Malgré un arsenal de congés spécifiques développé, le travail à temps partiel reste au cœur de ce qu’on qualifie aux Pays-Bas de politique de combinaison famille emploi. Il s’est déployé sur tout l’éventail des qualifications, surtout chez les femmes mais pas seulement, et a marqué de son empreinte le congé parental, de même que les pratiques en matière de garde d’enfants. La crise a conduit à des atermoiements en matière de politique de garde d’enfants, défavorables à l’emploi des femmes. Le retour à meilleure fortune en matière budgétaire à partir de 2013 fait réapparaître le thème de la combinaison famille-emploi, élargie entretemps à la problématique de la dépendance et des aidants qui travaillent. Mais le modèle néerlandais a ses limites : il est peu propice à l’indépendance économique des femmes peu qualifiées, n’a guère fait progresser le partage des tâches familiales et laisse de côté les travailleurs non stables, qui représentent aujourd’hui un tiers de la main-d’œuvre.
Plutôt que de parler de conciliation vie familiale-vie professionnelle, on parlera ici plutôt de « combinaison emploi et care », pour rester au plus près de la terminologie (combineren arbeid en zorg1) en vigueur aux Pays-Bas et tenter de mieux en saisir l’approche. La combinaison à la néerlandaise suppose de faire place aux deux univers, professionnel et familial, plutôt que d’en concilier les exigences contradictoires, au risque d’en rabattre sur les unes ou les autres. Le travail à temps partiel a été au cœur de cette politique de combinaison et a accompagné le décollage de l’emploi féminin, plus tardif qu’en France, à la fin de la décennie 1980. Il a marqué de son empreinte le congé parental mais aussi les autres congés spécifiques mis en place à partir de 1990, de même que les pratiques en matière de garde d’enfants. Mais cette politique du temps partiel n’est pas allée sans une certaine ambivalence de la part des pouvoirs publics qui ont aussi tenté, à partir de 2000, de stimuler l’augmentation du temps de travail des femmes. Dix ans plus tard, la priorité accordée aux politiques d’économies budgétaires, le ralentissement de l’activité et la remontée du chômage font passer au second plan ces préoccupations. Il faut attendre le retour à meilleure fortune en matière budgétaire et celui des travaillistes dans la coalition, à partir de 2013, pour que certains thèmes de la politique de combinaison famille-emploi fassent une réapparition discrète, élargie entretemps à la problématique des aidants qui travaillent. Pour mettre en lumière ces évolutions, nous procédons en cinq temps. Tout d’abord, nous évoquons la place centrale de l’emploi à temps partiel tout en la rattachant à une problématique plus large du temps de travail aux Pays-Bas. Nous décrivons ensuite successivement comment les outils classiques de la conciliation tels que le congé parental, les dispositifs de garde, mais aussi la fiscalité ont été configurés et ont évolué aux Pays-Bas. Enfin, nous évoquons les limites de la politique néerlandaise de combinaison, tributaire des hésitations des entreprises et de la conjoncture budgétaire, et peu adaptée aux conditions d’emploi des travailleurs flexibles.
Temps de travail et combinaison famille-emploi
La quasi-hégémonie du travail à temps partiel chez les mères de famille, même chez les plus qualifiées, qui ne faiblit pas au cours du temps, montre qu’il s’agit d’un arrangement majeur pour les femmes et les ménages pour combiner responsabilités familiales et professionnelles. Si la part des hommes à temps partiel est plus modeste, elle est cependant significative. La place centrale tenue depuis 30 ans par le travail à temps partiel dans la combinaison famille-emploi doit être replacée dans le cadre plus large de l’évolution du temps de travail se rattachant à la flexibilisation croissante des organisations productives mais aussi au déverrouillage des temps sociaux. Ainsi, la politique du temps de travail peut être considérée comme l’épine dorsale de la politique de combinaison aux Pays-Bas.
Du temps partiel à la flexibilité du temps de travail
À partir des années 1980, les femmes mariées vont entrer massivement sur le marché du travail, à temps partiel. Jusque-là, traditionnellement, elles se retiraient de l’emploi au mariage, ou à la naissance des enfants. Le tournant de la flexibilisation des organisations du travail tire ce développement, soutenu aussi par les féministes, très actives, « radicales mais raisonnables » selon l’expression de l’historienne Anneke Ribberink (1989), et par le mouvement syndical qui met en avant les besoins de flexibilité des salariés en matière de temps de travail. L’accord de Wassenaar et la politique de partage du travail qu’il a initiée ne sont pas étrangers à cette évolution.
La politique gouvernementale d’égalité entre les femmes et les hommes, dite de l’Émancipation, axée à ses débuts sur la dimension politique et culturelle des inégalités (préjugés, stéréotypes), est réorientée vers l’emploi au cours des années 1990. Cette politique est durablement influencée par un mouvement féministe qui critique depuis la fin des années 1960 l’organisation patriarcale de la société néerlandaise, qui s’attache autant à revaloriser les tâches familiales et domestiques des femmes, et qui réclame le partage de ces tâches avec les hommes et l’accès des femmes à l’emploi. Elles revendiquent, conséquemment, le droit au travail à temps partiel pour tous (Wierink, 1998). Ce faisant, elles proposent un message en direction des femmes qui reste compatible avec un « idéal de maternité totale » consolidé depuis le début des années 1960 par les institutions de protection sociale et la fiscalité de l’État-providence néerlandais 2. À partir des années 1980, leur influence grandit, tant dans les partis politiques que dans les organisations syndicales et dans la société civile, portée par des coopérations horizontales entre femmes de différents partis, par l’accès de femmes à des responsabilités dans des organisations syndicales et par l’action de multiples associations. Plus tard, la relégation dans l’opposition de 1994 à 2002 des chrétiens-démocrates, conservateurs dans le domaine de la politique de la famille, crée un espace pour une politique moderniste en matière de temps sociaux et de rôles de genre.
Dans cette période, sur le terrain de la négociation collective, face aux exigences de flexibilité des entreprises, les besoins de flexibilité des salariés sont soulignés en lien avec la combinaison de leurs responsabilités professionnelles et familiales, en particulier sur le terrain du temps de travail. La possibilité d’accès au travail à temps partiel pour tous et à tous les niveaux d’emploi devient une revendication syndicale (Wierink, 1998, op. cit.). Au niveau politique, le travail parlementaire sur les textes touchant à l’égalité entre les hommes et les femmes, à l’accès à l’emploi des femmes, et à la consolidation du travail à temps partiel est suivi de très près par les élues. Diverses commissions officielles travaillent sur la combinaison, comme la commission des Scénarios d’avenir de partage du travail non payé, dirigée par Marga Bruyn-Hundt (MSZ, 1995), et la commission Aménagement des temps (Dagindeling) en 1997, travaillant sur l’assouplissement des temps sociaux. La première travaille sur des scénarios d’évolution des rôles entre les hommes et les femmes, et leurs conséquences économiques et budgétaires, et préconise en particulier le modèle du ménage à deux apporteurs de revenus à temps partiel long (quatre jours par semaine chacun), et le recours pour les jeunes enfants aux modes de garde à raison de trois jours par semaine. La seconde fait des propositions d’élargissement et d’assouplissement des temps de fonctionnement des administrations, des commerces, des services publics et privés, des écoles, etc., dans une approche des temps sociaux. Ces commissions influenceront les politiques de développement des crèches et des services périscolaires, de même qu’elles soutiendront des initiatives municipales d’amélioration des services locaux, et la politique d’élargissement des temps d’ouverture des commerces et du travail dominical.
Les partenaires sociaux, au plus haut niveau, à la Fondation du travail, prennent position à plusieurs reprises en faveur du développement du travail à temps partiel pour tous et à tous les niveaux d’emploi (STAR, 1990, 1993, 1997a, 1997b). Le travail législatif et conventionnel suit. En 1996, une loi interdit de différencier le traitement des travailleurs à temps plein et à temps partiel. Des dispositions apparaissent dans de nombreux accords collectifs pour faciliter l’accès au temps partiel, la réduction du temps de travail sur demande des salariés à tous les niveaux, pour corriger les inégalités de salaires, d’avantages, de retraites, etc. Une nouvelle étape est franchie en 2000 avec la loi sur l’adaptation du temps de travail, discutée pendant plus de six ans, qui reconnaît aux salariés le droit de réduire ou d’augmenter leur temps de travail (Wierink, 2000).
Ces transformations s’inscrivent dans une révision d’ensemble de la législation du temps de travail, datant de 1919. La première étape de cette révision (1995-1996) a répondu à la montée de la flexibilisation des organisations de travail, à partir des années 1990. La loi sur le temps de travail de 1919 est totalement remaniée autour de normes minimales et de normes négociées par les partenaires sociaux. La loi intègre alors la combinaison famille-emploi comme son deuxième objectif, après celui de la flexibilisation du système. Elle fait peser sur les employeurs la responsabilité de mettre en place des horaires collectifs de travail qui tiennent compte des circonstances de vie personnelle des salariés, en concertation avec les représentants du personnel. Cette obligation ne trouvera guère de traductions concrètes dans la jurisprudence mais elle est typique de l’état d’esprit de l’époque. En 1996, ce sont les horaires des commerces, jusque-là très restrictifs, qui sont modernisés et élargis 3. Le calendrier de cette évolution est synchrone avec la mise à l’agenda public de la question de la combinaison famille-emploi, portée activement par les deux gouvernements « violets », au pouvoir de 1994 à 2002.
Aucun de ces changements ne s’est fait sans que soit mis l’accent sur la nécessité pour les hommes de s’engager davantage dans la vie familiale et pour les femmes dans la vie professionnelle et dans tous les secteurs. Il y a là une continuité dans la politique officielle d’émancipation, depuis ses premiers accents plus culturels jusqu’aux politiques davantage orientées vers le marché du travail des années 1990 et 2000.
L’omniprésence du temps partiel dans les ménages avec enfants
Sur longue période, le niveau du temps partiel aux Pays-Bas témoigne de la flexibilisation des organisations productives mais aussi de la construction sociale évoquée plus haut. De 2003 à 2013, le taux de temps partiel féminin, très élevé, est relativement stable autour de 72 % tandis que chez les hommes, il a progressé de 16 à 20 %, selon les données de l’enquête Population active du Centraal Bureau voor de Statistiek – CBS 4, pour l’ensemble des actifs (salariés et indépendants) de 20 à 64 ans (Bierings et al., 2014). Chez les femmes, le temps partiel court (moins de 20 heures par semaine) a reculé mais est encore très fréquent : 30 % en 2003, 24 % en 2013. Pour autant, les hommes ne sont pas en reste et globalement, les arrangements de durée du travail entre les partenaires des ménages sont plus multiples que ne le laisse penser le « modèle de ménage à un apporteur et demi ».
Au-delà de la banalisation du travail à temps partiel féminin, il est nécessaire de prendre en considération les effets de stratification sociale du travail à temps partiel (tableau 1). Moins les femmes sont qualifiées, moins elles travaillent. Même aux niveaux d’éducation les plus élevés, le travail à temps plein n’atteint pas 40 %. En revanche, on observe aux niveaux moyens et supérieurs d’éducation une polarisation des durées du travail à partir de 28 heures par semaine, témoignant du succès de la semaine de quatre jours. Chez les hommes, le temps plein n’est pas non plus totalement hégémonique puisqu’il n’atteint même pas 80 % à son étiage le plus fort, au niveau d’éducation le plus élevé (tableau 1). Les durées du travail supérieures à 20 heures mais inférieures au travail à temps plein sont pratiquées par 13 à 15 % des hommes, tandis que les toutes petites durées du travail apparaissent plutôt l’apanage des moins qualifiés (ou des plus jeunes, lycéens ou étudiants). Pour les mères de famille, le temps plein est encore plus rare. Pour les mères d’enfants de moins de 18 ans, le taux moyen d’emploi à temps plein n’atteint jamais 20 %, même lorsque les enfants ont de 12 à 17 ans (CBS, 2015).
S’ajoute à l’effet du niveau de formation celui des charges de famille. L’image d’un « modèle de ménage à un apporteur et demi » est un peu réductrice. En effet, les données disponibles quant à la répartition des ménages biactifs avec enfants font apparaître une diversité d’arrangements de durée du travail et des évolutions entre 2003 et 2014 5. Tout d’abord, en 2014, il reste encore près de 30 % de ménages où un seul est en emploi même si, depuis 2003, on observe une croissance de la bi-activité (+7 % en 10 ans).
Dans la catégorie des ménages où l’un est à temps plein et l’autre à temps partiel, dans la quasi-totalité des cas, c’est l’homme qui est à temps plein et la femme à temps partiel. Si cette catégorie illustre le fameux modèle de « ménage à un apporteur et demi », la répartition de l’emploi entre les femmes et les hommes ne correspond pas toujours à un rapport de 1 à 2. Sur dix ans, on observe des évolutions dans la répartition des durées du travail de ces couples qui montrent que les femmes ont tendance à augmenter leur durée de travail : la part des couples où la femme travaille en temps partiel « long » (20 à 35 heures) passe de 41 % en 2003 à 50,5 % en 2014, tandis que celle où la femme travaille à temps partiel moyen (12 à 20 heures) recule, passant de 24 % à 15 %, et celle où elle travaille à tout petit temps partiel (moins de 12 heures) est presque divisée par deux (passant de 14 % à 8 %).
En fait, la part de la catégorie de ménage à un apporteur à temps plein et l’autre à temps partiel a régressé en dix ans, passant de 80,6 % en 2003 à 76,5 % en 2014. Ce recul tient à la timide progression du taux de ménages au comportement innovant où les deux partenaires sont, soit tous les deux à temps plein, soit tous les deux à temps partiel (respectivement 12,8 % et 10,7 % du total en 2014). Si le taux des ménages bi-actifs à temps partiel est très stable sur la période 2003-2014, celui des ménages à deux actifs à temps plein est en légère croissance. Parmi les ménages biactifs occupés à temps partiel, les deux tiers de ces ménages occupent des emplois à temps partiel long (20 à 35 heures par semaine, soit quatre jours par semaine). Dans les débats féministes, ces deux arrangements restent perçus comme rompant avec le modèle dominant. Les pères qui prennent un jour de congé parental par semaine pendant plus d’un an s’inscrivent dans ce schéma moderniste, même s’ils ne sont pas comptabilisés comme à temps partiel.
Il est courant de voir dans le développement du travail à temps partiel l’effet de l’insuffisance des modes d’accueil de la petite enfance. À cet égard, le cas néerlandais est intéressant parce qu’il laisse à voir des liens de causalité plus complexes. Si l’absence de tradition de modes de garde a poussé les premières générations de femmes désirant travailler vers le temps partiel, sa légitimation sociale au nom de l’égalité entre les femmes et les hommes et la consolidation progressive de son statut en ont fait un mode d’emploi à part entière, exerçant à son tour une influence structurante sur le développement des modes de garde comme sur la configuration de la plupart des congés de combinaison qui vont apparaître à partir des années 2000.
Les modes de garde d’enfants : recours à temps partiel
La question des modes de garde n’apparaît que tardivement aux Pays-Bas, en cohérence avec la persistance du modèle de la mère au foyer et en dépit des critiques qui apparaissent sur ce thème dès la fin des années 1970 du côté des féministes. Il faut attendre les années 1990 pour que les premières impulsions soient données au développement des modes de garde collectifs (Wierink, 2004). Sur les 15 ans qui suivent, la politique de soutien à la garde des enfants est marquée par une forte instabilité. Si la fréquentation des crèches et autres services périscolaires s’est fortement banalisée, le recours reste limité, à temps partiel comme le travail, en écho à la persistance de réticences à une socialisation plus intensive de l’éducation des enfants.
Démarrage tardif puis privatisation du système de garde
Entre 1990 et 1996, le gouvernement s’engage dans une politique dite de « stimulation » des dispositifs de garde, permettant la création de places de crèches collectives dans les municipalités. Cette politique est basée sur le principe d’un financement global en trois tiers, comprenant des subventions publiques, s’ajoutant à la participation financière volontaire des entreprises (dans le cadre d’accords collectifs) et d’un cofinancement par les parents. Le défaut de ce système tenait à son absence d’universalité, en lien avec le seul subventionnement des places de garde municipales et le caractère facultatif de la participation patronale. En 1996 seulement, on s’intéresse à la mise en place de dispositifs d’accueil périscolaire, jusque-là inexistants dans un pays où la journée d’école se termine à 15 heures, mais ceux-ci ne se mettent que lentement en place.
Cette politique de stimulation fait décoller le secteur. En 2000, à raison de près de deux enfants par place disponible (du fait du travail à temps partiel), 21 % des enfants de moins de 4 ans sont accueillis en modes de garde collectifs 6.
En 2005, le taux d’enfants de moins de 4 ans fréquentant une crèche est passé à 25 % tandis que le rapport entre le nombre de places et le taux de fréquentation montre que le temps d’occupation d’une place par un enfant augmente légèrement (voir infra, tableau 3). Le succès est moins net pour le périscolaire : en 2000, 3,4 % des enfants de 4 à 12 ans fréquentent une structure de garde péri-scolaire et en 2004, moins de 6 %.
En 2005, le soutien public à la garde d’enfants est totalement réorganisé selon des principes de marché. L’aide financière aux parents est désormais attribuée directement aux parents, par les services fiscaux, afin d’en faire des consommateurs de services de garde sur un marché désormais complètement ouvert à l’initiative privée et marchande. L’encadrement réglementaire (taux d’encadrement des enfants, exigences de formation, etc.) est sommaire. Il sera progressivement renforcé. De service public, le dispositif de garde devient un secteur concurrentiel (Portegijs et al., 2014). La loi de 2005 élargit le soutien financier à la garde aux enfants gardés à domicile par les gastmoeders, sorte d’équivalents des assistantes maternelles en France, mais beaucoup moins couramment utilisées (Bettendorf et al., 2012).
En 2007, on met fin au caractère facultatif 7 de la participation financière des employeurs en instaurant une cotisation sociale patronale dédiée au financement du système de garde, assurant l’égalité entre les parents à cet égard. Sur l’initiative de deux parlementaires, on instaure enfin en 2007 une obligation de mise en place de services périscolaires (cantines et garderies) dans toutes les écoles, et seulement si une majorité de parents le demande. Le coût de ces services de garde est élevé en comparaison des services de crèche.
En 2006-2007, et grâce à la généralisation de la participation patronale, les aides financières sont très fortement augmentées pour tous les modes de garde formels. Sans changement pour les ménages modestes déjà très fortement soutenus avant la loi (jusqu’à 96 % de la dépense), elles sont en augmentation pour les ménages aux revenus moyens (de 30 000 à 70 000 euros environ), selon une échelle dégressive qui laisse à la charge des ménages les plus aisés (110 000 euros et plus) 33,3 % de participation parentale. Ainsi, pour les ménages à revenus moyens, l’aide augmente de 20 à 40 points de pourcentage, et pour les ménages à revenus élevés un peu moins (Bettendorf et al., op. cit.). D’autres estimations montrent qu’en tenant compte des aides majorées pour les deuxième et troisième enfants, la part moyenne du coût de l’heure de garde revenant aux parents est passée de 39 % en 2005 à 19 % en 2007 (Jongen, 2010).
Le nombre d’enfants de 0 à 12 ans accueillis dans l’un ou l’autre des modes de garde augmente de 50 % entre 2005 et 2009 (tableau 2), tandis que le nombre de places n’augmente pas dans la même proportion, toujours du fait qu’on compte plus d’un enfant par place, en lien avec le travail à temps partiel. En ce qui concerne le périscolaire en 2007, 76 % des municipalités ont au moins une école offrant un accueil aux enfants de 7 heures 30 à
18 heures 30 (Cloïn, Souren, 2009).
En conséquence, de 2005 à 2009, la dépense publique augmente fortement, passant de 1 milliard d’euros en 2005 à 2 milliards en 2007, et 3 milliards d’euros en 2009 (Bettendorf et al., 2012:8 et s.). Les projections de la Chambre des comptes néerlandaise l’évaluent à 3,6 milliards d’euros pour 2015, et vont contribuer à faire de la politique de soutien à la garde d’enfants une des cibles de la politique d’austérité budgétaire mise en œuvre à partir de 2011.
De 2011 à 2014, une politique erratique d’aides financières
À partir de 2011, la politique de soutien financier aux frais de garde va fluctuer au fil des années, et des effets vont vite être observés sur la fréquentation des modes de garde (Portegijs et al., 2014). En 2011, les aides dégressives sont rabotées, touchant surtout les revenus moyens et élevés. En 2012, le nombre d’heures pour lesquelles l’aide publique peut être demandée est calé sur la durée du travail du partenaire travaillant le moins (tandis que l’aide publique est toujours calculée sur le revenu d’ensemble du ménage). L’indexation des tarifs horaires plafond 8 sur lesquels sont calées les aides est suspendue en 2013. Cette même année, les taux d’aide baissent encore et l’aide est complètement supprimée au-delà de 118 000 euros de revenus annuels. Ces ménages perdent de ce fait le bénéfice de la part employeurs du financement. Au total, le coût global supporté par les parents a doublé en moyenne entre 2008 et 2013 : en 2008, 81 % du coût de l’heure de garde était socialisé, contre 63 % en 2013 (CBS, 2014b).
Les économies attendues (420 millions d’euros pour 2012, 650 millions d’euros en 2013) sont dépassées : ainsi il apparaît qu’on a économisé, dès 2012, 536 millions d’euros de plus que ce qui était programmé. Cette situation conduit, fin 2013, devant l’amélioration générale des finances publiques, à prendre des premières mesures de correction, dont il est prématuré d’évaluer les conséquences. Jet Bussemaker, la ministre compétente chargée de l’Enseignement, de la Culture et du Bien-être, programme 100 millions d’euros supplémentaires pour le dispositif de garde au budget 2014. En direction des ménages à revenus élevés (plus de 110 000 euros) qui ne touchaient plus rien, elle réinstaure une aide minimale de 18 % pour le premier enfant, à comparer avec les 33,3 % d’aide (part patronale) dont ils bénéficiaient jusqu’en 2012. En direction des ménages les plus modestes, elle reprend l’indexation des tarifs maximaux horaires, très impactés par le dépassement des coûts réels de l’heure de garde par rapport aux tarifs ministériels maximaux (Portegijs et al., 2014).
Pertes d’emploi dans les structures de garde et recul de leur fréquentation
Depuis 2005, le secteur s’est considérablement développé et des structures très diverses sont apparues, de la crèche locale au groupe intégrant des services de crèche et périscolaires multi-établissements, suscitant même l’intérêt d’investisseurs financiers. Selon la branche « Garde d’enfants » (Kinderopvang Brancheorganisatie), le nombre d’implantations a triplé entre 2005 et 2013, moitié crèches et moitié structures périscolaires. En 2013, les listes d’attente ont complètement disparu.
Sur le plan de l’emploi dans le secteur de la garde d’enfants, les conséquences des mesures d’économies ne se sont pas fait attendre. En 2013, selon le CBS (2014b), on voit pour la première fois depuis 2009 le nombre de structures de garde reculer, alors qu’il avait crû continûment depuis 2005. Certaines faillites d’entreprises de crèches sont retentissantes. Le nombre de salariés déclarés par la branche « Garde d’enfants » diminue de 97 000 en 2012 à 89 000 en 2013, à diviser à peu près par deux pour obtenir les effectifs en équivalent temps plein (Brancheorganisatie Kinderopvang, 2014). Comme dans le domaine de la santé et de la dépendance, l’emploi féminin de ce secteur est touché de plein fouet par les conséquences de la rigueur (Wierink, 2014).
Les réductions d’aides ont également des répercussions sur la fréquentation, qui baisse de 11 % entre fin 2011 et fin 2013. Si une partie de cette baisse s’explique par une diminution des naissances ces dernières années, la part des enfants fréquentant déjà la crèche diminue aussi : de 44 % en 2011 à 39 % en 2013 (CBS, 2014b). Une enquête spécifique (Portegijs et al., 2014) montre un déversement des heures de garde vers la garde informelle, au premier rang de laquelle les grand-parents. Entre 2009 et 2013, on observe des effets de redistribution des modes de garde principalement utilisés par les parents surtout pour les petits enfants avec une baisse de 6 points de pourcentage des enfants accueillis en crèche en quatre ans et une augmentation de 9 points de pourcentage pour le recours à la famille et aux amis (tableau 3).
Sur le plan de l’activité des parents, il est difficile de porter un jugement sur les effets du renchérissement de la garde des enfants intervenu à partir de 2011. Dans le cas des ménages ayant réduit le recours aux modes de garde ou y recourant moins qu’ils ne l’avaient prévu avant la naissance de l’enfant, pour un quart d’entre eux, il n’y a pas eu réduction du temps de travail, mais plutôt modification des horaires des mères, de sorte à augmenter leur présence à la maison. Mais pour les autres trois quarts, le temps de travail a reculé, d’abord à cause du chômage de l’un ou l’autre des parents, mais aussi du fait d’une réduction du temps de travail. Une analyse multivariée des résultats montre qu’il faut aussi tenir compte de l’augmentation du chômage 9, de la baisse de consommation liée à la perte de confiance des ménages dans l’économie, de la disponibilité de moyens de garde alternatifs, et enfin des possibilités des parents de flexibilisation de leur temps de travail. Autant de facteurs qui se conjuguent à une confiance qui reste faible dans les modes de garde extérieurs à la famille.
Préférences pour une socialisation limitée des enfants
En 30 ans, les représentations sociales sur le travail des mères et la garde des enfants à l’extérieur de la famille, auparavant très négatives, sont devenues majoritairement favorables. Pour autant, cette évolution ne va pas jusqu’à l’approbation du travail à temps plein pour les mères de famille ni jusqu’à celle du recours extensif aux modes de garde. En 2002, près de la moitié des mères de jeunes enfants est d’accord avec l’assertion que la famille « souffre » du travail à temps plein des femmes. Dix ans plus tard, en 2012, le temps plein n’est considéré comme la durée idéale du travail pour les mères d’enfants d’âge de crèche que par 4 % des répondants et 12 % pour les mères d’enfants de moins de 12 ans.
Cette préférence pour le travail à temps partiel est cohérente avec les réticences qui s’expriment encore dans les enquêtes d’opinion à l’égard des modes de garde collectifs, sans grande différence entre les hommes et les femmes. Cloïn et Bierings évoquent un « ethos de selfcare » (2012) encore très prégnant. Dans les enquêtes d’opinion sur l’éducation des enfants, en 2014, même quand on demande aux sondés s’ils sont d’accord avec une fréquentation de la crèche deux à trois jours par semaine, on n’obtient une nette approbation que pour les enfants d’au moins 2 ans (plus de 60 % d’opinions favorables). Pour les bébés, les réticences sont les plus fortes puisqu’on n’atteint même pas 30 %. Et quand les enfants sont d’âge scolaire (plus de 4 ans), on ne trouve même pas 50 % d’opinions favorables à une fréquentation deux à trois jours par semaine des garderies et centres de loisirs (Cloïn, Souren, 2009 ; Portegijs et al., 2014). Les formules qui obtiennent le plus de suffrages (Van der Sman et al., 2014) sont celles de trois jours de crèche par semaine pour les enfants plus jeunes (33 % des répondants) et de quatre jours de garderie par semaine pour les enfants d’âge scolaire (39 % des répondants).
Cette réserve à l’égard des modes de garde collectifs témoigne d’une opposition tenace entre l’intérêt des enfants et celui des mères et d’une méfiance ancienne à l’égard de la socialisation du petit enfant (Wierink, 2004). À la fin des années 1970, la crèche à temps plein constitue quasiment un repoussoir, y compris pour certaines féministes (Bussemaker, 1998). Les Pays-Bas préfèrent à cette époque le développement de salles de jeux 10 qui accueillent les enfants de 2 à 4 ans deux demi-journées par semaine. Depuis les années 1990 et jusqu’au début des années 2000, tout au long de la période de développement du secteur de la garde d’enfants, des débats très vifs vont sans cesse ressurgir, alimentés par les travaux de psychologues ou de spécialistes du développement des enfants. Ils vont à la fois critiquer le manque d’exigences de qualité des structures qui se mettent en place (formation insuffisante du personnel, turnover, taux d’encadrement, etc.) et mettre en garde sur les risques pour la stabilité émotionnelle des enfants d’un temps trop long passé en crèche. Les inquiétudes sont encore ravivées en décembre 2010 à la suite d’un scandale de pédophilie en crèche (l’affaire Robert M.) qui secoue l’opinion publique et le faible niveau psycho-éducatif de certaines structures est encore dénoncé.
Le congé parental, sur le moule du travail à temps partiel
À partir des années 1990, différents congés ont été instaurés ou élargis pour aider les salariés à faire face à leurs responsabilités familiales et aux nécessités du care de leurs proches (tableau 4). En 2001, tous ces congés ont été rassemblés dans une loi-cadre « Arbeid en zorg », « emploi et care ». Pour le sujet qui nous occupe, le congé parental est l’outil majeur. Il présente deux caractéristiques remarquables. La première est d’être configuré comme un droit à réduire son temps de travail, avant d’être un droit à se retirer du travail pendant quelques mois ou quelques semaines après la naissance d’un enfant. C’est pourquoi nous parlons d’un congé parental « sur le moule du travail à temps partiel ». La seconde caractéristique est de connaître un taux de recours masculin relativement important 11. Pour comprendre ces deux particularités, il est utile de revenir sur son histoire.
Aux origines du congé parental : combattre l’arrêt d’activité des mères
Si les femmes mariées et les mères de famille commencent à faire leur entrée en masse sur le marché du travail à partir des années 1980, c’est d’abord à temps partiel, et le plus souvent en revenant à l’emploi après des années d’inactivité. La maternité conduisait en effet couramment les mères au retrait d’activité. Cette interruption d’emploi et la reprise éventuelle d’activité plusieurs années plus tard sont alors analysées comme préjudiciables aux carrières féminines, défavorables à leur indépendance économique et néfastes pour le marché du travail (van Amstel, 1988 ; Maassen van den Brink, Groot, 1997). La première configuration du congé parental va tenter de contrecarrer ces comportements.
C’est pourquoi, pour les pouvoirs publics, le congé parental a d’abord été conçu comme un droit à réduire le temps de travail, dans l’objectif de maintenir les mères de jeunes enfants en emploi, sans leur permettre de s’arrêter complètement sauf à rompre leur contrat de travail. S’y ajoutait aussi un discours progressiste entendant inciter les hommes à utiliser aussi le congé parental, dans l’espoir de stimuler une prise en charge plus égalitaire du « travail non payé », dans le prolongement du discours féministe qui inspire la politique officielle de l’Émancipation. Il s’agissait donc d’un droit pour les parents d’enfants de moins de 4 ans, ayant au moins un an d’ancienneté et travaillant au moins 20 heures par semaine, à réduire leur temps de travail, dans la limite d’un volume horaire égal à 13 fois leur durée hebdomadaire du travail, à étaler sur une durée maximum de six mois. Ces paramètres autorisent donc une réduction au plus égale à la moitié du temps de travail. La loi ne prévoit aucune rémunération du congé, mais les partenaires sociaux vont négocier sur ce point dans certaines branches ou entreprises, notamment dans le secteur public.
En 1997, après évaluation de sa mise en œuvre, des modifications sont apportées au dispositif, en assouplissant les conditions. La première tient à l’ouverture d’une possibilité de s’arrêter complètement de travailler pendant les 13 semaines de congé parental, mais seulement avec l’accord de l’employeur. Le principe du congé parental reste donc celui d’un droit à temps partiel (Den Dulk, 2013). Ensuite, la prise des heures de congé parental est autorisée au-delà de six mois, ce qui permet d’étaler sur une longue période les heures prises au titre du congé parental, au gré du parent concerné. Le droit est étendu aux parents d’enfants de 4 à 8 ans et aussi aux parents travaillant moins de 20 heures par semaine, qui s’en trouvaient jusque-là exclus.
Douze ans plus tard, en 2009, le congé parental est encore modifié. Sa durée est doublée, portée à 26 fois la durée hebdomadaire du travail et ses modalités sont encore assouplies avec la possibilité de prendre le congé en plusieurs blocs de temps (six au maximum) étalés sur les 8 premières années de l’enfant. Enfin, en 2014 12, une nouvelle loi en assouplit encore les modalités, supprimant le nombre maximum de périodes où le congé parental peut être utilisé, permettant ainsi de l’utiliser notamment pour parer à des périodes de vacances scolaires de l’enfant. Elle prévoit aussi la possibilité, en cas de changement d’emploi, d’utiliser le reste d’heures de congé parental chez le nouvel employeur.
Un quart des pères concernés en congé parental
Le congé parental est un dispositif qui connaît un beau succès, et le taux de recours des pères, s’il semble connaître un certain tassement, est remarquable. Les particularités présentées ci-dessus, en se combinant avec la banalité du travail à temps partiel, influencent grandement le recours fait par les parents au congé parental. En 20 ans, on a observé une forte croissance du taux de recours au congé parental. On est passé d’un taux de 17 % sur la période 1992-1994, à 22 % pour 1996-1998 (Boelens, 2000) des ayants-droit, enfin à plus de 40 % pour 2013 (CBS, 2014a).
Les femmes ont été continûment de plus fortes utilisatrices du congé parental que les hommes, mais la part des hommes a marqué une croissance tout à fait remarquable. Sur la période 1992-1994, 43 % des femmes et 8 % des hommes y recourent. En 1996-1998, la part des femmes est stable (42 %) et celle des hommes s’élève à 13 %. Entre 2003 et 2011, le taux de recours masculin grimpe de 15 % à 27 %, pour retomber à 23 % en 2013 (van der Sman et al., 2014). En moyenne sur tous les secteurs d’activité, près d’un quart des hommes concernés par le congé parental y recourent. Du côté des femmes, le taux tourne autour de 40 % jusqu’en 2009 et atteint 57 % en 2013 (CBS, 2014a).
Si le nombre d’heures prises en congé parental par les hommes et les femmes est relativement proche, cette similitude est trompeuse (Van der Sman et al., 2014) : dix à 12 heures de congé parental par semaine pour les femmes et huit heures pour les hommes. C’est sur la durée d’étalement des heures de congé que la différence apparaît : les femmes enquêtées en 2011 comme en 2013 font durer en moyenne le congé sur 12 mois, et les hommes sur 18 mois en 2011 et 16 mois en 2013. Pour les femmes, cette durée moyenne de 52 semaines montre que les pratiques de réduction temporaire de leur temps de travail, le plus souvent déjà partiel, l’emportent sur l’interruption totale de travail. Pour les hommes travaillant à temps plein dans 90 % des cas, l’étalement leur donne ainsi la possibilité de travailler un jour de moins par semaine pendant un an et demi.
Mais des pratiques influencées par l’indemnisation ou non du congé
Le fait de laisser à l’initiative des partenaires sociaux la question de la rémunération du congé a des effets de segmentation forts. Au fil du temps, certains accords collectifs d’une part, et des facilités fiscales d’autre part, viennent tempérer cette absence d’indemnisation. Du côté de la fiscalité sur les salaires, une réduction d’impôt, égale à la moitié du salaire minimum horaire par heure de congé parental (soit 4 euros), est en place jusqu’en 2014. Cette réduction d’impôt est supprimée en 2015, ce qui désavantage particulièrement les parents non indemnisés par leur employeur au titre d’un accord collectif.
En 2009, seulement 13 % des accords collectifs, couvrant d’importants effectifs salariés, prévoient une rémunération des heures de congé qui varie beaucoup, allant de 40 à 75 % du salaire ou selon d’autres modalités, ou comme par exemple une limitation à 13 semaines ou encore aux parents d’enfants de moins de 4 ans, etc. (Beeksma, Jungen-van Hoorn, 2009). Le secteur des services non marchands (publics et parapublics comme l’enseignement, la santé, le social, les administrations centrales et locales) est le plus engagé, et depuis très longtemps, sur ce thème, comme d’ailleurs sur tous les thèmes de négociation touchant à la combinaison famille-emploi.
Entre 2001 et 2013, le pourcentage de personnes en congé parental indemnisées partiellement ou totalement a néanmoins augmenté, passant de 24 % à 50 %, le niveau de ce taux reflétant certains effets de sélection, selon le secteur d’activité et l’existence ou non d’accord y prévoyant la rémunération du congé. L’indemnisation est en effet un incitatif puissant à la prise du congé parental. Une étude portant sur la période 2006-2010 (van der Mooren, Souren, 2011) montre ainsi que dans le secteur de l’administration centrale et locale et dans l’enseignement, les deux tiers des personnes ayant droit au congé parental l’ont pris, tandis que le taux de recours pour l’ensemble des autres secteurs n’était que de 21 %. Cette influence de la rémunération des heures de congé est encore plus nette sur le taux de recours des pères : 55 % des hommes y ayant droit et travaillant dans l’administration ou l’enseignement y recourent, contre 13 % dans les autres secteurs. Les différences sont observables, en moyenne, aussi chez les femmes mais dans une moindre mesure : 74 % contre 32 %.
À partir d’une observation des niveaux de formation des femmes en congé parental dans les secteurs sans rémunération de ce congé, on peut conclure à un effet revenu sur la prise de congé parental, en faveur des plus qualifiées (Van der Mooren, de Vries, 2011). En 2006-2008, 48 % des femmes les plus qualifiées prennent ce congé, contre 27 % des femmes de niveau moyen de formation et seulement 14 % pour les femmes de faible niveau de formation. En ce qui concerne ces dernières, on peut penser que, compte tenu de durées de travail plus faibles, elles perçoivent le congé parental comme moins utile. Mais ce moindre recours peut être aussi le signe que, pour elles, la contrainte économique sur le budget familial est plus importante. À cet égard, la suppression en 2015 de la réduction d’impôt à laquelle donnait droit chaque heure de congé parental va encore aggraver la situation des plus modestes.
On ajoutera que depuis la loi de décembre 2014, les salariés ont maintenant le droit d’aménager leur temps de travail (réduction ou autre modalité d’organisation) pendant un an à l’issue de leur congé parental, pourvu qu’ils en aient fait la demande trois mois avant la fin du congé. L’employeur devra avoir fait connaître sa réponse quatre semaines avant la fin du congé.
La fiscalité : soutien des revenus ou de la combinaison ?
Si la fiscalité des revenus du travail n’est pas, à elle seule, décisive dans les arrangements des ménages en matière de division familiale du travail, elle participe du cadre objectif mais aussi symbolique dans lequel ces arrangements sont discutés dans les ménages. Cadre objectif car les contribuables néerlandais sont très attentifs à leur taxation, et le recours à des conseils fiscaux est habituel, que les organisations syndicales proposent aussi d’ailleurs en période de déclaration. Cadre symbolique dans la mesure où le système fiscal a longtemps avantagé les familles traditionnelles sur les célibataires et les ménages à deux actifs. Pour les pouvoirs publics, c’est donc un levier de changement des comportements.
Aussi, pour compléter la vue d’ensemble des outils d’aide à la combinaison famille-emploi aux Pays-Bas, il est nécessaire de prendre en considération son évolution. Dans le cadre de la construction de l’État-providence néerlandais, les Pays-Bas ont longtemps connu un système fiscal et social protégeant la famille de Monsieur Gagnepain. Ce système évolue depuis les années 1990, sous l’effet des transformations économiques et sociales du système productif et de la politique de l’émancipation. Dans le domaine de la protection sociale, les dispositifs ont été individualisés (chômage par exemple) et configurés pour inciter au travail (inaptitude, revenu minimum) dans une logique de making work pay. À partir de 2001, date de la dernière modification de la réglementation fiscale, l’outil fiscal est mobilisé de manière plus explicite à l’appui de la combinaison famille-emploi (Tielrooij, 2007) au moyen de deux réformes. Avant d’aller plus loin, il n’est pas inutile de préciser que le système fiscal néerlandais est individualisé depuis 1973. On ne connaît pas de quotient familial. L’impôt sur les revenus du travail (qui comprend aussi les cotisations aux deux assurances sociales universelles de la retraite de base AOW et des soins de longue durée) est prélevé à la source chez l’employeur, selon une taxation par tranches 13. Une déclaration annuelle auprès des services fiscaux intervient en complément, intègre les revenus autres que du travail, et permet la prise en compte de diverses déductions et réductions d’impôts.
En 2009, on transforme l’ancien système de réductions d’impôt dont bénéficiait chaque contribuable actif en une réduction d’impôt dite de « combinaison » (combinatiekorting), réservée aux ménages biactifs et dont ne bénéficiera que celui des deux partenaires qui a la plus faible activité 14. Clairement progressive, elle est faite pour inciter le partenaire le moins actif à augmenter son activité. En 2014, en dessous de 4 814 euros de revenus du travail par an, on n’y a pas droit, entre 4 814 et 32 359 euros, elle augmente progressivement de 1 024 euros à 2 133 euros. Au-delà de 32 359 euros de gains annuels, elle est plafonnée à ce montant.
Dans un pays où les confessionnels ont très longtemps fait partie des coalitions gouvernementales ou les ont dirigées, la réforme d’une autre réduction générale d’impôt, le crédit général d’impôt, met aussi en lumière les enjeux des inflexions du système fiscal pour la combinaison famille-emploi et la persistance des débats sur la liberté de choix de travailler ou non pour les femmes. Le dispositif en cause tient à la possibilité de transfert du conjoint inactif vers le conjoint actif de sa réduction individuelle d’impôt. Sous une forme plusieurs fois modifiée jusqu’à constituer depuis 2001 un crédit d’impôt transférable, il s’agit d’un mécanisme ancien, avantageant les ménages traditionnels à un seul revenu, souvent moqué comme « la subvention de l’évier » (aanrecht subsidie).
On parle de modifier ce dispositif depuis 1984 mais il faut attendre 2009 pour qu’on décide d’y mettre fin. Mais on prévoit une période de réduction progressive du crédit d’impôt transférable jusqu’à extinction sur une période de 15 ans, jusqu’en 2014, et on exempte les ménages avec enfant de moins de 5 ans ainsi que les personnes nées avant 1963. La prudence de la réforme est significative de la sensibilité du sujet.
Les limites de la politique de combinaison
Les années de rigueur budgétaire n’ont pas vu éclater de débat ou de polémique relative à la politique de combinaison famille-emploi, et ce malgré des inflexions qu’on pourrait presque qualifier de « stop and go », en matière de garde d’enfants ou de fiscalité par exemple. Pour autant, elle a été discutée, comme en témoignent les débats parlementaires sur la note programmatique de l’émancipation 2013-2016. Malgré le relatif dynamisme de la négociation collective et la diversité des congés légaux, l’engagement des entreprises demeure en retrait pour en permettre un large usage. Les années de crise économique ont pesé sur l’emploi des femmes et figé la répartition de l’emploi et des tâches dans les couples. Mais l’embellie des indicateurs macroéconomiques a permis à partir de 2012-2013 quelques ambitions nouvelles. Une question reste mal résolue, sinon même pas posée : celle de l’adéquation des instruments de la politique de combinaison aux conditions d’emploi des travailleurs flexibles et précaires.
Des entreprises peu engagées
Aux Pays-Bas, en lien avec l’absence de section syndicale d’entreprise, la négociation collective de branche est dynamique tandis que la négociation d’entreprise est réservée aux très grandes entreprises. Là où des conseils d’entreprises sont en place (entreprises de 50 salariés et plus), le dialogue social fonctionne, souvent dans le cadre de dispositions plancher des accords de branche. La thématique de la combinaison s’inscrit tout à fait dans ce schéma. Malgré cet engagement des partenaires sociaux sur le terrain, les dispositifs sont peu mobilisés par les salariés. Certains travaux de recherche pointent l’importance de l’attitude des managers et dirigeants et des cultures d’entreprises. Enfin, les pouvoirs publics ont cherché à stimuler le changement dans les conditions de travail, jusqu’à ce que la crise éclipse quelque peu ces préoccupations.
À partir d’enquêtes périodiques menées sur le contenu des accords collectifs de branches (plus de 10 000 salariés) des secteurs privé et public et de grandes entreprises (plus de 3 000 salariés) 15, on a suivi aux Pays-Bas l’évolution de la négociation collective relative à la combinaison famille-emploi, sur les congés légaux, les congés extra-légaux et le thème du temps de travail (Beeksma et al., 2007 ; Beeksma, Jungen-van Hoorn, 2009). Les secteurs nettement les plus engagés sur ce terrain sont les secteurs des services, marchands et non marchands.
Entre 2007 et 2009, la négociation progresse sur ces thèmes. Aucune enquête n’a été menée ultérieurement, mais il semble qu’elle ait ensuite ralenti (Grünell, 2012).
Concernant les congés légaux, en 2007, les améliorations les plus fréquentes concernent le congé parental, avec 35 % d’accords qui en allongent la durée ou qui prévoient une indemnisation, 7 % des accords qui prévoient un allongement des congés pré-et/ou postnatal, et 7 % une indemnisation du congé de longue durée pour soins, en distinguant éventuellement les situations palliatives. En 2009, les dispositions sur la durée du congé parental dans la plupart des cas deviennent non avenues du fait de l’allongement du congé légal. Mais 70 % des accords comportent des dispositions plus favorables en cas de jours de « calamité » ou de décès d’un proche (durée ou indemnisation), 23 % allongent le congé court pour soins et 7 % indemnisent le congé de longue durée pour soins.
En matière de temps de travail et de combinaison famille-emploi, la négociation collective investit tant la question de la fixation des horaires de travail et des plannings, individuels et collectifs, que celle de l’épargne-temps. En 2007 et 2009, environ 60 % des accords comportent des possibilités d’épargne des heures supplémentaires aussi bien pour réaliser des projets personnels de type congé sabbatique que pour financer la garde d’enfants ou des congés de soins. La fixation de plages pour horaires variables progresse : en 2007, elle figure dans 48 % des accords et en 2009 dans 62 % des accords. La concertation sur les horaires collectifs de travail progresse également : 51 % des salariés sont concernés en 2009 contre 43 % en 2007. Mais le droit des salariés à faire valoir leurs préférences individuelles recule : 39 % des salariés en 2009 contre 45 % en 2007. En revanche, le télétravail progresse : 12 % des accords en traitent en 2007, touchant 6 % des salariés sous convention collective, tandis qu’en 2009, on en traite dans 22 % des accords couvrant 15 % des salariés. Certains accords élargissent le droit des salariés à demander la réduction ou l’augmentation de leur temps de travail : 9 % des salariés en 2009 bénéficient de dispositions plus favorables à la réduction de leur durée du travail et 33 % pour son augmentation. Et 3 % des accords élargissent ces droits aux salariés travaillant dans des entreprises de moins de dix salariés, exclues du champ de la loi.
Mais la pratique ne suit pas. Malgré l’implication des partenaires sociaux sur ces questions, on a rapidement observé que le recours aux différents congés restait limité, à l’exception de ceux liés à l’arrivée d’enfants, les salariés préférant prendre des jours de congé ou de RTT (van Luijn, Keuzenkamp, 2004). En entreprise, le facteur décisif semble tenir à la culture managériale de l’encadrement direct ou supérieur, qui fait régner un climat favorable ou non à l’utilisation des dispositions légales ou conventionnelles relatives aux responsabilités familiales (MSZ, 2006 ; RWI, 2010). Quand par exemple la culture d’entreprise montre des contradictions entre un discours ouvert, d’une part, et d’autre part, de fortes exigences d’investissement ou de présentéisme, ou bien encore quand la hiérarchie ignore les charges personnelles des salariés, les dispositifs légaux et conventionnels seront peu utilisés, en lien avec un comportement d’autocensure des salariés. Il faut un climat compréhensif et soutenant de la part de l’encadrement pour que les différents congés soient mobilisés par les salariés, de même qu’une organisation du travail adéquate pour faire face à leurs absences. Ceci nécessite une formation des managers, encore très insuffisante (Den Dulk, Spenkelink, 2009).
Pourtant, les pouvoirs publics n’ont pas abandonné toute ambition dans le domaine de l’évolution des organisations du travail et ont confié plusieurs missions de modernisation à des commissions officielles. La commission Bakker (Commissie Arbeidsparticipatie, 2008) sur la participation au marché du travail avait déjà insisté sur la nécessité de développer l’innovation sociale en matière de temps de travail, et d’agir sur le temps de travail de tous, hommes et femmes, pour améliorer la combinaison famille-emploi : temps de travail plus flexibles, télétravail, semaines compactes du type quatre journées de neuf heures.
Dans le prolongement de cette commission, différentes taskforces ont été mises en place associant représentants des organisations patronales, syndicales, des experts, et des personnalités politiques ou médiatiques, pour pousser à la transformation des organisations de travail et des pratiques. La commission « Temps partiel + » (2007-2010) a travaillé sur les leviers d’augmentation du temps de travail et a vu son champ élargi à partir de 2008 à la réflexion sur les incitations à travailler moins, dans le cadre d’une campagne sur les pères. Un mouvement de modernisation de l’organisation du travail, dit « la nouvelle manière de travailler » (Het nieuwe werken), s’est structuré, poussant à la flexibilisation des temps et lieux de travail. La problématique de la combinaison a été intégrée aux réflexions sur les risques psychosociaux. Enfin, le Conseil économique et social a travaillé, à la demande du gouvernement, sur les temps sociaux et a rendu son rapport sur les temps de la société en 2010 (rapport Tijden van de samenleving). Mais la crise semble tirer le rideau sur ces initiatives dont on n’entend plus parler entre 2010 et 2013.
Emploi des femmes et partage des tâches en panne
S’il est indéniable que la politique de l’émancipation a accompagné et soutenu une forte progression de la place des femmes dans l’emploi aux Pays-Bas, les temps de crise et de rigueur budgétaire sont venus contrecarrer ces évolutions et fragiliser les femmes les moins qualifiées sur le marché du travail. Le chômage féminin augmente et le taux de femmes gagnant un salaire suffisant pour leur garantir l’indépendance économique ne progresse plus. Dans les ménages, le partage des tâches est bloqué à son niveau de 2005.
Alors qu’il était quasiment réduit à un niveau frictionnel, le chômage aux Pays-Bas a augmenté pendant les années qui ont suivi la crise financière (tableau 5). Si l’on retient la tranche d’âge 25-54 ans, pour rester au plus près du thème de la combinaison famille-emploi, on observe que le taux de chômage masculin fait plus que doubler entre 2009 et 2014, tandis que celui des femmes augmente également fortement, mais sans atteindre le doublement. Les femmes, jusque-là protégées par les secteurs d’activité qui les employaient (dont les services publics et non marchands très féminisés) sont touchées avec retard, à la suite des mesures de rigueur budgétaire affectant notamment le secteur sanitaire et social.
La crise n’est pas non plus favorable à l’indépendance économique des femmes, telle qu’on la définit aux Pays-Bas à l’aide d’un indicateur. Celui-ci est calé au niveau de 70 % du salaire minimum, considéré comme le revenu minimum nécessaire à individu pour pouvoir subvenir à ses besoins, sans prise en considération des revenus d’un partenaire. Il correspond d’ailleurs à l’allocation d’assistance sociale pour un célibataire (en 2014, 900 euros par mois). On observera qu’il est ainsi calé sur une norme de revenu minimale qui correspond à un emploi au salaire minimum d’environ 25 heures par semaine. En ce qui concerne les femmes, il est suivi de près par les pouvoirs publics du fait de leur exposition à la pauvreté, quand elles sont mères célibataires, ou quand elles font face au divorce ou au veuvage.
Or, le taux de femmes ainsi considérées comme indépendantes économiquement est en stagnation depuis deux ans, après plusieurs années de progression, ce qui reflète le gel de leur situation en matière de temps de travail et/ou de rémunération. Si en 2003, moins d’une femme sur deux de 20 à 64 ans (45 %) tire un revenu net de son activité professionnelle (salariée ou indépendante) au moins égal à 70 % du salaire minimum, en 2011, ce taux atteint 53 %, sans évolution en 2013 (van den Brakel et al., 2014).
Le niveau de formation ainsi que la situation familiale jouent fortement sur ce taux. Les femmes les moins qualifiées sont bien sûr les plus fragiles économiquement. Pour elles, les effets du travail à temps partiel et du faible taux de salaire horaire se conjuguent, davantage que pour les femmes de niveau moyen et élevé de formation. Ainsi, 29 % des femmes de faible niveau de qualification sont économiquement indépendantes en 2012, contre 53 % à niveau moyen de formation et 73 % à niveau élevé de formation.
En 2013, 24 % du total des emplois féminins sont des emplois de moins de 20 heures par semaine. Le contexte de crise et de rigueur n’est favorable ni à la croissance du nombre des emplois ni à l’extension des horaires de travail et ne permet guère aux femmes concernées d’améliorer leur situation. S’y ajoutent les effets de la flexibilisation croissante du marché du travail. Celle-ci a conduit ces dernières années à l’augmentation du nombre des emplois hyper-flexibles (travail sur appel, contrats 0 heure garantie, vacations de remplacement notamment) dans lesquels les femmes sont surreprésentées, mais aussi du faux travail indépendant, où les hommes sont très concernés comme dans le secteur du bâtiment et des transports (Wierink, 2014). Autant de formes d’emploi touchant les moins qualifiés dont la flexibilité complique la combinaison famille-emploi au lieu de la faciliter.
Dans le domaine du partage des tâches, objectif majeur de la politique de combinaison famille-emploi, la répartition de l’emploi comme des tâches familiales et domestiques entre les deux partenaires d’un ménage apparaît bloquée depuis 2005 (van der Sman et al., 2014). En effet, si le partage égal du travail payé et non payé entre les hommes et les femmes a été une des premières revendications des féministes et constitue un objectif continu de la politique de l’émancipation à partir des années 1990 (Wierink, 1998, 2001), la réalité s’écarte de ces ambitions. Des exploitations plus fines font ressortir pour 2011 que c’est pour les parents d’enfants mineurs que les disproportions entre femmes et hommes sont les plus fortes, tant dans le travail rémunéré que dans le domaine familial et domestique (Van der Sman et al., op. cit.). Au mieux, les hommes assument un tiers des temps familiaux et domestiques quand le plus jeune enfant a moins de 4 ans (34 %), et les femmes un tiers du temps professionnel (33 %) quand le plus jeune enfant a entre 12 et 17 ans. Si l’on prend en compte l’ensemble des temps « contraints » (professionnels, domestiques et familiaux), ce sont les pères des plus jeunes enfants qui sont le plus sous pression, avec un total de 62 heures contre 54 heures pour les femmes.
Ces inégalités sont d’autant plus remarquables que les sondages font état d’opinions plutôt égalitaristes, même chez les hommes. Comme pour la durée du travail désirée où les hommes émettent des souhaits de réduction de leur temps de travail éloignés des durées de travail constatées, l’égalité dans la répartition des tâches dans le ménage reste davantage fantasmée que mise en pratique. Si l’on excepte les couples de catégories socio-professionnelles supérieures où des pratiques du type deux emplois à quatre jours par semaine sont relativement plus fréquentes, les Néerlandais respecteraient un contrat psychologique implicite, sauvegardant pour l’homme son rôle de premier pourvoyeur de ressources et pour la femme celui de responsable de la régie domestique et familiale (Grünell, 2012).
Un nouveau volontarisme depuis 2012-2013
Le deuxième gouvernement Rutte, qui associe les travaillistes, marque un nouveau volontarisme sur le terrain de la place des femmes en emploi, qui ranime la politique de la combinaison. Le retour aux 3 % de déficit et le ralentissement de la progression du chômage semblent autoriser de nouveaux projets. Dans sa note programmatique pour la politique de l’Émancipation 2013-2016, Jet Bussemaker remet à l’ordre du jour la question de l’indépendance économique des femmes les moins qualifiées inactives ou au chômage. Elle annonce le subventionnement d’un programme de retour à l’emploi et de lutte contre l’illettrisme (Eigen kracht), mis en œuvre par les municipalités et les services de l’emploi.
Autre signe du retour de la combinaison, fin 2013, Lodewijjk Asscher, ministre travailliste des Affaires sociales et vice-président du gouvernement, reprend aussi l’initiative. Il organise le 18 novembre un sommet sur ce thème (Asscher, 2013), tout en l’élargissant aux travailleurs seniors, aidants familiaux. Les enjeux de la réforme de la prise en charge de la dépendance sont si importants qu’on comprend l’accent mis de plus en plus souvent et de plus en plus fort sur la problématique des aidants qui travaillent. Il n’est plus possible aux Pays-Bas de parler de combinaison famille-emploi sans élargir le problème aux salariés seniors, par ailleurs touchés par le recul de l’âge de la retraite au-delà de 65 ans. Toutefois, il semble y avoir loin de la parole aux actes : le congé d’accouchement destiné aux pères ou aux femmes partenaires dans les couples de même sexe, de deux jours (rémunérés) seulement, vient d’être porté en décembre 2014 à cinq jours, mais sans obligation légale de rémunération pour les trois jours d’extension. Est-ce parce que les entreprises, par la voix de l’organisation Algemene Werkgeversvereniging Nederland (AWVN 16), ont déclaré lors de ce sommet qu’elles ne voulaient plus de changements dans la réglementation en matière de combinaison mais privilégier la négociation collective ?
Quelle combinaison famille-emploi pour les travailleurs précaires ?
Enfin, au regard de la croissance des emplois flexibles et précaires, la question peut être posée de l’adéquation des instruments de la politique de combinaison à cette évolution. Les experts s’accordent pour reconnaître qu’on dépasse le taux de 30 % de travailleurs flexibles (Muffels, Wilthagen, 2011). En 2011, pour 100 travailleurs flexibles, on en décomptait par exemple 18 en CDD avec perspectives de CDI (CDD de longue durée), 34 indépendants sans personnel, vrais et faux indépendants et, à l’autre extrême de la précarité, 18 relevant de la main-d’œuvre sur appel ou d’appoint. Les femmes sont surreprésentées parmi les CDD de longue durée et la main-d’œuvre travaillant sur appel (Kösters, Smits, 2013). Une politique de combinaison qui repose essentiellement sur des aménagements de durée du travail, concertés avec l’employeur dans le cadre du congé parental ou non (réduction, suspension de l’emploi, flexibilisation selon les souhaits des salariés) suppose pour être effective une stabilité de la relation d’emploi, une régularité des horaires de travail à adapter. Même le recours à la crèche suppose de la part des parents la possibilité de fixer les jours et heures de présence de l’enfant. Dans un tel cadre, les précaires et les flexibles, et particulièrement les femmes, sont de facto exclu(e)s du bénéfice de ces instruments et contraint(e)s de se tourner vers des modes de garde informels, voire de se retirer temporairement du marché du travail. Ceci apporte un éclairage supplémentaire sur le faible taux d’emploi des femmes peu qualifiées, 33 % en 2013, à comparer au taux moyen pour l’ensemble des femmes de 20 à 64 ans de 64 % et à celui de 85 % pour les femmes diplômées de l’université
(Bierings et al., 2014).
Conclusion
Les années de rigueur budgétaire et de ralentissement économique exercent un effet de loupe sur les limites de ce qu’on pourrait appeler le modèle néerlandais de combinaison famille-emploi. Le rabotage budgétaire conduit des ménages à réduire ou supprimer leur recours à la crèche ou aux garderies et à bricoler des formules informelles alors même que la confiance avait été longue à établir envers les modes de garde collectifs. De manière plus structurelle, la croissance des emplois flexibles et des CDD limite l’accessibilité au congé parental ou aux congés spécifiques, augmentant le risque de retrait de l’emploi. Pour ceux, et surtout celles, qui ont un emploi stable et régulier, l’absence d’indemnisation des congés spécifiques et le climat dans les entreprises n’encourage guère à y recourir. Il reste encore et toujours le travail à temps partiel, qui évite peut-être de mobiliser d’autres moyens, aussi bien pour les salariés que pour les entreprises. Il aide à faire face aux responsabilités familiales tant à l’égard des enfants que d’autres proches âgés, à sécuriser les revenus du ménage au cas où le conjoint à temps plein se verrait menacé dans son emploi, à limiter le sentiment de pression. Si sa normalisation et la consolidation de son statut ont permis d’assouplir les temps de travail jusque dans l’encadrement, l’espoir mis dans son potentiel de transformation des rôles de genre est déçu. Tout se passe comme si les années de crise avaient figé la situation. Les faibles temps de travail des femmes les moins qualifiées ne progressent pas, augmentant leur risque de pauvreté et de faible retraite. Le partage des tâches non plus puisque les ménages à deux temps partiel long restent très minoritaires en dépit des 25 % de pères qui prennent des heures de congé parental. Et pour les femmes les plus qualifiées, leur accès au pouvoir dans les entreprises reste très limité. Seules quelques journalistes ou personnalités médiatiques 17 contestent la préférence des Néerlandaises pour le temps partiel, dont elles accusent les féministes d’être responsables, mais sans voir que le plafond de verre touche aussi les femmes qui travaillent à temps plein. Après la combinaison, il est peut-être temps d’essayer une politique de conciliation, comme le proposaient déjà en 2004 Erna Hooghiemstra et Trudie Knijn.
Sources :
Asscher L. F. (2013), « Kamerbrief resultaten bijeenkomst arbeid en zorg 18 november », Ministerie van Sociale Zaken en Werkgelegenheid, 12 december.
Beeksma M., Jungen-van Hoorn L. (2009), Faciliteiten arbeid en zorg 2009. Een onderzoek naar cao-afspraken met betrekking tot arbeid-en-zorg-faciliteiten, Ministerie van Sociale Zaken en Werkgelegenheid, februari 2010.
Beeksma M., van den Ameele A.N., Machiels-van
Es A.J. (2007), (Faciliteiten) arbeid en zorg. Een onderzoek naar cao-afspraken met betrekking tot arbeid-en-zorg-faciliteiten in CAO’s, Ministerie van Sociale Zaken en Werkgelegenheid, oktober.
Bettendorf L.J.H., Jongen E.L.W., Muller P. (2012), « Childcare Subsidies and Labour Supply Evidence from a Large Dutch Reform », CPB Discussion Paper, n° 2017.
Bierings H., Hermans B., Portegijs W., Cuijpers
M. (2014), « Arbeid », in Merens A., van den Bakel (eds.), Emancipatiemonitor 2014, SCP/CBS, den Haag, p. 60-85.
Boelens A. (2000), « Ouders met verlof », Index, n° 8, CBS, september.
Brancheorganisatie Kinderopvang (2014), Kinderopvang 2014: feiten, cijfers & ontwikkelingen, Brancherapport, november.
Bussemaker J. (1998), « Rationales of Care in Contemporary Welfare States: The Case of Childcare in the Netherlands », Social politics, vol. 5, n° 1, p. 70-96.
CBS (2014a), « Hogere kosten voor kinderopvang, maar arbeidsdeelname van ouders daalt niet », Webmagazine, 12 februari.
CBS (2014b), « Minder kinderen naar kinderdagverblijven », Webmagazine, 18 februari.
CBS (2014c), « Ouderschapverlof ; gebruik en duur », Statline, 8 april.
CBS (2015), « Werkende moeders », Statline.
CE (2012), Employment and Social Developments in Europe 2012, January 8.
Cloïn M., Bierings H. (2012), « De combinatie van betaalde arbeid en zorgtaken », in Merens A., Hartge S., van den Brakel (eds.), Emancipatie monitor 2012, SCP/CBS, Den Haag,
p. 87-101.
Cloïn M., Boelens A. (2004), « Onbetaalde arbeid en de combinatie van arbeid en zorg », in Portegijs W., Boelens A., Olsthoorn L. (eds.), Emancipatiemonitor 2004, SCP/CBS, Den Haag, p. 91-132.
Cloïn M., Souren M. (2009), « Onbetaalde arbeid en de combinatie van arbeid en zorg », in Merens A., Hermans B. (eds.), Emancipatiemonitor 2008, SCP/CBS, Den Haag, p. 115-158.
Commissie Arbeidsparticipatie (2008), Naar een toekomst die werkt. Advies Commissie Arbeidsparticipatie, 16 juni.
den Dulk L. (2013), « Netherlands Country Note », in Moss P. (ed.), International Review of Leave Policies and Related Research 2013,
p. 190-197, http://www.leavenetwork.org/fileadmin
/Leavenetwork/Annual_reviews/2013_annual_review.pdf.
den Dulk L., Spenkelink S. (2009), Werkgevers en de afstemming tussen werk en gezin, Faculteit Sociale Wetenschappen, Universiteit Utrecht, 2 maart.
Doorne-Huiskes A., Hulsker F., Twisk C. (1996), Witte vlekken in de kinderopvang, een onderzoek naar voorzieningen voor 0 tot 16 jarigen, Emancipatieraad, Den Haag.
Grünell M. (2012), « Mannen zorgen revisited: de zorgbijdrage von mannen is veranderd, maar blijft ambivalent », Tijdschrift voor Genderstudies, vol. 15, n° 1, p. 51-56.
Hooghiemstra E., Knijn T. (2004), « Gezinsbeleid: knollen voor citroenen », de Volkskrant, 15 mei.
Inspectie der Rijksfinancien (2010), Het kind van de regeling, 5. Kindregelingen, rapport brede heroverwegingen, april.
Jongen E.L.W. (2010), « Child Care Subsidies Revisited », CPB Document, n° 200, February.
Jongen E.L.W., Bettendorf L., Muller P. (2011), « Ex post analyse effect kinderopvangtoeslag op arbeidsparticipatie », CPB Notitie,
23 december.
Kösters L., Smits W. (2013), « Flexwerkers in Nederland, wie zijn het en waar werken ze ? », Tijdschrift voor Arbeidsvraagstukken, vol. 29, n° 2, p. 135-142.
Maassen van den Brink H., Groot W. (1997), Verlate uittreding, oorzaken van uittreding uit het arbeidsproces ruim na de geboorte van het eerste kind, VUGA, Den Haag.
Merens A., Bierings H., van der Sman F.,
Cuijpers M. (2014), « Topfuncties », in Merens A., van den Bakel (eds.), Emancipatiemonitor 2014, SCP/CBS, Den Haag, p. 110-126.
MSZ, Ministerie van Sociale Zaken en Werkgelegenheid (1995), Gedeelde zorg, Toekomstscenario ‘s voor herverdeling van onbetaalde zorgarbeid, Den Haag, november.
MSZ, Ministerie van Sociale Zaken en Werkgelegenheid, Directie Arbeidsverhoudingen, afd. Arbeid en zorg (2006), Beleidsdoorlichting Arbeid en Zorg, september.
Muffels R., Wilthagen T. (2011), « Flexwerk en werkzekerheid in tijden van crisis », ESB,
vol. 96, n° 4602, p. 54-58.
Nijphuis-Nell M., De Beer P. (1997), « Verdeling van arbeid en zorg », in Het Gezinsrapport een verkennende studie naar het gezin in een veranderende samenleving, SCP, p. 43-108.
Portegijs W., Cloïn M., Merens A. (2014), Krimp in de kinderopvang, Sociaal en Cultureel Planbureau.
Ribberink A. (1989), « Radicaal maar toch redelijk, het ontstaan van de Aktiegroep Man Vrouw Maatschappij (MVM) », Amsterdams Sociologisch Tijdschrift, vol. 16, n° 3, december, p. 31-51.
RWI, Raad van Werk en Inkomen (2010), Werken met zorg, advies over het combineren van arbeid en zorg, maart.
STAR (1990), Nota Vrouw en arbeid, maart.
STAR (1993), Overwegingen en aanbevelingen ter bevordering van deeltijdarbeid en differentiatie in arbeidsduurpatronen, september.
STAR (1997a), Advies « arbeid en zorg », 18 maart.
STAR (1997b), Evaluatie van de nota inzake deeltijdarbeid en differentiatie van arbeidsduurpatronen, 10 oktober.
Tielrooij C. (2007), Effectiviteit van heffingskortingen, Bachelorscriptie, 8 oktober.
van Amstel R.J. (1988), « De arbeidsparticipatie van zwangere vrouwen en jonge moeders in Nederland : een overzicht », in van Amstel R.J., Slot E., Vrooland V.C. (eds.), Een kind en blijven werken.
van der Brakel M., Portegijs W., Merens A., van der Sman F., Geerdinck M. (2014), « Inkomen », in Merens A., van den Bakel (eds.), Emancipatiemonitor 2014, SCP/CBS, Den Haag, p. 127-150.
van der Mooren F., Souren M. (2011), « Steeds vaker gebruik van ouderschap verlof », Sociaaleconomische trends, 3e kwartaal, CBS.
van der Mooren F., de Vries J. (2011), « Vooral hoogopgeleide, voltijds werkende vrouw neemt ouderschapsverfof op », CBS Webmagazine, 4 april.
van der Sman F., Korvorst M., Cloïn M.,
Merens A. (2014), « De combinatie van betaalde arbeid en zorgtaken », in Merens A., van den Bakel (eds.), Emancipatiemonitor 2014, SCP/CBS, Den Haag, p. 86-109.
van Luijn H., Keuzenkamp S. (2004), Werkt verlof ?, Sociaal Cultureel Planbureau, Den Haag.
Wierink M. (1998), « Temps de travail aux Pays-Bas : la voix des femmes », Futuribles, n° 236, novembre.
Wierink M. (2000), « Pays-Bas : Temps de travail, le droit de choisir », Chronique internationale de l’IRES, n° 63, mars, p. 13-29.
Wierink M. (2001), Le travail à temps partiel aux Pays-Bas : un choix de société, thèse de doctorat en sociologie, Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne.
Wierink M. (2004), « La place des enfants dans la combinaison famille-emploi aux Pays-Bas », Recherche et Prévision, n° 75, p. 61-74.
Wierink M. (2014), « Pays-Bas : Le retour aux 3 % de déficit public, accélérateur du retrait de l’État social », n° spécial, « Santé, éducation : services publics dans la tourmente », Chronique internationale de l’IRES, n° 148, décembre, p. 121-139.
* Chercheure associée à l’IRES.
1. Sur une quantité importante de documents consultés pour cet article, nous n’aurons rencontré qu’une seule fois le terme « afstemming », plus proche de l’idée de conciliation, littéralement « mise en accord », dans un document de 2009.
2. Loi de modernisation des réglementations de congé et temps de travail, 17 décembre 2014.
3. Ou bien le parent isolé, naturellement.
4. En 2007 et 2009, l’échantillon couvre respectivement 91 % et 89 % des salariés sous convention collective.
5. AWVN assiste la plupart des branches professionnelles dans leurs négociations collectives.
6. Avant 1996, les commerces devaient fermer à 18 heures, et les commerces traditionnels fermaient le samedi après-midi. Le dimanche était un jour de repos, sans exception.
7. Actifs occupés à partir d’une heure de travail par semaine. La tranche d’âge retenue par les auteurs (20-64 ans) a l’avantage de laisser à l’écart les petits jobs lycéens et étudiants.
8. Lié à l’existence ou non d’un accord collectif en décidant.
9. Les peuterzalen indépendantes qui existent encore seront complètement intégrées dans le dispositif global de garde d’enfants à partir du 1er janvier 2016. Déjà nombre d’entre elles ont été absorbées par des entreprises de crèches ou de garde d’enfants.
10. On précisera aussi que les données présentées ici sont basées sur les statistiques d’emploi nationales, et à ce titre ne retiennent comme actifs occupés que les personnes travaillant au moins 12 heures par semaine, laissant de côté les tout petits emplois.
11. Aux Pays-Bas, la protection sociale s’est constituée à partir de la fin des années 1950 autour de la figure de la famille traditionnelle de « Monsieur Gagnepain » (kostwinnerschap en néerlandais), et l’individualisation n’a commencé à gagner du terrain qu’à partir des années 1990.
12. CBS, Statline, 2003/2014, paren ; arbeidsdeelname, Enquete Beroepsbevolking.
13. L’école dite « de base » commence à 4 ans, et les enfants y restent jusqu’à 12 ans.
14. Ces tarifs horaires plafond s’élèvent à environ 6 euros de l’heure. Certaines structures de garde pratiquent des tarifs supérieurs à ces plafonds, augmentant le reste à charge des parents après aides.
15. L’aide financière ne dure que trois mois en cas de chômage.
16. En 2015, 36,5 % jusqu’à 19 822 euros, 42 % jusqu’à 57 855 euros et 52 % à partir de 57 855 euros.
17. Par exemple H. Mees, « Vrouwen moeten nu eindelijk eens echt aan het werk gaan « (Les femmes doivent maintenant se mettre vraiment à travailler), NRC, 21 januari 2006 ; P. Werkjoven, « Flinterdun feminisme » (Un féminisme fin comme du papier à cigarettes), NRC, 18 april 2015.