La crise sanitaire inédite en cours a brusquement remis à l’honneur la dépense publique, comme en atteste la formule choc « quoi qu’il en coûte » employée à plusieurs reprises par le Chef de l’Etat à l’occasion d’une de ses premières déclarations solennelles.
Après une première phase où un assez large consensus semblait se dessiner autour de la nécessité de remiser à plus tard la contrainte budgétaire et les grands principes d’équilibre des finances publiques qui la gouvernent, certaines sirènes austéritaires sont déjà en train de se réveiller. Déjà, le choc initial de la crise financière de 2008 nous avait offert un scénario où la dépense publique, décriée la veille, se voyait soudainement parée de toutes les vertus dès lors qu’il s’agissait de sauver le système bancaire… avant de se retrouver de nouveau sur le banc des accusés une fois les acteurs financiers remis en selle. Il est à craindre que ce précédent préfigure les termes du débat qui ne manquera pas de s’imposer une fois les urgences sanitaires sous contrôle.
Dans ce contexte, l’étude réalisée par Bruno Tinel constitue un travail de décryptage des soubassements idéologiques des politiques dites, dans la novlangue conservatrice, d’assainissement ou de consolidation budgétaire.
Suite à la crise financière de 2008, les politiques d’austérité se sont généralisées, sous la pression combinée des marchés financiers et des institutions internationales, mais en dépit de politiques budgétaires restrictives, les niveaux comme les ratios de dette publique n’ont pas été réduits et ils se sont même dans certains cas détériorés. De fait, ces politiques ont entrainé une stagnation économique prolongée en Europe, rendant plus illusoire par leurs multiples effets récessifs toute perspective de redressement des comptes publics.
Cette étude procède à une large revue de littérature et fait le point sur les controverses théoriques et académiques sur la question de la soutenabilité des dépenses publiques et des opportunités de relance budgétaire. Elle pointe les faiblesses des fondements théoriques et scientifiques de l’austérité en présentant un état de lieux des développements de la pensée keynésienne. Elle revient ainsi en détail sur les lourdes erreurs de calcul ayant conduit à une sous-estimation du multiplicateur pourtant au cœur des préconisations en matière de finances publiques et s’intéresse également aux estimations de seuils limites supposés de dette publique tout autant sujets à caution.
Ce rapport rappelle à quel point la dépense publique joue un rôle essentiel dans la dynamique des économies modernes, tant à court terme qu’à long terme. Pour ce faire, il développe une synthèse théorique et empirique qui présente successivement des éléments de statistique descriptive et une analyse macroéconomique keynésienne de la dépense publique avant de discuter les principaux enjeux ayant trait à la dette publique et d’esquisser les grandes lignes d’une économie politique de la dépense publique.
A l’heure où se déploie une crise économique mondiale d’une ampleur exceptionnelle, cette réflexion fournit des outils d’analyse pour préparer l’avenir et défendre des options de sortie favorables au plus grand nombre. Deux pôles se dégagent : un retour à la financiarisation mondialisée, guidée par les seuls intérêts marchands et le rendement du capital ; un New Deal fondé sur une économie en partie démondialisée, soutenable sur le plan environnemental et où la dépense publique joue un rôle fondamental dans la régulation macroéconomique et l’orientation de l’investissement.
Mots clés : dépense publique, investissement, politique économique