Cette recherche en sciences sociales de type compréhensive cible l’impact du développement du numérique et de la robotique sur l’emploi et l’éthique des pratiques pour le monde du travail aujourd’hui et demain. L’irruption ou l’accélération des technosciences dans tous les domaines ont un effet oscillant entre inégalités ou opportunités ; destruction, transformation ou création d’emplois et de métiers ; perte ou développement de compétences ; domination de l’homme par la machine ou amélioration des conditions de travail. Une problématique éthique, politique, démocratique ou écologique se pose. Quelles recommandations émettre pour prôner un numérique au service du développement économique et du progrès social, en termes d’anticipation, d’accompagnement, de professionnalisation, d’organisation apprenante ?
L’enquête de terrain couvre quatre secteurs d’activité (la santé, la formation, la banque, le transport) en constantes évolutions, transformations ou innovations, représentatifs des phénomènes observés. Les outils d’enquête sont doubles, des observations et des entretiens exploratoires auprès de cinquante acteurs vivant cette transformation numérique : salariés et partenaires sociaux d’entreprises, enseignants-chercheurs et experts de diverses disciplines (santé, philosophie, droit, infocom, informatique, économie, sciences de l’éducation, sociologie), représentants d’organisations ou institutions (Anact, Conseil d’orientation pour l’emploi, Institut Droit et Santé, universités, établissements de santé, etc.) pouvant éclairer la problématique et les perspectives à envisager. La recension de la littérature a permis l’analyse de contenu des données recueillies de manière empirique. L’étude est structurée en trois parties.
En première partie les concepts de : numérique, robotique, intelligence artificielle, big data sont clarifiés ainsi que leur développement dans le monde du travail, les enjeux actuels et futurs qui en découlent. Exponentielles dans tous les domaines, l’automatisation et la digitalisation se répartissent de manière inégale dans les divers espaces (mondial, européen, en entreprise), selon les personnes ou les catégories de population active. L’inégalité peut mener à une fracture numérique. Alors que certains sont geeks, digital natives d’autres sont en situation d’illectronisme faisant preuve d’incompétence numérique. L’écart s’est accentué avec la récente pandémie due à la Covid 19 alors que dans le même temps, la connexion ou l’hyperconnexion sont gages d’une compétitivité recherchée dans les entreprises. Les enjeux de la numérisation des processus et des données sont pluriels, en termes de traçabilité, de compétitivité, générant des risques liés à l’insécurité des données, à leur monétisation attrayante. Ainsi de nouveaux besoins émergent, en termes de savoirs, de compétences ou de nouveaux métiers comme dans le domaine de la cybersécurité.
La seconde partie met en exergue un état des lieux de la digitalisation et de ses impacts sur l’emploi, le travail, la formation, l’accompagnement des transformations numériques, en invitant à une réflexion éthique sur un usage raisonné de la technique. Les effets de la digitalisation sont variables selon les métiers et les emplois. Certains se créent et se développent en lien avec les évolutions, d’autres sont transformés ou sont détruits. Selon, les métiers sont alors considérés en tension ou émergents. Le développement de nouvelles formes d’emploi est aussi source d’inégalité de défense des droits. La question se pose des relations homme-machine en termes de concurrence ou de collaboration, du travail qui devient fragmenté, dispersé et superposé, de la porosité qui s’installe entre vie professionnelle-vie privée. Un travail d’accompagnement au changement et de formation est requis. Les besoins augmentés en multi-compétences, en savoirs, en apprentissage formel et informel, font envisager le concept d’organisation apprenante pour l’entreprise. Ce paradigme à développer est prôné d’ores et déjà par certaines entreprises, de même que l’autoformation des salariés, un travail de formation obligatoire par soi-même, au regard d’une employabilité obligée. Le droit du travail doit s’adapter à l’ère du numérique : proposer des règles d’application de la roboéthique, préserver les frontières entre les sphères professionnelle et privée, partager le travail et sa responsabilité entre l’homme et la machine, veiller à la qualité de vie au travail.
Dans la troisième partie, les recommandations reposent sur l’accompagnement des transformations, le dialogue social, l’instauration de nouvelles pratiques d’encadrement, de travail et de formation, la professionnalisation permanente fondamentale pour l’emploi. Il s’agit d’envisager autrement l’articulation entre les formations initiale et continue, formelle et informelle. Proposer un kaléidoscope de formations innovantes, à géométrie variable, dans un but de flexibilité, d’ajustement des compétences attendues en fonction de la personne et de son environnement évolutif de travail. La formation informelle a cet atout d’être adaptée dans le juste à temps en situation de travail au regard des évolutions. Promouvoir une organisation apprenante revient à penser une vision commune de la société au regard de valeurs et de buts partagés, à développer et donner du sens au travail collectif et à l’apprentissage collectif, à penser des complémentarités et des synergies, un univers en « co ». Ou encore un observatoire de la digitalisation des métiers, un comité de roboéthique.
Inventer une entreprise numérique, éthique et apprenante, réinventer des régulations économiques, sociales et éthiques, permet de prôner un numérique au service du développement économique et du progrès social.