Dans un contexte de crise économique et de persistance en France d’un taux de chômage élevé, le secteur des services à la personne attire depuis plus de dix ans l’attention des analystes et des décideurs politiques. S’il a été décrit comme porteur de nombreux espoirs, force est de constater qu’il n’a pas encore pourvu tous les emplois attendus, en termes de quantité mais peut-être plus encore en termes de qualité.
Depuis quelques années, une nouvelle thématique vient déséquilibrer l’économie dans son ensemble, celle de « l’uberisation » ou de la « plateformisation » des modèles économiques traditionnels, voire même, selon certains, de l’ensemble de la société. Ces plateformes numériques de mise en relation d’offreurs et de demandeurs court-circuitent les acteurs anciennement installés, et viennent re-questionner le modèle même de l’entreprise classique. Si l’offre et la demande peuvent se rencontrer aisément via les plateformes, si les coûts de transaction sont rendus très faibles, si la confiance est procurée par des systèmes de réputation électronique, quelle place reste-t-il pour les organisations classiques ? Et, par extension, quelle place reste-t-il pour le salariat là où tous les travailleurs sembleraient pouvoir devenir des entrepreneurs d’eux-mêmes ? Le débat de l’emploi et de sa qualité, dans une économie mondialisée et numérique, ne cesse donc d’être posé.
Dans le secteur des services à la personne, ces métiers pourraient représenter une réelle opportunité d’insertion pour des demandeurs d’emploi qui en feraient le choix, à condition d’une part que les emplois proposés soient de qualité et accessibles au plus grand nombre, et que de réelles passerelles existent d’autre part entre le monde de l’insertion et les emplois ordinaires du secteur.
Notre position dans cette étude commanditée par la CFTC dans le cadre de l’agence d’objectifs de l’IRES est d’essayer de penser l’informatisation comme une opportunité potentielle, et de chercher à comprendre quelles seraient les conditions pour qu’elle se réalise. Ainsi, nous tenions à rappeler le succès d’entreprises « physiques » comme O2, tout en soulignant l’importance de l’incitation publique pour ces modèles économiques. Un autre point d’étonnement a été de constater l’échec, inattendu, d’entreprises américaines fortement capitalisées et décrites comme les futures championnes de la Silicon Valley. C’est ainsi que la chute d’Homejoy, qui avait pourtant réussi à séduire les investisseurs, est décrite comme le premier grand échec de l’« Uber-économie ». Parmi les causes, citons le progressif rejet par les sociétés civiles et l’économie traditionnelle des modèles « uberisés » (Homejoy a connu quatre actions en justice aux États-Unis), ainsi que la délicate question de la confiance du consommateur, pour des activités relevant du domestique et de l’intime, et de la capacité pour un donneur d’ordre de contrôler la qualité de la prestation réalisée par des personnels précarisés sur lesquels ils ne disposent pas d’ascendant hiérarchique. Ainsi, précarité, confiance et qualité semblent avoir été occultés des modèles américains tirant les prix vers le bas.
Les recommandations exposées ici se veulent concrètes, pragmatiques. Elles visent à proposer un modèle de développement économique des services à la personne qui profite des perspectives offertes par l’informatisation pour développer une offre légale, socialement responsable, et économiquement viable pour les ménages. L’enjeu contemporain est d’essayer de tirer profit de chacun des trois modèles (associatif et service public, privé classique, numérique) pour retenir ce qu’il a de meilleur : de faibles coûts d’intermédiation (plateformes numériques), une rentabilité financière gage de pérennité (entreprises privées classiques), et une dimension sociale et éthique ambitieuse (économie sociale et solidaire, services publics).
Ce texte s’appuie sur une étude de la littérature associée à une démarche d’expérimentation sociale, d’entretiens et d’observation participante, dans le cadre d’un projet de centre social coopératif situé en Seine-Saint-Denis. La proposition que nous formulons consiste à développer des expérimentations locales visant à tirer parti du meilleur des trois mondes afin d’encourager l’éclosion de coopératives sociales et solidaires, encadrées et aidées par les pouvoirs publics de niveau local. Le statut de ces coopératives les place à mi-chemin entre les associations à but non lucratif et les entreprises privées classiques en prévoyant l’équilibre économique mais également une participation démocratique des coopérateurs et des parties prenantes externes comme les clients, les travailleurs sociaux, les élus locaux, etc. (statut de SCOP par exemple). En se positionnant sur un marché à la fois prometteur et complexe, celui des services à la personne en cours de « plateformisation » (cf. le platform cooperativism), ces coopératives pourraient être en mesure de créer de l’emploi salarié, impliquant les membres dans un travail de qualité auprès de personnes démunies mais également de salariés plus classiques, leur offrant par exemple du temps supplémentaire pour développer leur vie familiale, associative et citoyenne.