Egalement disponible : Synthèse de l'étude
Il en est de l’économie comme de ces rivières qui, gonflées par des pluies torrentielles, sortent de leur lit et divaguent – au sens propre comme au figuré – emportant tout sur leur passage, causant des dommages aux hommes et à leur environnement. Il est désormais avéré que le réchauffement climatique est d’origine anthropique : sécheresse et canicule en Asie et en Europe, incendie en Amazonie et en Australie, inondations et ouragans en Amérique, fonte des glaces de l’Arctique, pollution de l’air et des eaux, famines, migrations massives, épidémies, disparition d’espèces animales et végétales… La liste est longue des manifestations du dérèglement climatique causé par une approche de l’économie qui privilégie l’appât du gain au bien-être humain, qui dicte aux peuples leurs comportements et, aux États leur politique. À ces déjà trop nombreux fléaux, il convient d’ajouter la précarité de l’emploi, la dégradation des conditions de vie des plus démunis, le creusement des inégalités, l’accroissement de la pauvreté, ou encore le renoncement de trop nombreux politiques aux missions qui leur incombent, notamment être garant du bien commun.
Aucun continent ou secteur de l’activité humaine n’échappent au changement climatique et aux catastrophes économiques, sociales, politiques et sanitaires qu’il provoque ou amplifie, et qui se multiplient, s’enchaînent, voire entrent en interaction les unes avec les autres. La situation a empiré au milieu des années 1970 avec l’avènement du capitalisme financier et la toute-puissance des actionnaires et des acteurs de marché. Dans ce contexte, l’indispensable transition vers une économie soucieuse des contraintes environnementales et sociales pourrait se révéler difficile à réaliser ; elle n’en est pas moins possible, à condition toutefois de changer de perspective et de remettre l’économie à sa place, de ré-enchâsser l’économique dans le vivant. De fait, l’économie n’est qu’un sous-ensemble du social, lui-même inclus dans la biosphère, comme l’a montré René Passet dès 1979 dans L’économique et le vivant (Payot) ; à ce titre, elle n’a pas à leur imposer ses lois. Telle est la problématique de cette étude.
Partant de là, il apparaît que le concept même de développement durable – initialement pensé pour concilier croissance économique, exigences sociales et respect de l’environnement – a été dévoyé au fil du temps, des conférences des Nations unies et des différentes Conférences des Parties (COP). Ces « grands-messes » internationales semblent avoir pour unique but de masquer la domination de l’économie. Une dérive d’autant plus regrettable que les travaux menés dans le cadre de l’OCDE par des politiques et des scientifiques conscients des ravages qu’une croissance économique débridée pouvaient causer à l’humanité et à son environnement, avaient, dès les années 1960, posé les jalons d’une véritable politique capable de prendre en compte ces trois dimensions, et avaient fait de la planification écologique la pierre angulaire de toute réforme. Leurs travaux avaient également débouché sur la première conférence environnementale, dite de Stockholm, et la rédaction d’une charte qui fait de l’avenir de l’humanité le fondement de toute politique.
Les solutions à mettre en oeuvre pour endiguer l’économie ne sauraient être que techniques ; elles doivent s’inscrire dans un projet de société qui place les femmes et les hommes au coeur de ses préoccupations. Si le projet de société consiste à privilégier le business as usual, ne changeons rien !
Si, au contraire, l’objectif est de permettre à l’humanité de vivre dans des conditions décentes, il est nécessaire de revoir l’ensemble de nos comportements. Dans cette perspective, le changement de paradigme économique devient non seulement une évidence, mais aussi une nécessité. Cela
consisterait à passer d’une économie dont les ressorts sont la croissance effrénée de la production et l’accumulation à une économie dont la finalité deviendrait le « plein développement des hommes » (François Perroux) par la satisfaction de leurs besoins fondamentaux dans le respect de leur
environnement.
Un exemple de ce qu’il conviendrait de faire pour répondre à ces exigences nous est fourni par l’encyclique Laudato si’ du pape François, qui a pour sous-titre « Sur la sauvegarde de la maison commune ». Ce document est un appel à une prise de conscience et une invitation à repenser la place
de l’homme dans la création et dans notre société. Une fois ce projet de société défini, il appartiendra de mettre en oeuvre les conditions techniques et le financement de sa réalisation. Le changement de paradigme économique requiert enfin le passage d’indicateurs de richesse exclusivement fondés sur
la croissance quantitative de l’activité économique mesurée par les variations du produit intérieur brut (PIB) à des indicateurs qui intègrent également des critères qualitatifs comme la santé, l’éducation, le logement, la pollution, le climat, la biodiversité... voire, carrément, un changement de politique.
Enfin, rien ne se fera sans un dialogue social environnemental qui rende acceptable par la population la transition vers une économie plus soucieuse de l’humanité et de son environnement. II est aujourd’hui quasiment inexistant et/ou trop souvent mal mené et malmené. Une réforme s’impose qui pourrait s’inspirer de la manière dont est mené le dialogue social (méthode et état d’esprit) dans le souci du bien commun. La reconstruction écologique passe également par la mise en oeuvre d’une véritable planification écologique sur le modèle de la planification à la française qui a permis, au lendemain de la Second-guerre mondiale, de reconstruire la France. Dans cette nouvelle configuration – qui appelle enfin une réforme de la gouvernance – toutes les composantes de la société civile (syndicats de salariés, organisations patronales, associations et ONG) auraient toute leur place. Par la remise en route d’une planification économique, écologique et sociale, on rebouclerait, en outre, avec les préoccupations qui ont présidé à l’élaboration du concept de développement durable.