En 2018, le salaire réel moyen au Royaume-Uni est inférieur de 3,7 % à son niveau de 2008. Le recul résulte de l’impact de la « grande récession » des années 2008-2009 qui n’a été que partiellement compensé au cours des années suivantes. Il se situe aussi dans le prolongement d’une tendance de longue durée au ralentissement, puis à la stagnation de la hausse du salaire réel. Ces résultats sont associés à l’exceptionnelle médiocrité des performances du Royaume-Uni en matière de productivité du travail. Le phénomène a été amplifié par un décrochage récent entre l’évolution de la productivité et celle des rémunérations perçues par les salariés. Enfin, contrairement aux mécanismes habituellement observés, la forte diminution du taux de chômage depuis 2015 n’a pas exercé d’effet positif sur les taux de salaire. Les recherches qui se sont multipliées pour percer « l’énigme de la productivité » (productivity puzzle) révèlent la combinaison de plusieurs facteurs.
La récession de 2008-2009 puis l’incertitude engendrée à partir de 2016 par le Brexit ont entraîné l’abandon ou le report de projets d’investissements productifs locaux dans une économie fortement globalisée et financiarisée. Plutôt que l’immobilisation de leurs capitaux, les entreprises ont privilégié le recours à une main-d’œuvre abondante, précaire et bon marché. Cette source est alimentée par la destruction depuis l’époque thatchérienne des mécanismes de protection de l’emploi qui étaient jusqu’alors assurés par la négociation collective. Les gouvernements du New Labour (19972010) n’ont que partiellement remis en cause la tendance. Ainsi se sont renforcées des caractéristiques déjà mises en évidence dans le passé par les travaux de comparaison internationale : un modèle de production à basses qualifications, bas salaires et basse productivité. Dans ce contexte, le mouvement syndical, gravement affaibli, a été incapable de tirer parti du retour à un pseudo-plein emploi qui n’a été rendu possible que par l’explosion des emplois précaires. La décennie perdue des salaires au Royaume-Uni ne constitue donc pas un accident de l’histoire, mais un aboutissement logique de l’histoire.
Contrairement à ce qui était prévisible, le recul des salaires réels ne s’est pas accompagné d’une amplification générale des inégalités salariales. Elle n’est observée qu’au bénéfice des très hauts salaires. Le pourcentage des bas salaires a baissé depuis l’introduction en 2016 du National Living Wage, salaire minimum légal à partir de 25 ans. En revanche, l’accélération, depuis 2009, de la croissance du nombre d’indépendants ayant des revenus inférieurs au salaire minimum traduit un glissement des emplois à bas salaires vers le self-employment. Les projections macroéconomiques les plus récentes de l’Office for Budget Responsability (mars 2019) se situaient, faute d’autre base, dans le cadre de l’accord de sortie de l’Union européenne de novembre 2018 désormais définitivement rejeté par le Parlement britannique. Elles n’envisageaient un rattrapage du niveau des salaires de 2008 qu’à partir de 2021. Les évolutions politiques observées depuis lors rendent ces hypothèses hautement optimistes. La décennie perdue 2008-2018 ne constitue donc pas un entracte dans l’évolution des salaires au Royaume-Uni. Rien aujourd’hui ne permet d’annoncer un retour à la croissance des salaires réels dans les années à venir.