Confrontée à une dégradation des conditions de travail et de la santé des salariés de la SNCF, à une montée de la souffrance travail1, la Fédération CGT des cheminots et son Union fédérale des cadres et maîtrises (UFCM) ont fait les constats suivants : - Souvent focalisées sur les stratégies de la direction et leurs conséquences sur l’organisation de la production, le système de management des salariés, la qualité du service délivré aux usagers, les interventions syndicales ne prennent pas assez en compte le vécu quotidien des salariés et sont ainsi souvent perçues par eux comme éloignées de la réalité du travail ; - Cet écart nourrit un sentiment d’impuissance chez les salariés et dans les équipes syndicales, et entrave de ce fait la dynamique de transformation voulue par la CGT.
Inspirée d’un précédent travail mené avec la CGT Renault (Chassaing et al., 2012 ; Gâche, 2013), ainsi que d’autres formations/recherches-actions menées avec différentes organisations syndicales (Gaudart et al., 2011 ; Théry, 2010 ; Dugué, Petit, 2010 ; Dugué, Lacombe, 2007), cette recherche-action a été conduite dans le cadre d’un partenariat associant la Fédération CGT des cheminots, l’Agence nationale d’amélioration des conditions de travail (ANACT), et plusieurs praticiens-chercheurs.
Le projet entend contribuer à « inverser la situation » en partant du travail réel, c’est-à-dire à faire évoluer les pratiques syndicales au sein de l’entreprise, en mettant les militants en capacité de nourrir leurs activités et propositions revendicatives de matériaux, réflexions issues d’une « analyse du travail » menée avec les salariés. Ce projet vise donc à expérimenter, dans la coopération entre syndicalistes et chercheurs, le développement de pratiques syndicales susceptibles de mieux articuler les batailles menées par les syndicats et ce que vivent les salariés dans le quotidien de leur activité.
Cette orientation a été affirmée dans le document d’orientation du 50e Congrès de la CGT : « La Cgt veut redonner la parole aux femmes et aux hommes sur ce qu’ils ont en commun, le travail. C’est d’autant plus urgent que la situation actuelle n’est pas sans effets sur la capacité individuelle et collective à revendiquer. (…) Or, l’expérience le montre : moins on est fier de son travail, moins on est enclin à revendiquer. Aller à la rencontre des millions de salarié-e-s pour reconquérir la fierté au travail doit donc devenir une priorité de notre activité. Investir le travail appelle une activité de proximité, permet de resserrer les liens avec les salarié-e-s et de redynamiser l’action syndicale. (…) Mettre en débat sur les lieux de travail et prendre à bras-le-corps les questions de contenus, de sens, de finalités, d’organisation et de conditions de travail pour peser de manière offensive sur les questions d’emplois, de salaires, de formation, de protection sociale… c’est agir pour la revalorisation et la qualité du travail. (…) Avec toutes nos forces organisées, aller à la rencontre de toutes et tous les salarié-e-s et les inviter à parler de leur travail, ce qu’elles, ils en attendent, ce à quoi elles, ils aspirent. Il s’agit de leur redonner la main, les réinvestir dans leur capacité d’intervention. » Cela se traduit par un objectif : « Mettre le travail au cœur de l’action syndicale » (CGT, 2013).
Lors de la recherche-action avec la CGT Renault, il s’agissait de « faire du syndicat un outil pour l’action des salariés » (Chassaing et al., 2012). C’est aussi ce qu’affirme Philippe Martinez le secrétaire général de la CGT : « Nous voulons un syndicalisme de proximité avec les salariés, et surtout d’écoute de leurs préoccupations et des solutions qu’ils proposent pour bien faire leur travail. »
Pour la CGT, il s’agit donc de : - Se mettre en situation de démontrer aux salariés qu’elle est en capacité, avec eux, de transformer et d’améliorer les conditions concrètes de leur vie quotidienne au travail ; - Réengager une dynamique de transformation sociale « par le bas » ; - Remettre le travail au cœur de ses pratiques et de son projet.
Ces objectifs impliquent de : - S’intéresser au travail réel des salariés, à ce qu’ils font, aux régulations qu’ils sont amenés à opérer pour faire face aux situations concrètes de travail et à leurs coûts éventuels, à l’intérêt qu’ils portent à leur travail, à ce dont ils auraient besoin pour mieux le faire ; - Construire avec les salariés des propositions et des processus d’action susceptibles de changer leur quotidien.
Des préoccupations du même ordre sont affirmées dans les autres organisations syndicales. Ainsi, à la suite de la grande enquête sur le rapport au travail réalisée par la CFDT, Laurent Berger, son secrétaire général, déclarait : « L’enquête révèle que les travailleurs veulent s’exprimer. Et c’est le sens de l’action de la CFDT : partir des besoins des travailleurs sur les lieux de travail pour construire le monde de demain. »
La recherche-action menée par la CGT Renault avait d’ailleurs bénéficié de l’expérience de deux recherches-actions menées antérieurement avec la CFDT, dans les années 2000, dont l’une avait donné lieu à la publication d’un ouvrage collectif (Théry, 2010). Enfin, des expériences diverses, habitées de préoccupations du même ordre, sont menées à Solidaires avec production d’un matériel pédagogique à destination des militants, ou à la FSU (Baunay et al., 2010). Au moins une expérience a été développée avec la CFE-CGC.
L’importance de ce mouvement ne doit cependant pas cacher les difficultés auxquelles se heurte l’objectif de partir du travail.
Dans la mesure où la présente expérimentation a pour objectif de stabiliser un dispositif de formation syndicale, nous décrirons d’abord le processus de recherche-action mené avec la CGT Cheminots ; nous analyserons ensuite les difficultés que nous avons rencontrées, pour enfin proposer des éclaircissements et en tirer les leçons, afin d’équiper la Fédération et ses formateurs pour les développements qu’ils jugeront bon de donner.