances par des mesures supposées faciliter la conciliation. Pour autant, on ne peut pas dire que les femmes japonaises ne travaillent pas : en effet, elles ne représentent que 40 % de la force de travail au Japon mais occupent 70 % des emplois informels 14.
Diversité des dispositifs à destination des familles
L’analyse des traits saillants des congés parentaux et des structures de garde d’enfants dans les monographies présentées dans ce numéro suggère que la variété des modèles de conciliation est le reflet de la pluralité des configurations nationales emploi-famille et de l’emploi féminin dans l’OCDE.
Des structures de garde d’enfants variées et singulières
S’agissant des modes de garde des enfants, on peut distinguer deux situations, qui correspondent à deux âges de l’enfance : la préscolarisation quasi générale des 3-6 ans, avec une tendance à l’universalisation de l’accès à des modes de garde et à une gratuité potentielle, aux États-Unis et au Japon tout comme dans la plupart des pays de l’UE, et une très inégale offre de garde pour les 0-3 ans. C’est à ces âges que les écarts entre pays sont les plus importants. Très schématiquement, on distingue le modèle public et intégré pour les 1-6 ans (celui des pays scandinaves), dont les performances en termes d’accès, de qualité et de coût sont satisfaisants, des structures de qualités inégales, qui n’assurent pas une garde à temps plein des enfants et sont parfois associées à des coûts eux aussi divers et souvent élevés (États-Unis, Portugal, Grèce, etc.).
Globalement, dans les pays de l’OCDE, à l’exception des pays nordiques dans lesquels les enfants entre 1 et 3 ans sont majoritairement gardés dans des structures collectives, l’offre de garde des enfants de moins de 3 ans reste faible 15, très inégalement répartie sur le territoire national et de qualité très variable. Lorsqu’un congé parental existe, les parents sont donc incités à y recourir. Un tiers des enfants de moins de 3 ans sont gardés dans des structures collectives et cette proportion se retrouve dans de nombreux pays même si l’évolution n’a pas été identique (ni linéaire) dans tous les pays. Ainsi, en Bulgarie, le nombre de crèches a connu une forte diminution entre 1989 et 2000 (de l’ordre de 40 %). Si, depuis le milieu des années 2000, le nombre de crèches augmente à nouveau, le taux d’accueil reste bas. Le faible taux de couverture des structures d’accueil des enfants en Bulgarie est la résultante d’une faible capacité d’accueil et d’une convention familiale et nationale, très répandue, de garde des enfants dans le cercle familial. Reste que cette convention familiale ne risque pas de se modifier s’il n’existe pas de structures de qualité pour recevoir et garder les enfants. Ce recours aux solidarités familiales pour garder les enfants se retrouve dans tous les pays où les structures publiques de garde d’enfants n’existent pas ou sont considérées comme étant de mauvaise qualité. De même, dans les pays où le congé parental rémunéré n’existe pas (comme les États-Unis), l’instrument privilégié de garde des enfants de 0 à 3 ans reste la mère (ou si les ressources du ménage le permettent des recours informels). Dans le cas d’une garde maternelle, la mère va privilégier une participation discontinue au marché du travail ou alors rester sur le marché du travail mais à temps partiel. Dans ces pays, le cycle de vie professionnel des femmes reste lié à l’âge des enfants puisque, lorsque le plus jeune enfant pourra intégrer le système d’enseignement à temps plein, la femme pourra alors investir pleinement la sphère professionnelle. La vie professionnelle des femmes est de fait liée à la composition familiale, à leur choix de vie familiale mais aussi à la flexibilité du marché du travail dans lequel elles s’insèrent. Au Japon, même si le congé parental existe, seules 38 % des femmes ayant eu un enfant retournent sur le marché du travail (Muriel Jolivet, dans ce numéro).
Le tableau 7 donne une idée de la part des enfants de moins de 3 ans et de plus de 3 ans, mais non encore scolarisés, gardés en structures d’accueil et ce en fonction du nombre d’heures par semaine. Certains éléments que nous repérons ici seront corroborés par les monographies, et notamment le fait que, dans certains pays, comme les Pays-Bas et le Royaume-Uni, la garde s’effectue très largement à temps partiel. Le développement du travail à temps partiel aux Pays-Bas façonne, comme nous l’avons déjà souligné, les relations emploi-famille et par là-même conditionne les systèmes de garde d’enfants : on travaille à temps partiel, on utilise le congé parental à temps partiel et on fait garder les enfants à temps partiel (Wierink, dans ce numéro). À l’inverse, dans les pays scandinaves, mais aussi au Portugal et dans une moindre mesure en France, les durées de garde sont nettement plus importantes, de plus de 30 heures par semaine.
Un congé parental différencié et différenciant
Dans la plupart des pays étudiés dans ce numéro spécial, la garde des 0-3 ans dépend de la prise de congé parental (souvent par les mères). Le « succès » de cet instrument de conciliation est assez significatif en Allemagne, qui a mis en place son nouveau congé parental (Kahmann, dans ce numéro), utilisé par 96 % des mères en 2007 lors de la naissance de leur enfant. En effet, ce recours à la garde maternelle est quasi général en dépit d’un droit individuel à l’accueil des jeunes enfants qui devrait garantir une place dans une structure, quelle qu’elle soit, à tous les enfants. Cet attachement à la garde maternelle du jeune enfant est symbolique de la prégnance de la configuration emploi-famille en Allemagne. L’introduction d’un congé parental plus court et mieux rémunéré est surement encore trop récente pour avoir généré un changement notable des traditions familiales.
Les congés parentaux (au sens large : maternité, paternité et parental 16) font intervenir différentes sphères de la politique publique, à savoir la régulation du marché du travail et la politique sociale. Le congé maternité rémunéré existe dans tous les pays étudiés sauf aux États-Unis (au niveau fédéral). Le plus court des congés maternité est celui de la Suède et de l’Allemagne (14 semaines) et le plus long est celui de la Bulgarie, qui s’élève à 58,6 semaines. Le Danemark offre un congé maternité de 18 semaines et la Grèce, les Pays-Bas, la France et l’Autriche un congé maternité oscillant entre 15 et 17 semaines.
Les situations nationales étudiées dans ce numéro font ressortir quatre groupes de pays. Le premier groupe est constitué uniquement des États-Unis, puisque c’est le seul à ne pas avoir mis en place légalement de congé maternité rémunéré ou parental d’aucune forme au niveau fédéral. Le deuxième groupe rassemble les pays qui ont des congés parentaux rémunérés d’une durée de six mois ou moins : c’est le cas de la Bulgarie avec un congé parental de 26 semaines rémunéré à 90 % du salaire antérieur et du Portugal, dont le congé parental est de trois mois payés 25 % du salaire antérieur. Le troisième groupe regroupe les pays ayant un congé parental allant de six à neuf mois, comme les Pays-Bas, où le congé parental est pris essentiellement à temps partiel. Enfin, dans le quatrième groupe, on retrouve les pays où le congé parental est supérieur à neuf mois et va jusqu’à trois ans et plus (pays scandinaves, Allemagne, Grèce dans le secteur public). Le congé parental grec dans le secteur public est non rémunéré alors qu’en Allemagne, au Danemark et en Suède, il est rémunéré à respectivement 77 %, 100 % et 67 % du salaire antérieur mais pendant une certaine durée uniquement.
Dans la plupart des pays, le congé parental inclut une période de temps que seuls les pères peuvent prendre : on parle alors d’un quota réservé aux pères. La distinction entre congé paternité et quota réservé aux pères durant le congé parental est souvent peu claire : c’est le cas en Islande, en Norvège ou en Suède. En Islande par exemple, le congé parental est de neuf mois après la naissance de l’enfant. Il est découpé en trois périodes égales : trois mois à destination des mères, trois autres à destination des pères, et les trois derniers mois sont pour la famille, cette période pouvant être divisée entre parents ou dévolue à un seul parent, à leur convenance. Il n’existe pas de congé maternité ni de congé paternité à proprement parler. D’ailleurs, le nom de cette loi, « Birth Leave », qui met l’accent uniquement sur la naissance, englobe les différentes sortes de congés. Pourtant, dans de nombreux textes ou dans la presse, les Islandais évoquent le congé paternité alors que ce nom ne lui est pas formellement attribué. En Norvège, la loi ne distingue pas le congé maternité du congé parental. Toutefois, six semaines du congé parental sont réservées aux femmes et doivent être prises obligatoirement. La durée du congé paternité est de deux semaines (à prendre au moment de la naissance). Les pères disposent d’un quota de dix semaines à prendre plus tard, le reste du congé parental étant destiné à la famille. Le congé paternité est la plupart du temps facultatif sauf dans deux pays, la Belgique et l’Italie, où les pères doivent obligatoirement le prendre, au moins en partie. Mais il convient de relativiser la portée de cette obligation, car, dans le cas de l’Italie, le congé de paternité est de un jour ! Il peut être abondé de deux jours supplémentaires si la mère accepte de transférer deux jours de son congé maternité au père (Moss, 2015).
Un élément important qui ressort des analyses nationales consiste en la volonté variable des gouvernements de promouvoir l’égalité hommes-femmes via la réduction des inégalités dans le recours aux congés parentaux. Cela passe en pratique par la mise en place ou le développement d’un quota de congé réservé aux pères et une volonté d’inciter les pères à prendre les congés auxquels ils ont droit. Certes, les « daddy days » existent depuis plusieurs décennies, mais, ce qui est nouveau, c’est la question de l’effectivité de ces politiques de soutien aux pères. Ainsi, en Allemagne, la proportion d’enfants ayant un père prenant un congé est passée de moins de 9 % avant la réforme de 2007 à 17 % en 2008 (Kahmann, dans ce numéro). Au Portugal, la proportion de pères prenant un congé est passée de moins de 1 % à 17 % en 2010 (Rego, Pernot, dans ce numéro). Reste que tous les pays ne sont pas encore parvenus à de tels résultats : ainsi, dans les pays de l’Est, les droits à congé parental réservé aux pères et les incitations pour qu’ils en fassent usage sont très faibles. La Hongrie et la Pologne viennent seulement de mettre en place un congé paternité. Et même les congés paternité restent très inégaux suivant les pays : ils n’existent ni en Allemagne, ni en Autriche, ni aux États-Unis, ou lorsqu’ils existent, leur durée est très faible en Grèce et aux Pays-Bas (deux jours rémunérés à 100 % du salaire), de l’ordre de deux semaines en France, au Danemark et en Suède (rémunéré à 100 %, sauf pour la Suède à 80 %) ou au contraire plus longue au Portugal (quatre semaines à 100 %) et en Finlande (neuf semaines, mais la rémunération est variable selon les entreprises). Au Japon aussi, le Parlement a mis en place en 2010 un congé parental de six mois pour les pères. En outre, les employeurs sont tenus d’accorder des journées de six heures de travail maximum aux salariés ayant un ou plusieurs enfants de moins de 3 ans. Les réformes annoncées et amorcées ces dernières années concernant les congés parentaux et notamment ceux à destination des pères rencontrent de fortes difficultés à pénétrer la société japonaise. En effet, le Japon a pendant longtemps privilégié une politique familiale non interventionniste et traditionnelle. Le changement de cap de la politique familiale se heurte à un certain nombre d’obstacles liés à la tradition, au marché du travail et à la place des femmes et des hommes dans la société japonaise (Muriel Jolivet, dans ce numéro ; Kondo, 2011).
Cette volonté très répandue d’accorder une place aux pères dans les congés est un des phénomènes les plus caractéristiques des politiques destinées aux familles de ces dernières années. Comment amener les hommes à prendre du temps pour leur famille ? La solution mise en place dans les différents pays semble assez évidente : créer un congé court pour les pères, non transférable et rémunéré. Pour autant, quand de tels congés existent, ils restent très peu utilisés par les pères (moins de 1,5 % des pères au Japon en 2010). Moss et Deven (2015) proposent d’analyser les réticences des pères à travailler dans les métiers du « care » pour comprendre leur faible recours au congé parental. Ils suggèrent que la non-prise par les pères du congé parental peut aussi être liée la sous-représentation masculine dans les professions liées aux soins, aux enfants… Tous ces éléments font écho aux représentations sexuées des hommes et des femmes dans les différents pays de l’OCDE et à leur conception de la relation emploi-famille. Dans les pays nordiques, une conception très axée sur les droits et les devoirs des citoyens et sur l’égalité des chances pour tous prévaut, et les hommes et les femmes doivent avoir les mêmes droits de s’occuper de leurs enfants et de travailler ; en revanche, aux États-Unis, pour lesquels le marché du travail et la famille doivent « s’autogérer » librement (d’où le moins d’intervention étatique possible ; voir Ollier-Malaterre, 2010), les couples qui font le choix d’avoir une famille doivent en être responsables et de fait coordonner leur construction familiale à leur choix de vie professionnelle ; enfin, dans les pays du Sud de l’Europe, les solidarités familiales comblent les lacunes des institutions… Entre ces différents modèles, les autres pays mêlent des modalités de conciliation vie familiale-vie professionnelle plus nuancées ou s’inspirant des uns et des autres.
Par ailleurs, le prisme de promotion de l’égalité hommes-femmes a également des effets pervers. Ainsi, dans les pays nordiques, l’attention historique portée aux questions de genre et aux politiques d’égalité est mise à mal au nom du libre choix, qui donne la liberté aux couples de choisir « librement » comment diviser leurs droits au congé parental sans aucune obligation et aucune incitation en faveur ni de la mère ni du père (Leschke, Jepsen, 2010). Pour les partisans du libre choix, cela ne remet pas en question leur fort attachement à l’égalité des sexes.
Résilience des modèles de conciliation face à la crise
Un troisième résultat qui émerge des monographies présentées dans ce numéro est celui de la résilience des dispositifs de conciliation que sont les congés et des modes de garde des enfants, du moins quand ils existent. En effet, Adema
et alii (2015) soulignent que ces dispositifs ont été largement épargnés durant la crise économique et sociale de 2008. Dans certains cas, ajoutent-ils, de nouvelles dispositions ont été introduites, souvent dans une optique d’égalité des sexes : mise en place d’un quota de jours de congé parental réservé aux pères au Danemark dans certains secteurs (via les conventions collectives) et en Bulgarie, diminution du congé parental en France et en Allemagne (mais mieux rémunérés), introduction « d’une prime d’égalité des sexes » en Suède en 2008, etc. Cette situation avait déjà été analysée par Kamerman et Kahn (1999), qui montraient que, dans les années 1990, alors que beaucoup de pays tentaient de réduire les dépenses sociales, les allocations et les dispositifs à destination des enfants et des familles avaient été relativement peu touchées.
Si la crise économique de 2007-2008 n’a pas véritablement transformé les politiques de conciliation à l’œuvre dans les pays, elle a pu exacerber des tensions déjà en cours. Depuis le début des années 2000, certains pays se distinguent fortement des autres par la mise en place de politiques singulières. Les Pays-Bas, par exemple, avec une utilisation extensive du travail à temps partiel comme instrument privilégié de la conciliation 17 qui est allée de pair avec, dans les années qui ont suivi, la survenance de la crise, des réductions budgétaires contraignant les ménages à réduire leur recours à la garderie ou à la crèche ou à « bricoler des formules informelles alors même que la confiance avait été longue à établir envers les modes de garde collectifs » (Wierink, dans ce numéro). Face au manque de places en structures de garde et à la prédominance d’un congé parental partiel, les femmes (et quelques hommes) ont eu de fait pour seule option celle de privilégier le travail à temps partiel. Pour autant, le travail à temps partiel a certes permis aux femmes néerlandaises de rester sur le marché du travail mais son développement a fortement limité « les espoirs de transformation des rôles de genre ».
En période de crise, les dispositifs de conciliation ont été, sinon développés, tout du moins maintenus à leur niveau d’avant-crise. En effet, même si de nombreux gouvernements ont annoncé des mesures pour améliorer la conciliation emploi-famille en augmentant par exemple le nombre de places dans les structures d’accueil des jeunes enfants ou le nombre de structures, peu de changement a été enregistré. Différentes mesures ont été annoncées dans plusieurs pays : au Japon, par exemple, en 2013, le gouvernement Abe a annoncé une augmentation des capacités de garde d’enfants de 400 000 places supplémentaires d’ici à 2017 ; en France, en 2014, le gouvernement a annoncé la création de quelque 275 000 places en cinq ans ; au Royaume-Uni, le gouvernement a proposé en 2013 de mettre en place une garde gratuite de 15 heures par semaine jusqu’aux 2 ans de l’enfant pour les familles défavorisées. Ces annonces sont souvent restées lettre morte. Elles se sont heurtées aux politiques d’austérité budgétaire 18. En France, le Haut Conseil de la famille soulignait qu’en 2013 le nombre de places en crèches avait augmenté de 10 706, alors que l’objectif fixé par le gouvernement était de 21 155, soit le double 19. Même si, toujours selon le Haut Conseil de la famille 20 (2014), le retard est lié à la situation financière et à l’accès au crédit difficile pour les collectivités locales, la nécessité de développer plus rapidement des solutions d’accueil pour les jeunes enfants doit rester une priorité. Les statistiques confirment cette situation en France : ainsi, selon l’enquête « Modes de garde et d’accueil des jeunes enfants » réalisée par la Drees en 2013, environ 61 % des enfants de moins de 3 ans restent gardés la majeure partie du temps par un de leurs parents en France en 2013.
Si certaines modalités de conciliation se retrouvent dans différents groupes de pays, la diversité des combinaisons à l’intérieur de chaque groupe est évidente et importante. Dans certains cas, les périodes de crise exacerbent et soulignent les divergences à l’intérieur des modalités de relations emploi-famille. Même si ce n’est pas tout à fait le cas au Danemark, ce pays a mis en place une politique assez différente de ses pays voisins avec lesquels on l’associe très souvent, la Suède et la Norvège. Le Danemark a aboli le quota de semaines du congé parental réservé aux pères alors que les autres pays l’ont créé et allongé. Dans les pays du Sud de l’Europe, caractérisés par un « déficit » de politiques familiales (Thévenon,
2008), le Portugal s’est différencié des autres en encourageant le travail des femmes et de fait la multiplication des ménages à deux apporteurs de revenu. En effet, au Portugal, le congé parental est un peu plus court que dans les autres pays du Sud de l’Europe, il existe des prestations financières dirigées vers les familles à bas revenu et un accès plus fréquent des enfants aux modes de garde.
Enfin, dans nombre de pays, les conséquences de la crise en termes de dégradation des conditions d’emploi, de salaires et d’accès à l’emploi des mères et des pères, en termes d’augmentation des emplois flexibles et de contrats à durée déterminée a fortement touché les relations emploi-famille dans les pays de l’OCDE (notamment au Portugal, en Grèce, aux Pays-Bas…). Les conditions d’emploi qui en découlent (flexibilité des horaires de travail, augmentation des durées du travail dans certains pays, comme le Portugal) pèsent sur les aspirations des familles et la réalisation d’une conciliation vie familiale-vie professionnelle. Dans certains pays, la crise a eu aussi pour effet d’ajourner les débats sur la conciliation (Portugal et Grèce notamment), en faisant un enjeu mineur par rapport à l’enjeu d’emploi.
Conclusion : l’impossible conciliation ?
Actuellement, dans de nombreux pays, les soutiens financiers aux familles sont moins généreux qu’ils ne l’étaient avant la crise (Adema, Ali, 2015). En comparaison, le congé parental et les systèmes de garde d’enfants semblent épargnés dans la plupart des pays de l’OCDE, avec même dans certains pays des améliorations dans l’accès aux systèmes de garde d’enfants, ou tout du moins une tendance à leur maintien. Ces dernières années sont marquées par une attention accrue à la paternité, via la mise en place d’un congé de paternité et/ou d’un quota du congé parental réservé aux pères. L’importance de cette évolution est telle que dans quelques pays (dans les pays nordiques), lorsque la législation échoue à mettre ce quota en place, ce sont les entreprises, via les conventions collectives, qui prennent le relais. Ces évolutions contrastées entre pays sont importantes dans la mesure où elles affectent non seulement les familles mais aussi l’emploi dans son ensemble. Il faut reconnaître que cette si insaisissable conciliation relève autant de l’organisation du travail que des représentations sociales des rôles des hommes et des femmes et des arbitrages privés de la famille. Les monographies présentées dans ce numéro soulignent des conceptions très différentes du rôle des femmes dans la famille, dans la société et de leur place sur les marchés du travail. Cette variété des représentations sexuées des femmes se traduit dans leur assignation plus ou moins importante aux tâches parentales et domestiques mais aussi dans leur insertion professionnelle (trajectoires discontinues, travail à temps partiel, emplois temporaires…). Cette analyse des différentes modalités de la conciliation dans les pays de l’OCDE fait apparaître la diversité des inégalités hommes/femmes sur les différents marchés du travail nationaux.
Dans l’idéal, pourtant, les politiques publiques devraient avoir pour objet d’améliorer l’égalité entre les sexes. Toutefois, comme le souligne Pfefferkorn (2011) et Heinen et alii(2009), certaines peuvent entériner ces inégalités, voire les accentuer. « Parmi ces mesures, on trouve les politiques touchant les aspirations de conciliation vie-travail. Souvent, ces politiques ne concernent que les femmes et contribuent donc à accentuer la prise en charge féminine des tâches liées à la sphère domestique » (Kergoat, 2002). D’où la nécessité de prendre en compte tous les éléments de la division familiale du travail…
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Thévenon O., Solaz A. (2013), « Parental Leave and Labour Market Outcomes: Lessons from 40 Years of Policies in OECD Countries », Document de travail Ined, n° 199.
* Chercheure à l’IRES.
1. Par exemple, aux Pays-Bas, le congé parental a été créé en 1997 (via le Work and Care Act et Parental Leave Law amendé en 2001), alors qu’au Portugal, il date de 1984 et a été amendé en 2000 et 2009. En Irlande, le congé parental date de 1998 et en Italie de 2000 alors qu’en Autriche, il a été créé en 1979 (Maternity Protection Act complété par une nouvelle loi en 1989).
2. Voir notamment les travaux d’Annie Fouquet (2001) qui montrent que le travail domestique qui fut longtemps ignoré et relégué à la sphère privée (malgré les revendications des femmes) a soudain été considéré dans les années 1980, en France, comme un gisement d’emploi, créateur d’emplois de proximité et de biens et de services.
3. En effet, d’autres éléments doivent être pris en considération : les normes culturelles, sociales, voire religieuses des pays, la formation des personnes et le niveau d’éducation atteint, les zones géographiques habitées (zone rurale, zone urbaine), les niveaux de ressources des ménages et l’importance des transferts monétaires, les déterminants organisationnels et les pratiques d’entreprises, etc.
4. Voir les travaux d’Esping-Andersen (1990, 1999) ainsi que ceux de Sainsbury (1999), Fouquet et al. (1999), Thévenon (2003) pour une lecture critique.
5. Par exemple, les familles monoparentales représentent 21 % des familles en France en 2012 contre 16 % en 1999.
6. J.-P. Robin, « Le Japon pourra-t-il enrayer la chute de sa population ? », Le Figaro, 26 octobre 2015.
7. Le nombre d’enfants devrait forcément avoir un impact, même si la présence d’un deuxième enfant ne double pas le temps parental.
8. François de Singly (1993/2014) présente les femmes égalitaires comme celles qui réclament que les « territoires codés classiquement comme féminins deviennent conjugaux ».
9. Le choix a été fait de privilégier quand cela était possible la tranche d’âge 25-54 ans, âge où la conciliation vie familiale-vie professionnelle est le plus souvent réalisée.
10. Elles représentent 4,8 % des familles au Danemark en 2014, 6,1 % aux USA, 5,0 % aux Pays-Bas et en comparaison 5,7 % en France (Site de l’OCDE, base famille).
11. Dans le cas des États-Unis, il faut toutefois nuancer ces propos, étant donné que les statistiques présentées ne différencient pas temps complet et temps partiel.
12. Voir les travaux d’Esping-Andersen (1990, 1999), Thévenon (2003, 2006).
13. Voir la décision de Facebook et d’Apple de financer la congélation d’ovocytes de leurs salariées pour qu’elles puissent différer un projet de maternité, Le Monde, 24 octobre 2014, et Sauviat, dans ce numéro.
14. Site Internet Femmes actives au Japon, 2015.
15. Seul un tiers des enfants de moins de 3 ans est gardé dans des structures, souvent à temps partiel.
16. De plus en plus souvent, les termes utilisés pour décrire les congés liés aux enfants se mélangent. Les définitions présentées ici ont pour fonction de préciser les notions utilisées tout le long de ce numéro et de préciser les différences entre termes. Le congé maternité : totalement genré, il est destiné spécifiquement aux femmes et est lié à la naissance, à la grossesse et aux premiers mois qui suivent la naissance. Il est considéré comme une mesure liée à la santé et au bien-être. Le congé paternité est son pendant. Il est destiné à permettre aux pères de prendre quelques jours immédiatement après la naissance de l’enfant. Le congé paternité est aussi vu comme une aide et un support aux mères. Le congé parental est considéré comme une période de temps destiné aux parents pour s’occuper de l’enfant.
17. Les Pays-Bas ont adopté en 2000 la loi sur l’adaptation du temps de travail.
18. Par exemple, les politiques mises en place aux Pays-Bas ont été remises en question avec le gel des subventions aux structures de garde d’enfants en 2012.
19. L’objectif total est d’accroître de 275 000 le nombre de places d’accueil des jeunes enfants entre 2013 et 2017.
20. Avis du Haut Conseil de la famille sur le développement de l’accueil des jeunes enfants : séance du 9 octobre 2014, site internet : www.hcf-famille.fr.