L’accord national interprofessionnel du 14 avril 2022 sur le paritarisme prévoit « la construction d’un agenda économique et social paritaire autonome » par les organisations patronales et syndicales. Il s’agit pour les signataires de prendre leurs distances à l’égard d’un agenda qui serait imposé par le gouvernement. Des tentatives de cette nature sont observées depuis plus de cinquante ans avec un degré de succès inégal. Il est utile d’en tirer quelques enseignements pour préciser les conditions de réussite d’un nouveau dispositif qui est, pour la première fois, présenté comme permanent.
Les résultats des expériences passées sont complexes ; ils permettent d’identifier trois enjeux majeurs. Le premier concerne la délimitation du champ couvert par l’agenda social qui conditionne la nature de ses produits. Le second naît de l’étroite imbrication entre la capacité normative, la légitimité et la représentativité des acteurs sociaux. Enfin, la question reste ouverte de la possibilité, dans le système institutionnel français, d’une démarche paritaire autonome qui échappe à l’intervention tutélaire de l’État et à la logique d’un tripartisme ouvert ou masqué.
Quelques résultats se dégagent des études de cas.
-Le plus souvent, l’objectif est d’anticiper des initiatives législatives ou de construire un contrefeu à la politique gouvernementale. Dans plusieurs cas, le gouvernement accepte d’attendre le résultat des négociations, en s’engageant ou non à tenir compte de leurs éventuels résultats.
-Dès lors qu’elle veut rester totalement autonome, la mise en oeuvre de l’agenda n’aboutit qu’à des accords de portée limitée : stimulation et encadrement de négociations de branche et d’entreprise sans le pouvoir d’en assurer l’effectivité ; préconisations ou demandes adressées aux pouvoirs publics ; « accords sociétaux » porteurs de diagnostics et d’objectifs partagés sans engagements contraignants.
-Les seuls contre-exemples sont donnés par les dispositions des accords qui concernent les institutions paritaires lorsqu’elles n’exigent pas l’aval des pouvoirs publics.
-A plusieurs reprises les agendas autonomes sont perturbés soit par l’adoption d’agendas sociaux du gouvernement, soit du fait d’initiatives imprévues des pouvoirs publics qui bousculent les négociations programmées.
L’adoption d’un agenda social autonome présente l’intérêt d’offrir une base d’accord entre toutes (ou presque toutes) les organisations patronales et syndicales ‘contre les ingérences de l’État’, ce qui n’est pas un aspect négligeable. L’agenda permet d’identifier des compromis réalisés quant aux questions que ces organisations conviennent de traiter et quant aux modalités de traitement qu’elles retiennent (évaluation, diagnostic partagé, délibération sociale, négociation). Les produits de l’agenda ou les échecs donnent une mesure des domaines où peut émerger une capacité de production autonome d’institutions, de normes ou de dispositifs interprofessionnels. Mais la signification et la portée de cette autonomie ne peuvent être analysées que dans le cadre des interactions multiples, officielles ou officieuses, qui s’établissent entre les pouvoirs publics et les acteurs sociaux dans la production de normes interprofessionnelles. Au terme de l’analyse, une question émerge : peut-on qualifier l’agenda social autonome de nouveau ‘mythe mobilisateur’ dans le champ des relations professionnelles ?