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N°167 (oct 2019)
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Europe .Le Congrès de Vienne de la CES : une confédération plus unie mais avec moins d’adhérents

Udo REHFELDT

Le congrès de Vienne de la Confédération européenne des syndicats (CES) a été marqué par un esprit unitaire. Les documents programmatiques adoptés se situent dans la prolongation des congrès précédents et manifestent la difficile recherche de consensus sur des sujets controversés comme le salaire minimum ou l’intervention publique pour consolider la négociation collective de branche. Pour la première fois, le congrès n’a pas seulement élu un secrétariat, plus restreint, mais aussi un « présidium » collectif doté d’un rôle politique plus actif pour donner la priorité à l’action et pour rapprocher la CES de ses affiliés nationaux.

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Du 21 au 24 mai 2019 s’est tenu à Vienne le 14e congrès de la Confédération européenne des syndicats (CES). La ville, dirigée par un maire social-démocrate depuis 1919 (sauf pendant les deux dictatures 1934-1945) a été choisie pour soutenir le mouvement syndical autrichien face aux attaques de la coalition droite-extrême droite du gouvernement fédéral au pouvoir depuis 2017 [1]. Comparé aux deux précédents congrès, celui d’Athènes en 2011 et celui de Paris en 2015, l’esprit qui régnait à Vienne était plus unitaire et modérément optimiste quant à l’avenir et les possibilités d’influence de la CES.

Un congrès très unitaire, une résolution peu amendée

Comme d’habitude, le congrès a adopté deux volumineux documents, le rapport d’activité du secrétariat de 81 pages (CES, 2919a) et le programme d’action de 102 pages (CES, 2019b), ainsi que deux documents plus brefs : le « manifeste de Vienne » (CES, 2019c), qui est un condensé des priorités du programme d’action, et un document intitulé « L’avenir de la CES » (CES, 2018), qui traite de son organisation interne. Les documents étaient disponibles, en langue anglaise, peu de jours avant le congrès sur un site web dédié. Seul le manifeste était disponible en anglais, français et allemand, comme l’étaient encore en 2015 tous les documents du congrès. Le rapport d’activité et « L’avenir de la CES » étaient également disponibles en français.

Les documents ont presque toujours été adoptés à l’unanimité, ce qui dénote l’esprit d’unité qui a régné durant tout le congrès. Cet esprit unitaire s’est manifesté également par le très faible nombre d’amendements qui ont été présentés et discutés, essentiellement par deux organisations, la CGT portugaise (CGTP) et la fédération européenne des services publics EPSU (European Federation of Public Services). Ils comportaient notamment des demandes de nationalisations et d’investissements spécifiques dans les services publics. Le congrès a suivi l’argumentation du secrétariat selon laquelle il s’agissait là de demandes réalisables seulement au niveau national et les a rejetées, parfois à une faible majorité. La CGTP a été la seule organisation à ne pas voter en faveur du plan d’action. Pour permettre au document synthétique, le « manifeste », d’être adopté à l’unanimité, le secrétariat a pris en compte la demande de la CGTP d’en éliminer un mot. Dans sa formulation initiale présentée aux congressistes, le manifeste dénonçait « la montée des forces d’extrême droite, souverainistes, nationalistes, néofascistes et xénophobes menaçant les droits humains et sociaux et mettant en péril les valeurs démocratiques ». Dans la version finalement adoptée à l’unanimité, l’expression « souverainistes » a été éliminée. Le programme a été élaboré lors de nombreuses réunions préparatoires avec les représentants des affiliés, de façon à éliminer les éventuels points de friction et à trouver des formules de compromis acceptables par l’ensemble des affiliés. Ainsi, si l’on a autrefois souvent regretté l’absence de débat au sein de la CES, on peut constater qu’un tel débat existe mais qu’il est souvent mené derrière des portes closes. En séance plénière, les détails de ces discussions préparatoires étaient rarement communiqués.

La séance inaugurale comportait un très grand nombre d’orateurs invités (11 à la place de 5 au congrès de Paris), aux dépens du temps de parole des délégués, limité à 4 minutes (ou moins). D’autres personnalités invitées sont intervenues dans les jours suivants, notamment le Premier ministre portugais António Costa, l’économiste américain Prix Nobel Joseph Stiglitz, l’ancien Premier ministre italien Enrico Letta, ainsi que les dirigeants de la Confédération syndicale des Amériques, de la confédération syndicale des États-Unis AFL-CIO (American Federation of Labour - Congress of Industrial Organisations) et de la confédération syndicale canadienne CTC (Congrès du travail du Canada) [2].

L’intervention phare dans la séance inaugurale de Jean-Claude Juncker, président sortant de la Commission européenne, a été introduite par Luca Visentini, qui l’a présenté comme un « ami ». En s’exprimant en allemand, Juncker a renvoyé les compliments et a félicité le secrétariat de la CES pour son travail efficace de lobbying. L’essentiel de son discours consistait à mettre en valeur son propre rôle dans l’élaboration et l’adoption du plan européen d’investissement (le « plan Juncker ») et du « socle européen des droits sociaux ». Il a aussi déclaré son désaccord avec les politiques d’austérité et avec le traitement de la Grèce par la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international), passant sous silence que ces politiques ont continué à être soutenues par les recommandations de la Commission sous sa présidence.

Par la suite, les congressistes ont examiné les six chapitres du programme d’action, présentés chacun par un membre du secrétariat sortant. L’examen de la synthèse programmatique, le « manifeste de Vienne », a été plus bref [3].

Un bilan 2015-2019 relativement satisfaisant

Au moment du précèdent congrès de Paris, la CES venait juste de sortir d’une « décennie noire [4] », avec la fin de la Commission Barroso. La nomination de Jean-Claude Juncker à la tête de la nouvelle Commission, et ses promesses de mettre le social au centre de son action, ont alimenté des espoirs du côté de la CES qui se sont partiellement réalisés, comme le prouvent l’adoption du socle européen des droits sociaux, la création de l’Autorité européenne du travail ainsi que l’adoption de plusieurs directives sociales, notamment la révision de la directive sur le détachement des travailleurs. En fin de mandat, le secrétariat a aussi réussi à renouer le dialogue social bilatéral gelé depuis 2017, en signant un nouveau « programme de travail autonome » pour 2019-2021 avec les organisations d’employeurs. Il prévoit des négociations sur les thèmes comme la numérisation, l’économie circulaire et les risques psychosociaux.

Le rapport d’activité mentionne également une amélioration des relations avec la Commission qui s’est traduite par une plus grande participation des représentants syndicaux aux groupes d’experts mis en place par la Commission, passée depuis 2015 de 6 % à 24 %. En ce qui concerne la participation syndicale aux procédures du semestre européen, elle a donné lieu à la création par la CES d’un « groupe d’officiers [5] de liaison syndicaux Semestre » (OLSS) pour qui des formations ont été organisées conjointement avec l’Institut syndical européen ETUI (European Trade Union Institute). Ce groupe rencontre régulièrement les « country desks » de la Commission, à savoir les fonctionnaires qui préparent les rapports par pays et les « recommandations spécifiques par pays ». Depuis l’adoption du socle européen des droits sociaux, la CES a fait avec succès des propositions pour inclure des recommandations d’ordre social dans les recommandations spécifiques. Selon les statistiques de la CES, 50 % de ces propositions ont été reprises par la Commission, et même 80 % si l’on inclut aussi les préambules (CES, 2019a:13). Le rapport d’activité indique que la coordination syndicale au sein de l’OLSS reste difficile, en raison des divergences entre syndicats et de la forte rotation des représentants. Les syndicats suédois ont même décidé de ne pas y participer du tout.

En réponse aux arrêts Laval et Viking de la Cour de Justice de l’UE (CJUE), la CES a mis en place un « réseau de contentieux » qui réunit régulièrement les juristes des organisations affilées. Grâce à un accord informel avec la Commission, la CES est autorisée à donner son interprétation des affaires en cours devant la CJUE lorsqu’elles concernent des directives découlant d’un accord européen avec les employeurs. Au cours des quatre dernières années, elle a pu donner son avis quatre fois.

La CES a aussi prouvé qu’elle était capable d’organiser des campagnes européennes. Selon une « évaluation externe » confiée au secrétaire général adjoint de la fédération syndicale internationale IndustriAll Global, la campagne 2016-2018 pour une hausse des salaires, qui a mobilisé notamment les affiliés d’Europe de l’Est (CES, 2019a:5), a eu comme effet de changer le discours, initialement très hostile, de la Commission et de la Banque centrale européenne. Une évaluation interne par le comité exécutif de la stratégie de communication de la CES est plus critique. Selon son estimation, les actions de communication ne sont soutenues que par 25 % des affiliés (CES, 2018:4). Le comité déplore en particulier l’absence d’une traduction allemande des principaux documents ainsi que la mise en ligne sur le site web de la CES des seuls documents en langue anglaise et française.

Programme d’action et « manifeste de Vienne » : la difficile recherche d’un consensus

Le manifeste de Vienne [6] commence par décrire la situation actuelle, en des termes toujours aussi alarmistes qu’il y a quatre ans, comme un « moment crucial et difficile pour l’Europe et le mouvement syndical européen ». Face aux mesures d’austérité, au dumping salarial, ainsi qu’aux multiples menaces de déréglementation et de démantèlement des droits démocratiques des travailleurs, les syndicats sont donc toujours sur la défensive. Plus grave encore, « le contrat social qui sous-tend l’économie sociale de l’UE est menacé ». Face à une situation toujours aussi précaire, les objectifs de la CES sont ambitieux. Il ne s’agit de rien de moins que d’établir un « nouveau contrat social pour l’Europe » entre « l’État, le travail et le capital ». Pour atteindre cet objectif, la CES se propose de négocier avec les institutions européennes et nationales ainsi qu’avec les organisations d’employeurs sur la base « d’initiatives phares ».

Le manifeste et le programme d’action énumèrent un grand nombre de thèmes, sans pour autant marquer clairement des priorités. Parmi les thèmes traités, on trouve l’égalité femmes-hommes, le changement climatique, la numérisation, les mesures pour concrétiser le socle des droits sociaux, la nécessité d’augmenter les salaires et d’accroître l’investissement, l’élimination du dumping social, ainsi que la sauvegarde et la réforme des mécanismes de la négociation collective.

Contrairement au manifeste de Paris, celui de Vienne ne mentionne plus l’établissement d’une référence européenne commune à un salaire minimum légal. Il faut se reporter au programme d’action pour lire : « Les revendications des syndicats dans les pays avec un salaire minimum légal devraient au moins respecter les critères de la CES selon lesquels le salaire minimum le plus bas devrait être (progressivement) fixé à 60 % du salaire moyen/médian national. Une telle politique de salaire minimum devrait être poursuivie parallèlement à la stratégie (…) de renforcement de la négociation collective sectorielle en tant que moyen d’augmenter les salaires moyens/médians au niveau national, garantissant ainsi que 60 % du salaire moyen/médian national est un salaire décent » (point 135). On voit ici que la question est toujours renvoyée aux modalités nationales. Visiblement, les résistances de certains syndicats, notamment suédois, au minimum légal, de surcroît européen, n’ont pas été vaincues, même si la CES suggère timidement une règle commune de 60 %.

Un autre thème que les documents du congrès ont négligé est celui de la réduction du temps de travail. Il n’est évoqué que dans un bout de phrase du manifeste de Vienne. Dans le programme d’action, dont le chapitre sur la négociation collective est presqu’entièrement consacré à la hausse des salaires, on trouve seulement l’annonce que la CES « élaborera un programme de négociations coordonnées en vue d’une réduction du temps de travail hebdomadaire sans réduction des salaires et avec des dispositifs pour le contrôle des travailleurs sur le temps de travail et de la qualité de la vie au travail » (point 147n). Dans le bref paragraphe du rapport d’activité sur ce sujet, la CES se félicite d’avoir « réussi à éviter la réouverture de la directive temps de travail dans le climat politique actuel ». Dans les débats du congrès, le thème était surtout présent sur un mode défensif, notamment lorsqu’il s’agissait de rejeter une demande des syndicats suédois de pouvoir d’autoriser, par accord collectif, une exemption des normes européennes en la matière.

Le nécessaire renforcement de la négociation collective sectorielle

La véritable revendication nouvelle est celle d’un « partenariat européen pour la négociation collective ». Il s’agit de parvenir à une hausse générale des salaires en renforçant les mécanismes de la négociation collective nationale, notamment au niveau sectoriel. Le partenariat « devrait aboutir à des recommandations du Conseil et éventuellement à une directive-cadre ». On voit ici un changement fondamental du discours par rapport au manifeste de Paris de 2015, qui refusait encore « toute ingérence des autorités publiques » dans la négociation collective, réaffirmant le principe que la fixation des salaires « doit rester une compétence nationale et être traitée conformément aux pratiques nationales et aux systèmes de relations sociales en vigueur ». Ce changement était en quelque sorte la reconnaissance tardive de la justesse des propositions que l’ancien secrétaire général de la CES, John Monks, avait présenté comme « document de discussion » au congrès d’Athènes de 2011 et dans lequel il se prononçait en faveur d’une directive-cadre pour créer un système européen de négociation collective et un salaire minimum européen (Rehfeldt, 2011). Ce revirement est évidemment le résultat du constat partagé que les pratiques nationales de la négociation collective sont de plus en plus impuissantes à contrecarrer la baisse de la couverture conventionnelle ainsi que la stagnation et la différentiation des salaires. Les syndicats des pays à forte autonomie de la négociation collective et à faible intervention publique sont maintenant disposés à envisager l’idée d’une intervention législative nationale ou européenne.

Cette nécessité d’une intervention publique a été soutenue lors du congrès par l’économiste Joseph Stiglitz, qui mettait en avant la responsabilité des pouvoirs publics pour rétablir un équilibre des forces, nécessaire pour sortir de la stagnation économique, alors que la situation actuelle est celle d’un déséquilibre en faveur du seul capital. Plusieurs recherches comparatives récentes publiées par l’ETUI (Leonardi, Pedersini, 2018 ; van Klaveren, Gregory, 2019 ; Müller et al., 2019) ont démontré les effets négatifs de la décentralisation dérogatoire de la négociation collective sur la couverture conventionnelle et l’évolution salariale. Partageant ces constats, la CES met au centre de ses préoccupations le renforcement de la négociation sectorielle et l’extension de la couverture conventionnelle, de façon à rétablir la traditionnelle « règle d’or » qui lie l’évolution salariale à celle des prix et de la productivité. Le programme d’action mentionne explicitement la nécessité de maintenir la hiérarchie des normes et le principe de faveur (point 127d). Face aux objections de certains affiliés, les rédacteurs du programme admettent cependant : « En fonction de la force ou de la faiblesse du syndicat et des systèmes de négociation collective dans lesquels il opère, le recours aux dérogations peut être positif ou négatif » (point 127f). Le Programme laisse ce dilemme en suspens et annonce que la CES « analysera les moyens de s’attaquer aux problèmes et, le cas échéant, élaborera une stratégie et des principes relatifs à l’utilisation de dérogations visant à prévenir toute utilisation négative, en tenant compte des besoins et des conditions préalables de tous les affiliés de la CES » (point 127f).

Une approche nouvelle des relations avec les entreprises transnationales

En ce qui concerne la négociation transnationale d’entreprise, la CES a abandonné la recherche d’une législation européenne qui garantirait que les fédérations syndicales européennes (FSE) soient les seuls acteurs autorisés à négocier et à signer des accords d’entreprise transnationaux (AET). À la place, elle s’efforcera de négocier, conjointement avec les FSE, un accord-cadre tripartite, sans préciser avec quels partenaires. Par cet accord, elle cherche à obtenir un effet juridiquement contraignant uniquement pour les AET dont les parties signataires le demandent expressément. Les rédacteurs du programme admettent l’échec relatif des procédures internes des FSE pour les promouvoir comme seuls signataires des AET [7]. Ils constatent que, durant les cinq dernières années, la moitié des AET a été signée, comme auparavant, par des comités d’entreprise européens. La CES annonce qu’elle établira sa propre base de données sur les AET, qui comportera, contrairement à la base de données actuelle de la Commission européenne et de l’Organisation internationale du travail (OIT), uniquement des AET signés par des FSE et des fédérations syndicales internationales (FSI). Elle demandera également à la Commission européenne et à l’OIT de retirer de leur base de données tous les accords non signés par les FSE et les FSI – ce qui revient à casser le thermomètre au lieu de rechercher les origines de la maladie et de responsabiliser davantage ses affiliés nationaux.

Par ailleurs, la CES continue de réclamer une amélioration des droits d’information et de consultation contenus dans les directives européennes, notamment pour les comités d’entreprise européens. Elle réclame aussi des droits de participation minimale pour les entreprises qui ont opté pour une forme européenne, à savoir les sociétés européennes (SE), les sociétés coopératives européennes (SCE) et les sociétés issues d’une fusion transfrontalière. Il s’agit d’abandonner le « principe avant-après » avec lequel la directive SE de 2001 pensait pouvoir sauvegarder les droits de participation préexistants. En effet, le principe s’est avéré impuissant pour empêcher le contournement de la législation allemande par un gel de la participation aux conseils d’administration (CA) ou de surveillance (CS) et d’éviter ainsi le passage ultérieur à la codétermination paritaire quand la SE aurait dépassé le seuil des 2 000 salariés. La CES demande de le remplacer par un « principe d’escalator », adopté par le comité exécutif de la CES en 2016. Ce principe prévoit des droits croissants en fonction de la taille des entreprises, allant de deux représentants des salariés jusqu’à une participation paritaire dans les sociétés de plus de 1 000 salariés. Le secrétariat a reçu le mandat de préparer le débat sur une généralisation de la participation aux CA/CS au niveau européen, pour empêcher un « régime shopping » qui risque d’être favorisé par les récentes initiatives de la Commission en matière de droit des sociétés. La CES demande également un registre européen des entreprises transnationales, contenant des informations minimales sur leur activité et le nombre des salariés. Un tel registre constituerait aussi un outil précieux pour pouvoir mieux combattre la prolifération des sociétés « boîtes à lettres ».

Le renouvellement du secrétariat et l’élection d’un présidium de la CES

En raison de la diminution des effectifs syndicaux [8], qui a entraîné une baisse des cotisations, la CES a décidé de réduire le nombre de secrétaires de sept à six et celui de secrétaires adjoints de trois à deux. Pour éviter l’erreur commise en 2011 qui consistait à changer presque complètement l’équipe, il a été décidé de renouveler seulement la moitié des postes à pourvoir. Quatre secrétaires ont quitté le secrétariat : Peter Scherrer (secrétaire général adjoint sortant, Allemand, anciennement IG Metall), Katja Lehto-Komulainen (secrétaire adjointe sortante, Finlandaise, anciennement SAK (Suomen Ammattiliittojen Keskusjärjestö)), Montserrat Mir (Espagnole, anciennement CCOO) et Thiébaut Weber (Français, anciennement CFDT). Trois secrétaires ont été réélus :

- Luca Visentini, secrétaire général, Italien, né en 1969, auparavant secrétaire régional de l’UIL (Unione Italiana del Lavoro). Responsabilités principales : relations avec les affiliés, communication, campagnes ;

- Esther Lynch, secrétaire générale adjointe, Irlandaise, née en 1963 en Grande-Bretagne, auparavant permanente de la confédération syndicale irlandaise ITUC (Irish Trades Union Congress). Responsabilités principales : négociation collective, dialogue social, droits syndicaux, égalité femmes-hommes ;

- Liina Carr, Estonienne, née en 1968, auparavant secrétaire internationale de la confédération syndicale EAKL (Eesti Ametiühingute Keskliit). Responsabilités principales : politique macroéconomique, politique fiscale, semestre européen, socle des droits sociaux, sécurité sociale, relations extérieures, relations avec le Parlement européen.

Trois nouveaux secrétaires ont fait leur entrée :

- Per Hilmersson, nouveau secrétaire général adjoint, Suédois, né en 1975, auparavant dirigeant du département international de la confédération syndicale des « professionnels » TCO (Tjänstemännens Centralorganisation). Responsabilités principales : marché du travail, santé-sécurité, coopération internationale ;

- Isabelle Schömann, Française, née en 1967, auparavant conseillère de la Commission européenne [9]. Responsabilités principales : information-consultation, participation, RSE, marché intérieur, politique industrielle, restructuration, numérisation ;

- Ludovic Voet, Belge francophone, né en 1986, auparavant président des Jeunes de la Confédération des syndicats chrétiens (CSC). Responsabilités principales : jeunesse, éducation, migration, changement climatique.

Comme fièrement souligné devant le congrès, la composition du secrétariat respecte entièrement la parité femmes-hommes. Les femmes étaient cependant déjà majoritaires dans les secrétariats élus en 2011 et 2015. Pour la première fois, il n’y a plus de représentant de nationalité allemande dans le secrétariat. Le DGB a proposé la nomination d’Isabelle Schömann, qui a présenté sa candidature devant le congrès en langue allemande pour marquer symboliquement cette relation spéciale. Dans notre analyse de la composition du secrétariat élu en 2011, nous avions constaté que tous les membres avaient maintenant une formation universitaire (Rehfeldt, 2011). Ce constat est toujours valable pour le nouveau secrétariat, qui est composé de trois juristes, de deux politologues et d’un philosophe. Nous avions aussi souligné que peu de membres du secrétariat avaient précédemment exercé, pendant une partie significative de leur vie professionnelle, des responsabilités dans une organisation syndicale nationale. Ceci reste vrai pour le nouveau secrétariat [10].

Selon les règles de la CES, l’élection des membres du secrétariat se fait par un vote à bulletin secret, avec possibilité de cocher des cases devant les noms des candidats. Dans l’ensemble, les candidats n’ont obtenu que des scores entre 76 % et 87 % des voix, alors qu’aux deux congrès précédents ils avaient recueilli entre 88 % et 96 %. Luca Visentini a obtenu seulement 76,6 % et Liina Carr 75,8 %, bien moins que les quatre autres candidats : Per Hilmersson (80 %), Isabelle Schömann (83,2 %), Esther Lynch (84,7 %), Ludovic Voet (86,8 %). Au Congrès de Paris en 2015, Luca Visentini avait encore obtenu le meilleur score du secrétariat avec 96,6 %. La faiblesse du vote viennois pour Luca Visentini a surpris, y compris lui-même. Un journaliste a cherché des explications auprès des congressistes et en a trouvé deux principales : un « management trop vertical » de Visentini et son soutien à l’Australienne Sharan Burrow pour la réélection comme secrétaire générale de la CSI en décembre 2015 contre la candidate italienne, Susanna Camusso, soutenue par une grande partie des syndicats européens [11] (encadré 2).

Finalement, le congrès a ratifié une importante modification institutionnelle. Jusqu’ici, il élisait le président de la CES dont le rôle était essentiellement de présider les séances du congrès et les réunions du comité exécutif – le principal organe décideur « politique » –, ainsi que ceux du comité de direction plus restreint, élu par ce dernier. C’est le comité exécutif qui élisait plusieurs vice-présidents. Maintenant, c’est le congrès qui élit un « présidium » composé d’un président, avec rotation à mi-mandat, et quatre vice-présidents. Le congrès de Vienne a élu comme président (avec 95,9 % des voix, le meilleur score de tous les élus du congrès) Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT. Ont été élus comme vice-présidents :

- Miranda Ulens, Belge, secrétaire générale de la FGTB (avec 94,2 % des voix) ;

- José Maria (Pepe) Àlvarez, Espagnol, secrétaire général de l’UGT (91,5 %) ;

- Bente Sorgenfrey, Danoise, ancienne présidente de la confédération FTF, maintenant vice-présidente de FH, issu de la fusion avec LO (81 %) ;

- Josef Středula, Tchèque, président de CMKOS (Českomoravská konfederace odborových svazů) (79,7 %).

L’objectif de cette élection directe est d’offrir une meilleure visibilité de la CES tant pour ses affiliés que pour l’ensemble des salariés, car les membres du présidium sont des dirigeants syndicaux qui sont plus connus dans leurs pays respectifs que les membres du secrétariat. Selon les souhaits de la CES (2018), cette plus grande visibilité doit responsabiliser les élus et accroître leur participation à la préparation des réunions du comité exécutif, dans lesquels ils se faisaient souvent remplacer. Le nouveau secrétaire général, Laurent Berger, a bien souligné ce nouveau rôle, en déclarant : « Il est certain que je ne viens pas pour regarder les choses se faire. (…) Je pousserai aussi pour qu’on s’interroge sur les grands enjeux posés par le syndicalisme en Europe. L’une de ces questions est celle de l’efficacité et du rapport des forces. Nous devons réinterroger nos alliances dans l’exercice de ce rapport des forces. (…) Nous devons valoriser beaucoup plus ce que le syndicalisme européen apporte aux travailleurs. La CES est une confédération, pas une coordination. Il faut être de la CES quand on vient à Bruxelles et il faut continuer d’être de la CES quand on rentre chez soi [12] ».

Conclusion

Le congrès s’est tenu quelques jours avant les élections européennes, dont l’issue était incertaine. Finalement, les partis de gauche et du centre ont limité les dégâts face à la montée des populistes d’extrême droite. Au moment du congrès, Luca Visentini s’est exprimé en faveur d’une « alliance démocratique », rassemblant le centre-droit du Parti populaire européen (PPE), les socialistes, les Verts, les libéraux et les macronistes, de façon à isoler l’extrême droite et à nommer une Commission « progressiste » [13]. Après l’audition d’Ursula von der Leyen par le Parlement européen et la confirmation de sa nomination comme nouvelle présidente de la Commission par une courte majorité, Luca Visentini a renouvelé son souhait de création d’une alliance démocratique plus large. Il a formulé l’espoir que la CES soit rapidement consultée avant l’élaboration du programme de travail de la Commission et qu’il reprenne des éléments de son programme d’action. D’ores et déjà, il s’est félicité que la nouvelle présidente ait pris des engagements en faveur de plus d’équité sociale, y compris un salaire minimum équitable, pour un soutien à la négociation collective et au dialogue social, pour une mise en œuvre du pilier européen des droits sociaux, en faveur de l’égalité des sexes et contre la violence à l’égard des femmes, pour la transition écologique et un plan d’investissement durable. Il a toutefois déploré l’absence dans son discours de mesures pour garantir une transition socialement juste, contre la précarité, en faveur de la santé et de la démocratie au travail, pour l’intégration des migrants et pour la prise en compte de droits sociaux dans les accords commerciaux.

Udo REHFELDT*

Sources :

CES (2018), L’avenir de la CES, adopté lors du Comité exécutif des 23-24 octobre, http://bit.ly/2YfDieb.

CES (2019a), Rapport d’activités 2015-2019, 14e congrès, Vienne, 21-24 mai, http://bit.ly/2YgDlGP.

CES (2019b), ETUC Action Programme 2019-2023, 14th Congress, Vienna, 21-24 May, http://bit.ly/31dxJu3.

CES (2019c), Manifeste CES 2019-2023, http://bit.ly/2LNWNE3.

Guillas-Cavan K. (2018), « La loi sur la journée de travail de 12 heures : cap au pire ? », Chronique internationale de l’IRES, n° 163, septembre, p. 27-37, https://goo.gl/PX3aSv.

Leonardi S., Pedersini R. (eds.) (2018), Multi-employer Bargaining Under Pressure. Decentralisation Trends in Five European Countries, Brussels, ETUI, http://bit.ly/2YwmdIi.

Müller T., Vandaele K., Waddington J. (2019), Collective Bargaining in Europe: Towards an Endgame, Brussels, ETUI, 4 vol., http://bit.ly/2KaV2xz.

Pernot J.-M. (2019), « Agir syndicalement en Europe. La CES, un espace pour l’action collective ? », La Revue de l’IRES, n° 96-97, p. 123-152, http://www.ires.fr/index.php/publications-de-l-ires/item/5954-agir-syndicalement-en-europe-la-ces-un-espace-pour-l-action-collective.

Rehfeldt U. (2011), « Europe : le Congrès d’Athènes de la CES : à la recherche d’une stratégie de défense du “modèle social européen” », Chronique internationale de l’IRES, n° 131, juillet, p. 3-12, https://goo.gl/nGsafh.

Scherrer P., Bir J., Kowalsky W., Kuhlmann R., Méaulle M. (2019), The Future of Europe, Brussels, ETUI, www.etui.org/Publications2/Books/The-future-of-Europe.

van Klaveren M., Gregory D. (eds.) (2019), Restoring multi-employer bargaining in Europe : prospects and challenges, Brussels, ETUI, http://bit.ly/2OsG5fP.

*Chercheur associé à l’Ires. L’auteur a participé comme invité au congrès de la CES.

[1]. Voir Guillas-Cavan (2018). Ce gouvernement a chuté pendant la tenue du congrès.

[2]. La presse autrichienne a rendu compte de la présence de Jean-Claude Juncker et de Joseph Stiglitz, mais a peu traité le reste du congrès, qui a pratiquement été ignoré par la presse quotidienne des autres pays européens, sauf en France, en Italie, en Espagne et au Portugal. Les journaux portugais ont très largement rendu compte de la visite de leur Premier ministre, alors que les journaux français ont surtout retenu l’élection de Laurent Berger à la présidence de la CES.

[3]. En marge du congrès, l’Institut syndical européen a organisé la réunion annuelle du réseau des instituts de recherche liés au mouvement syndical TURI (Trade Union Related Research Institutes) dans laquelle l’Ires était représenté par deux chercheurs. Le programme et les présentations peuvent être consultés sur le site de TURI (www.etui.org/Networks/TURI). Le réseau TURI était présent au congrès avec un stand. L’ETUI a aussi organisé une série de présentations d’ouvrages publiés par lui, en particulier d’un livre sur l’avenir de l’Europe coécrit par un secrétaire général adjoint sortant de la CES (Scherrer et al., 2019) et d’un livre en quatre volumes sur la négociation collective dans les 28 pays de l’UE rédigé par un collectif de chercheurs du réseau TURI (Müller et al., 2019).

[4]. M.-N. Lopez, « EU : interview de Luca Visentini, Secrétaire général de la CES sur le 14e Congrès de son organisation », Planet Labor, 24 mai 2019, n° 11148.

[5]. Il s’agit de la traduction officielle du programme. Il faut comprendre le terme « officier » dans son sens anglais, c’est-à-dire de celui d’un permanent syndical.

[6]. Il s’agit d’un document de trois pages seulement, beaucoup plus court que le manifeste de Paris de 2011 dont il reprend la plupart des thèmes.

[7]. Le rapport d’activité relate que les procédures récemment adoptées par deux FSE ne respectent même pas les recommandations minimales de la CES sur le rôle exclusif des FSE.

[8].    Pour les effets de la désyndicalisation sur la composition du congrès, voir encadré 1.

[9].    Isabelle Schömann était de 1994 à 2002 chercheure au Wissenschaftszentrum Berlin für Sozialforschung (WZB), un institut de recherche berlinois en sciences sociales, et de 2002 à 2016 à l’ETUI. Ce n’est pas la première fois qu’un membre de l’ETUI intègre le secrétariat de la CES. Il y a eu deux précédents : Reiner Hoffmann, directeur de l’ETUI de 1994 à 2003, a été secrétaire général adjoint de la CES de 2003 à 2006. Judith Kirton-Darling, chercheure à l’ETUI de 2001 à 2003, a été secrétaire de la CES de 2011 à 2015.

[10].   On peut consulter les CV (en anglais) des secrétaires sur le site de la CES : https://www.etuc.org/fr/organisation-et-personnel.

[11].   J. Lepeytre, « Ce qu’il faut retenir du 14e congrès de la Confédération européenne des syndicats », AEF Info, 27 mai 2019.

[12].   M.-N. Lopez, « UE : interview de Laurent Berger, Secrétaire général de la CFDT nouvellement élu Président de la Confédération européenne des syndicats », Planet Labor, 24 mai 2019, n° 11147.

[13].   M.-N. Lopez, op. cit., note 5, p. 39.