L’organisation des Chaînes Globales de Valeur (CGV), dont dépend environ 50% du commerce mondial, implique des problématiques sociales fortes, notamment relatives au travail. De fait, la tendance à l’externalisation de nombreuses activités, considérées comme moins créatrices de valeur, a pu conduire à déresponsabiliser les entreprises multinationales donneuses d’ordres. Pour prendre en charge ces enjeux, une diversité de systèmes de gouvernance transnationaux du travail ont émergé et impliquent employeurs, représentants des travailleurs, ONG, institutions internationales ou encore pouvoirs publics. Alors que les entreprises multinationales ont progressivement intégré ces enjeux à leurs politiques de Responsabilité Sociale d’Entreprise, on relève, depuis les années 2010 et la reconnaissance renouvelée de l’importance du rôle de l’État en tant que régulateur de l’activité économique, une série de lois, américaines et européennes, édictées dans le but de contraindre l’activité des entreprises en dehors des frontières nationales. La loi française sur le devoir de vigilance préfigurant la directive européenne de 2023 fait figure d’initiative emblématique de ce point de vue.
Enfin, et pour faire appliquer effectivement les normes fondamentales du travail dans les CGV, certaines entreprises se sont engagées dans des démarches de dialogue social transnational qui ont pu prendre corps au travers d’Accords-Cadres Internationaux. Pour les promoteurs de ces démarches, le dialogue social serait plus propice à la mobilisation des différentes parties prenantes, notamment les travailleurs, condition d’une politique ancrée au plus près des réalités économiques et sociales.
Malgré ces diverses initiatives, force est de constater que les progrès sociaux restent insuffisants et l’une des hypothèses avancées pour expliquer ce paradoxe suggère que cette coexistence de systèmes de gouvernance relève d’une logique de juxtaposition qui dilue les énergies. Pire, il se pourrait que ces systèmes se concurrencent, l’un pouvant se développer au détriment de l’autre. Aussi, cette étude contribue à penser les conditions d’une articulation entre les démarches de sorte à ce qu’elles se renforcent mutuellement. Pour explorer cette hypothèse, ce sont les interactions entre les démarches initiées par les entreprises multinationales pour élaborer leur plan de vigilance et celles initiées dans le cadre des ACI qui sont spécifiquement scrutées. Quelles sont les dynamiques à l’œuvre qui tendent à les dissocier, voire les opposer ? À quelles conditions peuvent-elles être articulées ? L’exploration de ces questions invite à entrer dans la boite noire que constitue la fabrique des politiques de régulation sociale des CGV et à comprendre quelle place y trouvent les différents acteurs.
Pour répondre à ces questions, 4 études de cas ont été réalisées, permettant une analyse longitudinale des plans de vigilance et des ACI de 4 entreprises multinationales dont le siège se situe en France. 70 entretiens ont été réalisés, entre 2016 et 2023, auprès des acteurs en charge de ces politiques. L’analyse prend également appui sur les documents en lien avec les dispositifs étudiés.