Au sein des pays de l’OCDE, le Royaume-Uni offre une expérience de privatisation du secteur public qui est exceptionnelle à la fois par la persistance et par l’ampleur d’une politique amorcée par Margaret Thatcher et poursuivie sur plus de trente années. Les objectifs étaient multiples et parfois contradictoires : réduire le poids de l’Etat, bénéficier de l’efficacité attendue du recours au secteur privé, assurer de substantielles recettes ou économies budgétaires, créer une « démocratie d’actionnaires », last but not least, affaiblir les syndicats là où se situent leurs derniers grands bastions. Trois modalités de privatisation ont été mises en œuvre qui seront illustrées en choisissant des exemples particulièrement significatifs.
La forme la moins brutale réside dans l’introduction de techniques de gestion empruntées au secteur privé sous l’emblème du New Public Management (par exemple, Royal Mail ou National Health Service). Elles peuvent être utilisées dans les entreprises publiques d’abord pour y réduire les déficits, ensuite afin de les rendre plus attractives dans la perspective d’une privatisation du capital. Elles pénètrent durablement dans les administrations au nom d’une logique d’efficience et de performance
Un second degré sur la voie de la privatisation prend la forme du recours systématique à la sous-traitance (outsourcing) aussi bien dans les entreprises que dans les administrations (par exemple, Local Governments ou Probation). L’argumentation est partout la même :
le secteur privé est plus efficace, plus flexible, moins coûteux et il permet souvent d’échapper à la propension gréviste des puissants syndicats du secteur public.
La forme la plus ouverte et la plus conflictuelle consiste dans la mise en vente du capital des entreprises publiques (par exemple, British Telecom, Water Authorities ou British Rail). Deux types de situations s’y présentent. Dans le cas d’entreprises déjà situées sur des marchés concurrentiels la privatisation peut s’opérer sans s’entourer de garanties quant au respect des conditions de concurrence puisqu’elles sont supposées remplies d’emblée. Dans le cas de monopoles naturels (eau, gaz, électricité, rail, téléphone traditionnel…), il est nécessaire de créer des instances indépendantes de régulation pour régler les modalités d’une concurrence institutionnalisée.
Les différents processus de privatisation ont engendré une transformation radicale des systèmes de relations professionnelles. Les administrations publiques avaient vu, dès la
Première Guerre mondiale, la mise en place d’institutions grâce auxquelles l’Etat entendait se présenter comme un « employeur modèle » à l’égard du secteur privé. Celles-ci ont été étendues aux entreprises publiques au fur et à mesure des nationalisations, en particulier au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les syndicats, porteurs d’une éthique du service public et habitués à des pratiques de consultations et de négociations collectives centralisées et généralement peu conflictuelles, sont confrontés à une transformation, plus ou moins brutale selon les cas, du contexte où ils doivent désormais intervenir. Les négociations collectives, lorsqu’elles subsistent, sont décentralisées. Leurs interlocuteurs sont porteurs d’une logique de minimisation des coûts et/ou de maximisation de la compétitivité et des profits. Les militants doivent faire face à de nouvelles techniques sophistiquées de « gestion des ressources humaines », parfois à des politiques antisyndicales. Si les menaces qui pèsent sur les organisations syndicales sont multiples et redoutables, elles leur offrent aussi une opportunité pour renouveler leurs objectifs prioritaires, leurs stratégies de mobilisation, leurs formes d’organisation et leurs répertoires d’action. L’exemple britannique offre de fructueux enseignements sur la gamme des réactions qui sont observables au sein mouvement syndical et sur les trajectoires diversifiées des systèmes plus ou moins décentralisés de relations professionnelles.