Depuis une quinzaine d'années, la politique de « maîtrise » des dépenses sociales mise en œuvre par les gouvernements successifs s'est concrétisée par une succession de réformes régressives qui sont le signe d'une pression de plus en plus forte de la logique marchande dans les mécanismes de protection sociale. La thèse soutenue dans l'article est que ces régressions sont, pour une large part, la conséquence d'un double déficit, politique et intellectuel. Sur le plan politique, c'est la faiblesse des processus démocratiques qui a permis la mise en œuvre de réformes qui, sous couvert de logique gestionnaire, contribuent à remodeler la carte des principes fondateurs de la sécurité sociale. Sur le plan intellectuel, les transformations en cours sont aussi légitimées, notamment par le discours économique dominant, par des représentations qui véhiculent une vision réductrice et tronquée de la protection sociale. A bien des égards, ces représentations banalisent une vision de la société qui n'est guère éloignée de celle qui a, de tous temps, inspiré les opposants traditionnels à l'idée d'une protection sociale obligatoire. Pour surmonter ce double déficit, il est nécessaire de poser les bases d'une véritable économie politique de la protection sociale. Cela passe non seulement par une nécessaire évolution des processus politiques qui légitiment notre système de protection sociale, mais aussi par une redéfinition de ses finalités prenant appui sur le principe d'un égal accès de tous les citoyens à un ensemble de droits sociaux fondamentaux.