Projets

Minimum Income Standard (MIS)

Pierre CONCIALDI

Cette méthodologie a pour objectif de définir le revenu nécessaire aux ménages pour atteindre un niveau de vie minimum décent. Initiée au Royaume-Uni, elle a été étendue à d’autres pays, dont la France. Les instituts de recherche des pays concernés, dont l’IRES, ont formé en 2018 un réseau d’échanges et de contacts.

Mots-clés : niveau de vie minimum décent, Royaume-Uni, France.

Présentation du MIS

La méthodologie MIS (Minimum Income Standard) a pour objectif de définir le revenu nécessaire aux ménages pour atteindre un niveau de vie minimum décent à une période et dans un lieu de vie donnés (ville moyenne, zone rurale, grande agglomération urbaine).
La méthode consiste à interroger par étapes successives des groupes de citoyens en leur demandant d’aboutir à un consensus argumenté sur les biens et services dont les ménages ont besoin pour avoir un tel niveau de vie. Le panier de biens et services ainsi défini est utilisé pour chiffrer les budgets minimums correspondant à différents types de ménage.
Ces budgets font référence à ce qui est nécessaire pour faire partie de la société, selon les définitions établies dans chaque pays par les membres des groupes de discussion.
Les budgets de référence élaborés selon la méthodologie MIS ont été publiés pour la première fois en France en 2015. Les résultats concernent des ménages vivant dans les villes moyennes et représentant environ la moitié de la population. Depuis, les recherches ont été étendues aux zones rurales et au Grand Paris. Un rapport global pour toutes ces zones mettant à jour les résultats précédents pour les villes moyennes est attendu pour la fin 2019. L’IRES est également responsable de la coordination scientifique d’un projet pilote en Tunisie

En Tunisie, les mobilisations révolutionnaires de décembre 2010-janvier 2011 ont érigé la « dignité » comme une revendication centrale. Désormais, cette exigence figure dans la devise de la République tunisienne et la nouvelle constitution précise que l’Etat assure aux citoyens « les conditions d’une vie digne ». Ce projet a pour objectif de contribuer à la définition de cet engagement constitutionnel sous l’aspect principalement matériel de ces conditions de vie.
Les conditions d’une vie digne englobent en effet de multiples dimensions. La liberté d’expression, le sentiment de sécurité, l’accès à l’emploi, le droit à la santé, l’organisation de pouvoirs démocratiques représentatifs des intérêts de la population figurent, entre autres, parmi les revendications exprimées par la population tunisienne et sont indispensables pour assurer les conditions d’une vie digne. D’autres dimensions de la vie digne portent sur les conditions de vie matérielles de la population tunisienne ; c’est essentiellement sur cette dimension que porte ce projet pilote de recherche

En Tunisie, les mobilisations révolutionnaires de décembre 2010-janvier 2011 ont érigé la « dignité » comme une revendication centrale. Désormais, cette exigence figure dans la devise de la République tunisienne et la nouvelle constitution précise que l’Etat assure aux citoyens « les conditions d’une vie digne ». Ce projet a pour objectif de contribuer à la définition de cet engagement constitutionnel sous l’aspect principalement matériel de ces conditions de vie.
Les conditions d’une vie digne englobent en effet de multiples dimensions. La liberté d’expression, le sentiment de sécurité, l’accès à l’emploi, le droit à la santé, l’organisation de pouvoirs démocratiques représentatifs des intérêts de la population figurent, entre autres, parmi les revendications exprimées par la population tunisienne et sont indispensables pour assurer les conditions d’une vie digne. D’autres dimensions de la vie digne portent sur les conditions de vie matérielles de la population tunisienne ; c’est essentiellement sur cette dimension que porte ce projet pilote de recherche.

Ce questionnement vient compléter les analyses de la pauvreté afin d’enrichir la panoplie des indicateurs sociaux. Les analyses de la pauvreté se concentrent généralement sur les difficultés, les privations ou les manques des populations pauvres. Ce projet emprunte une perspective inverse et complémentaire. A travers une démarche participative, il s’agit de définir les conditions matérielles d’une vie digne en Tunisie. C’est pourquoi on parle de « budget de la dignité ».
Cette recherche s’appuie sur une méthodologie innovante (Minimum Income Standards – MIS) initialement développée par des chercheurs britanniques depuis une dizaine d’années. Cette méthodologie a été reprise dans un certain nombre de pays, dont la France notamment, et expérimentée dans des projets pilote au Mexique et en Afrique du Sud. C’est la première fois qu’une étude de cette nature est conduite dans le monde arabe.

Pour mener à bien ce projet, trois institutions ont décidé d’associer leurs ressources et leur expérience. L’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), qui a été étroitement associé à ce type de recherche en France, assure la coordination scientifique du projet. L’organisation International Alert (IA) a depuis 2012 engagé des études de terrain sur les ressorts de la marginalisation dans les quartiers populaires et les régions de l’intérieur et œuvre en faveur d’une gouvernance locale démocratique et participative dans ces « marges ». Forte de cette expérience, son équipe est directement associée à l’étude de terrain sur laquelle s’appuie la recherche. Enfin la Fondation Friedrich Ebert (FES) qui promeut les valeurs de liberté, de justice et de solidarité apporte également son soutien à cette recherche, comme elle l’a fait dans un précédent projet pilote de même nature en Afrique du Sud. Les représentants de ces trois organisations font partie du comité scientifique qui définit les orientations méthodologiques du projet à chaque étape de sa réalisation. Cette recherche, engagée à la fin de l’année 2018, devrait s’achever à l’automne 2019.

Vers la définition d’un seuil minimum d’inclusion sociale

La définition d’un budget de la dignité pour la Tunisie vise à compléter, à la fois sur le plan conceptuel et empirique, les approches usuelles de la pauvreté.
Dans sa manifestation la plus extrême, l’inégalité débouche sur la pauvreté, c’est-à-dire l’incapacité à satisfaire des besoins fondamentaux. Les analyses de la pauvreté visent ainsi à identifier des populations qui ont de grands risques de connaître des privations plus ou moins sévères et de se trouver, pour cette raison, en situation d’exclusion. Ce concept d’exclusion est toujours, de façon plus ou moins explicite, central dans les études de la pauvreté.
Ces analyses sont utiles pour repérer les populations les plus touchées et engager des actions concrètes visant à éradiquer la pauvreté. Cependant, elles ne permettent pas de définir ce qui serait nécessaire à tous, au minimum, pour vivre dignement dans la société. C’est précisément l’objectif d’un budget de la dignité de construire un tel repère d’inclusion sociale. Le concept central dans cette approche n’est pas celui de privation mais celui de besoin.

Sur le plan empirique, la définition d’un budget de la dignité se distingue aussi des seuils de pauvreté par sa méthode de construction. La démarche consiste en effet, non pas à simplement définir un seuil de revenu, mais à élaborer de façon très concrète le contenu d’un panier de biens et services dont tous les citoyens devraient pouvoir disposer, au minimum, pour vivre dignement dans la société tunisienne d’aujourd’hui.
Par ailleurs, les seuils usuels de pauvreté monétaire se fondent le plus souvent sur des conventions statistiques qui en limitent nécessairement l’interprétation. Pour dépasser ce caractère purement conventionnel, la méthodologie MIS repose sur un processus délibératif qui associe les citoyens à la définition du panier de biens et services nécessaires. Ce processus permet de définir un indicateur socialement validé.

En résumé, la construction d’un « budget de la dignité » a pour objectif de définir un seuil minimum d’inclusion sociale validé par la délibération citoyenne.
Une démarche participative et itérative pour construire un consensus
La principale caractéristique de la méthodologie MIS est d’associer les citoyens à la définition du panier de biens et services auquel ils doivent pouvoir accéder pour faire face aux nécessités de la vie quotidienne et vivre dignement dans la société tunisienne. Certains savoirs d’experts sont aussi mobilisés sur des points précis pour éclairer les choix des participants, mais ces derniers restent maîtres de la décision finale concernant le contenu du panier de biens et services.
La composition de ce panier dépend des besoins du ménage et, par conséquent, elle varie en fonction de la composition de ce ménage. Dans ce projet pilote, le choix a été fait de s’intéresser aux besoins d’une famille type avec deux enfants (un couple d’adultes d’âge actif avec un garçon de 8 ans et une fille de 14 ans).

Pour définir le contenu du panier de biens et services, la discussion est organisée au sein de groupes d’une dizaine de participants (ou focus groups). Ces derniers présentent les mêmes caractéristiques que celle du ménage type qui fait l’objet de l’étude (couple avec deux enfants) afin de réunir des personnes qui partagent la même expérience concernant les besoins du ménage. Les participants sont choisis parmi un éventail aussi large que possible de statuts sociaux.
Plusieurs groupes distincts discutent d’abord les besoins individuels de chaque membre du ménage. Un groupe de femmes adultes discute les besoins des femmes adultes, un groupe d’hommes les besoins des hommes et un groupe mixte de parents discute les besoins de chacun des enfants. Le but est d’aboutir à un consensus argumenté sur le contenu détaillé de ce panier, c’est-à-dire à la fois sur la nature des biens et services nécessaires, mais aussi sur leur quantité (ou fréquence de consommation) et leur qualité (lieux d’achat et niveau de gamme).
La phase suivante réunit des groupes mixtes d’adultes qui examinent les décisions des groupes précédents concernant les adultes (hommes et femmes) ainsi que les enfants afin de valider ou d’amender les décisions prises précédemment par les groupes. C’est l’occasion à la fois de confronter les résultats obtenus pour chaque individu du ménage et de résoudre les questions qui sont éventuellement restées en suspens parce qu’elles n’ont pas pu faire l’objet d’un consensus.
Dans la dernière étape, le groupe de discussion examine le contenu du panier de biens et services pour l’ensemble du ménage afin de valider ou, éventuellement, d’amender les décisions prises par les précédents groupes. A la fin de cette étape, une estimation monétaire du panier de biens et services est présentée aux participants pour recueillir leur avis et tester une ultime fois la force du consensus.
Cette démarche itérative et ascendante a pour objectif de construire un consensus aussi robuste que possible en croisant les regards d’une variété de participants. Ceux-ci sont renouvelés à chaque groupe afin d’éviter les processus d’autojustification. Au terme du projet, environ une centaine de participants auront été associés à la recherche.

Un nouveau repère pour le débat public

Le premier résultat de la recherche réside dans le contenu du panier de biens et services considéré comme nécessaire par les participants pour vivre dignement dans la société tunisienne actuelle. C’est ce panier détaillé (en quantité et en qualité) qui constitue l’objet central de discussion des groupes. Les arguments avancés par les participants au cours des discussions fournissent aussi une information qualitative importante qui permet de contextualiser les décisions prises par les groupes.
Dans ce projet pilote, il est aussi envisagé de chiffrer le coût monétaire des principaux postes budgétaires, notamment pour l’alimentation, le logement, les transports, la santé et l’habillement. Ces cinq postes représentent environ 80% du budget moyen d’un ménage tunisien, ce qui devrait permettre de fournir un ordre de grandeur raisonnable du coût total du budget de la dignité pour un couple avec deux enfants. Cet indicateur monétaire résumé apportera un repère nouveau pour éclairer le débat public sur les questions de pouvoir d’achat et de salaire.