Depuis le milieu des années 1990, les sociologues manifestent un intérêt renouvelé pour l'analyse concrète des activités de travail. Ce mouvement témoigne de l'influence croissante des traditions interactionnistes, pragmatistes, et phénoménologiques, mais également des sciences cognitives, de l'ergonomie, de l'anthropologie technique, de la psychodynamique du travail, des développements de la sociologie des sciences et des techniques, et de l'actuel renouveau de la sociologie économique. Mais il soulève aussi une interrogation : dans quelle mesure la tradition française de sociologie du travail a-t-elle véritablement analysé les activités de travail ? Notre analyse des articles parus dans la revue Sociologie du travail depuis sa création en 1959 nous conduit à soutenir la thèse d'un impensé technique. A maints égards, ces travaux paraissent en effet d'abord s'organiser autour d'une interrogation sur la question sociale, fondatrice de la tradition de sociologie du travail française. Si l'acte de travail est bien présent dans ces travaux, il ne se dégage jamais complètement de ce que nous appelons un prisme salarial. Son analyse permet de comprendre comment le travail, comme activité pratique engageant une technicité et une temporalité concrète, a pu se trouver effectivement négligé. On ne peut ainsi éclairer aujourd'hui l'évolution des formes d'épreuves, de créativité et de vulnérabilité au travail, sans renouveler profondément le rapport qu'entretient la sociologie du travail avec la question de la technique.