Le 14 février 2013, la Confédération Générale du Travail – Force Ouvrière (CGT-FO) a renforcé sa position dans la fonction publique d’État au terme d’un long processus entamé en 2009. Ce jour-là, 250 policiers militants et élus syndicaux ont fondé un nouveau syndicat, Unité-SGPPolice Force Ouvrière, rassemblant environ 30 000 fonctionnaires de police et représentant alors 47,8% des gardiens et gradés de la Police Nationale. Cette petite révolution dans le syndicalisme de la fonction publique d’État est la conséquence directe d’une mutation longue et profonde du syndicalisme policier, passé d’une logique d’autonomie entretenue pendant près de 50 ans à l’affiliation à l’une des principales confédérations syndicales françaises. L’objectif de ce rapport de recherche est de revenir sur l’histoire du syndicalisme policier pour comprendre cette mutation de la culture syndicale policière que constitue l’adhésion d’Unité- SGP-Police à Force Ouvrière.
Problématique et questionnements
Deux questions traversent cette étude : comment expliquer l’émergence du syndicalisme policier au début du 20e siècle ? Et comment expliquer la forme spécifique qu’a pris le syndicalisme policier ? Il s’agit d’interroger les modes de construction de ce mouvement collectif, afin de mieux comprendre la situation actuelle qui s’ancre dans une suite logique d’événements ;sans toutefois négliger les évolutions, ruptures ou changements de cap ; ni les influences extérieures (notamment les mouvements de fonctionnaires ou, plus généralement, le mouvement social). Nous revenons dans un premier temps sur les principales étapes de construction du syndicalisme policier, depuis les prémices de la fin du 19e siècle jusqu’à la période de la Fédération Autonome des Syndicats de Police (FASP), considérée par de nombreux acteurs comme l’« âge d’or » du syndicalisme policier. Dans une deuxième partie, nous questionnons les évolutions organisationnelles consécutives à l’éclatement de la FASP à la fin des années 1990 ; notamment les logiques de reconstructions de structures syndicales
unifiées via l’affiliation confédérale.
Démarche et principaux apports
Cette recherche repose sur des sources de natures différentes : le travail de reconstructionhistorique consiste, pour l’essentiel, en une lecture croisée de travaux antérieurs 1. L’accès ponctuel à des fonds d’archives (largement incomplets) permet tout de même un éclairage complémentaire original de certains évènements. Nous nous appuyons également sur une démarche ethnographique de long terme de la période plus contemporaine, notamment l’observation de nombreux congrès syndicaux entre 2008 et 2015. Enfin, nous mobilisons également dans ce rapport de nombreux entretiens avec des responsables syndicaux à différents niveaux (national, régional, local) qui permettent de comprendre le point de vue des acteurs du syndicalisme policier 2 .
Trois apports principaux se détachent de cette étude :
1. En posant des jalons historiques et des points de repères clairs, il s’agit de proposer une connaissance historique et factuelle du processus de construction du syndicalisme policier, souvent résumé trop rapidement (par les syndicalistes eux-mêmes, par les journalistes ou, parfois, par les chercheurs) aux actions de quelques « grands hommes » ;
2. Nous constatons, via l’étude des récents mouvements organisationnels, que le renoncement à l’autonomie consenti par les héritiers de la FASP en choisissant l’affiliation à Force Ouvrière, n’est que partiel et relatif : le choix de la confédération laisse en effet une importante marge de manœuvre aux organisations membres dans leurs prises de positions comme dans leurs actions, ce qui correspond particulièrement bien aux attentes de syndicalistes policiers ;
3. Cette « autonomie dans l’affiliation » se traduit, pour les militants policiers, par un double rapport d’appropriation/distanciation de l’identité « Force Ouvrière », entre mise à distance de la confédération, souvent vue comme une entité extérieure ; et revendication de valeurs communes.
1 Plus particulièrement les travaux de Michel Bergès ; Jean-Marc Berlière ; et Eric Verdier.
2 Les matériaux mobilisés dans ce rapport de recherche recoupent largement ceux de notre thèse de Science Politique (Université de Lyon – thèse en cours).