Depuis une décennie, la conciliation est devenue d’intérêt pour les pouvoirs publics allemands. Elle affiche désormais des ambitions ouvertement natalistes et demande des efforts budgétaires exceptionnels qui s’imposent malgré la rigueur. Pour parvenir aux réformes, il a fallu revenir sur l’hypothèse qui fondait traditionnellement la politique familiale : que l’emploi des mères nuirait au développement des jeunes enfants et que le rôle de la politique familiale consistait à garantir matériellement le maintien de ce lien le plus longtemps possible. L’analyse des réformes phares entreprises sera l’occasion de s’interroger sur les conditions de la « modernisation » de la politique familiale à travers la prise en charge de la conciliation.
La conciliation entre vie familiale et vie professionnelle est l’ambition phare de la « nouvelle » politique familiale allemande 1. Celle-ci s’est longtemps distinguée d’autres pays par la très nette prédominance de l’intervention économique sur d’autres formes d’intervention possibles (infrastructurelles, légales, éducatives). La redistribution des moyens financiers en faveur des couples mariés et des familles traditionnelles s’était notamment faite au détriment des mesures de conciliation (Strohmeier, 2013). Si le transfert monétaire reste l’instrument de choix de la politique familiale allemande, la montée des préoccupations conciliatrices a déclenché d’importantes réformes institutionnelles et légales. Ces réformes – plébiscitées par les parents – s’appuient sur le triptyque congés parentaux/mesures de conciliation dans les entreprises/extension de l’offre de garde (de qualité). Elles expriment un changement de représentation de ce que la famille est ou doit être, y compris la définition des rôles à l’égard des sphères de l’emploi et de la vie privée.
Traditionnellement perçue comme une « affaire de femmes », la conciliation est devenue d’intérêt pour les pouvoirs publics allemands, qui souhaitaient augmenter le taux d’emploi féminin et pallier la carence démographique, perçue désormais comme une menace pour le modèle économique et social. La conciliation est ainsi devenue une affaire d’État ; celui-ci affiche désormais des ambitions ouvertement natalistes et demande des efforts budgétaires exceptionnels qui s’imposent malgré la rigueur (Kahmann, 2014). Pour parvenir aux réformes, il a fallu revenir sur l’hypothèse qui fondait traditionnellement la politique familiale : que l’emploi des mères nuirait au développement des jeunes enfants et que le rôle de la politique familiale consistait à garantir matériellement le maintien de ce lien le plus longtemps possible. Permettre aux mères – à travers des mesures de conciliation convaincantes – de maintenir le lien avec le marché du travail est désormais pensé comme le meilleur moyen de stimuler la natalité et d’augmenter le taux d’emploi des femmes.
Cet article analyse les réformes phares en matière de conciliation entreprises depuis la deuxième moitié des années 2000. Si l’on prend en compte leur point de départ, la montée, en l’espace d’une décennie, de la préoccupation conciliatrice dans l’action publique et parmi les acteurs sociaux, paraît tout à fait exceptionnelle. De notre point de vue, la prise en charge de ce sujet a permis à la politique familiale de se hisser au centre des préoccupations des politiques publiques de l’Allemagne contemporaine. Nous avons donc fait le choix d’articuler l’analyse des dispositifs de conciliation – leur évolution, leurs usages, leurs partis pris, leurs lacunes – avec une réflexion plus générale sur les conditions de ce déplacement de l’action gouvernementale.
Le socle normatif des politiques familiales d’après-guerre et sa remise en question depuis la fin des années 1990
Esping-Andersen (1990) avait qualifié l’Allemagne d’archétype du Welfare State conservateur, caractérisé entre autres par la prégnance du principe de subsidiarité ainsi que la promotion institutionnelle de la famille traditionnelle. Si les évolutions des dix dernières années ont vu les critiques se multiplier à l’égard de cette classification du pays, le caractère conservateur des dispositifs de conciliation 2 emploi-famille sur longue période ne fait guère débat. Tout en se démarquant d’un modèle purement patriarcal, le premier « Rapport du gouvernement fédéral sur la situation des femmes dans la vie professionnelle, la famille et la société » de 1966 avait estimé l’accueil des enfants acceptable hors de la famille dès lors que « le potentiel de la famille [était] insuffisant » et ne vient pas se substituer à l’éducation familiale (Veil, 2010a:92).
Le modèle de « Monsieur Gagnepain » ou le maintien des mères au foyer
La représentation selon laquelle la place de la femme est au foyer, au moins tant que les jeunes enfants ou les adolescents y vivent, a guidé les politiques publiques jusque dans les années 1990. En cherchant à isoler la « sphère privée » des immixtions de l’État, la politique ouest-allemande tentait de se démarquer à la fois de l’interventionnisme nataliste (et eugéniste) des Nazis et de la République démocratique allemande (RDA) 3, dont les structures d’accueil ont été jugées nuisibles à cause de la supposée coupure du lien mère-enfant. C’est en s’appuyant sur des allocations et des mesures fiscales en faveur des familles (couples hétérosexuels et mariés, de préférence avec un ou plusieurs enfants) que les pouvoirs publics de la République fédérale d’Allemagne (RFA) ont soutenu un (contre-) modèle familial basé sur le principe de subsidiarité, favorisant l’emploi masculin comme principale, voire seule ressource financière du ménage. Les abattements fiscaux, l’allocation forfaitaire par enfant, le quotient conjugal ainsi que le congé parental, sur une base forfaitaire de 300 euros par mois environ en ont été les principaux instruments (Greulich, 2008). C’est au travers de la redistribution des ressources que l’État cherchait à permettre aux familles à revenu faible ou moyen d’avoir des enfants (Rürup, Gruescu, 2003) 4.
Ce souci a longtemps rencontré un écho favorable dans la population, et s’est doublé d’un scepticisme à l’égard de l’emploi des mères de jeunes enfants. Selon un sondage effectué en 2006, 53 % des Allemands de l’Ouest (20 % dans l’Est) étaient en faveur d’une configuration dans laquelle le père était en emploi à temps plein et la mère au foyer (Bothfeld, 2008:17). Entre ces préférences et les pratiques sociales s’est néanmoins ouvert un gouffre : en 2013, 60 % des mères (55 % en 1996) – et plus de 80 % des pères – vivant dans un foyer avec au moins un enfant occupaient un emploi. Si le modèle du « Monsieur Gagnepain » a ainsi perdu de sa prégnance sociale, d’autres données suggèrent que la participation des mères au marché du travail reste largement inférieure à celle des pères. En effet, leur taux d’emploi est très sensible à l’âge de l’enfant. En 2013, seules 31,4 % des mères d’enfants de moins de 3 ans travaillaient. De plus, leur taux d’emploi à temps partiel est élevé (et croissant), atteignant 70 % en 2013 (Keller, Haustein, 2013). En l’occurrence, dans les couples hommes-femmes, on est loin d’un équilibrage des aspects temporels et financiers de l’emploi, d’autant plus que le temps partiel féminin est généralement caractérisé par un très faible nombre d’heures (en deçà de 20, voire 15 heures par semaine, souvent dans des « mini-jobs » exemptés de cotisations sociales salariales) et une rémunération horaire basse. Plus qu’une réalité du marché du travail qui s’impose à elles, le temps partiel est choisi par les femmes parce qu’il leur permet de mieux articuler le travail familial avec un emploi (Gerlach et al., 2015). Les normes sociales concernant la maternité ne changent en effet que lentement. L’apport financier du deuxième salaire devient toutefois souvent indispensable aux couples puisque l’ancienne norme d’un seul apporteur (masculin) de revenu, même si elle résiste, se heurte de plus en plus aux nouvelles réalités salariales (Berninger, Dingeldey, 2013) : les contours de la nouvelle norme familiale sont donc encore difficiles à saisir (Klenner, 2013). Enfin, l’augmentation du nombre de familles monoparentales est une autre donne sociale qui bat en brèche la conception traditionnelle de la politique familiale.
Déclin démographique et pénurie de main-d’œuvre – de nouvelles injonctions faites aux femmes sur le marché du travail
Le socle normatif de la politique familiale n’a été remis en question par les pouvoirs publics qu’à la fin des années 1990. Deux préoccupations fondamentales soutiennent ce changement de braquet. La première concerne la participation des femmes au marché du travail. Au début des années 2000, la stratégie de Lisbonne avait formulé comme objectif que le taux d’emploi féminin des États membres atteigne 60 % en 2010. L’amélioration des possibilités de conciliation a été considérée comme une variable clé d’une politique d’activation par la Commission, notamment au travers de la mise à disposition de structures d’accueil de qualité (Commission européenne, 2013). Restant loin du taux d’accueil de 33 % des enfants de moins de 3 ans préconisé par le Conseil européen dans les « Objectifs de Barcelone » de 2002, le gouvernement allemand s’est retrouvé à la traîne de la modernisation européenne à laquelle il avait pourtant contribué 5. Cette préoccupation a non seulement trouvé un écho positif parmi les parents, soumis à un marché du travail en pleine mutation et formulant de nouvelles aspirations en matière d’égalité et de conception de la famille. Les employeurs, eux aussi, ont finalement vu dans l’extension de l’offre d’accueil pour les enfants en âge préscolaire – organisé et financé de préférence par les pouvoirs publics – l’élément clé pour mobiliser la force de travail des femmes qu’ils estiment désormais d’autant plus désirable qu’elle est en moyenne plus qualifiée que celle des hommes (Bundesregierung, 2001). C’est en reprenant à son compte l’objectif d’augmentation du taux d’emploi féminin que la politique familiale est devenue partie prenante de la politique d’emploi.
La deuxième préoccupation concerne la reproduction de la population nationale, de son économie et des systèmes sociaux qui les soutiennent. Depuis le milieu des années 2000, la politique familiale affirme une visée nataliste, ce qui est une première dans l’histoire de la République fédérale. Il ne s’agit plus seulement de donner les moyens aux couples d’avoir des enfants, mais d’accroître significativement le très faible indice de fécondité en améliorant les conditions de conciliation 6. Le souci démographique puise sa force argumentaire dans le lien qu’il crée avec la compétitivité internationale des entreprises, leitmotiv de nombreuses politiques publiques depuis la deuxième moitié des années 1990 : la faiblesse de la natalité pèse sur le coût du travail à travers le financement des systèmes de sécurité sociale et menace la croissance. À plus court terme, il pose un souci aux entreprises tournées vers l’exportation en les privant de la main-d’œuvre qualifiée dont le modèle de production industriel a besoin.
Ainsi s’observe un glissement dans la rationalité qui sous-tend la politique familiale : d’une vision « sociétale » qui cherche à cultiver la famille – dans son acception bourgeoise – comme base de la nation et de l’économie, on passe à une conception plus étroite, qui vise avant tout la reproduction des corps et la libération du « capital humain » féminin. La montée de cette double préoccupation se fait au détriment d’une politique d’égalité hommes-femmes, qui jusqu’à présent motivait l’agenda des politiques de conciliation. Comme le suggère l’écart persistant entre le taux d’emploi en équivalent temps plein des femmes et celui des hommes, la nouvelle orientation ne remet pas fondamentalement en question la division du travail sexuée au sein du couple. Elle tend de plus à restreindre les conditions d’une politique d’égalité à la maternité (Auth et al., 2010).
Une étude commandée par le ministère de la Famille au début des années 2000 (Rürup, Gruescu, 2003) a joué un rôle capital dans cette réorientation des politiques familiales pour répondre au nouvel agenda. Elle a notamment démontré que la faiblesse de l’indice de fécondité est principalement le fait des femmes qui refusent d’avoir un (premier) enfant. Se réclamant de la théorie économique des comportements sociaux, le rapport affirmait que pour convaincre les femmes réticentes à devenir mères, il était insuffisant d’augmenter les allocations (l’allocation familiale, le Kindergeld, par exemple), car celles-ci ne deviendraient incitatives qu’à partir d’un nombre élevé d’enfants. Le cœur du problème allemand de ce « refus » d’enfanter était donc celui des « coûts d’opportunité » de la décision, ceux-ci étant plus élevés que dans d’autres systèmes nationaux pour deux raisons principales : les difficultés de réinsertion sur le marché du travail après une période d’inactivité prolongée ainsi que la faiblesse des infrastructures de garde d’enfants (Rürup, Gruescu, 2003:42). S’appuyant sur des études internationales, le rapport suggérait que la création d’une infrastructure d’accueil serait la plus à même de pallier le manque de disponibilité des femmes, comme mères et travailleuses.
La « conciliation » dans les entreprises : concertation nationale et dispositifs locaux
Afin de s’assurer de la coopération des acteurs sociaux dans sa volonté de réorienter les politiques familiales, les pouvoirs publics ont, dès le début des années 2000, cherché à faire de la conciliation un sujet de concertation nationale et de délibération locale. Sur la base d’un diagnostic commun d’inefficacité de la politique familiale, les organisations patronales ont investi ce champ qu’elles avaient jusqu’alors délaissé, au point de devenir le principal fer de lance de l’agenda de conciliation dans le débat public. En prenant l’initiative en matière de conciliation dans les entreprises, elles ont cherché à éviter l’immixtion de l’État. Cela a donné lieu à la mise en place d’un dispositif à caractère incitatif et autogéré par les employeurs qui s’écarte des politiques publiques traditionnelles, basées sur la négociation ou l’intervention. Il ne semble toutefois pas certain que l’engagement des entreprises dépasse le cercle des grands groupes à main-d’œuvre qualifiée.
Établir un diagnostic commun et inciter les entreprises à concilier
Les premiers pas vers des réformes ambitieuses en matière de politique familiale ont été entrepris lors du deuxième mandat du gouvernement Schröder à partir de 2002. Ils ont été favorisés par la publication en 2001 des résultats de l’étude comparative de l’OCDE sur les performances éducatives, classant l’Allemagne à la 21e place sur 32 (Fagnani, 2009). Soucieuse de ne pas imposer un programme émanant du niveau fédéral dans un contexte d’austérité budgétaire, la ministre social-démocrate de la Famille, Renate Schmidt, misait alors sur le lancement d’initiatives pour encourager les entreprises à adopter des mesures en faveur de la conciliation. « L’alliance pour la famille » (Allianz für die Familie), née en 2003, regroupe des initiatives locales auxquelles participent les collectivités ainsi que des acteurs économiques et sociaux (associations de jeunes, églises, dirigeants d’entreprises). L’objectif a été de créer, à travers ces espaces de concertation qui se multiplieront par la suite au niveau local, des débats en vue de la mise en place de services de proximité, en particulier pour l’accueil des jeunes enfants ou des personnes nécessitant des soins (Fagnani, 2009) 7.
C’est sur ce terrain déjà investi par le gouvernement Schröder que les réformes phares de la grande coalition arrivée au pouvoir en 2006 seront entamées (voir infra). Dès son investiture, la nouvelle ministre de la Famille Ursula von der Leyen 8, bénéficiant du soutien sans faille d’Angela Merkel, mobilisait le « dialogue social » pour poursuivre ses ambitions désormais ouvertement natalistes. L’implication des organisations patronales dans des projets touchant aux questions d’égalité n’était pas gagnée d’avance : pas plus tard qu’en 2001, elles avaient réussi à empêcher l’adoption du projet de loi sur l’égalité hommes-femmes 9. Von der Leyen a pourtant réussi à faire signer aux leaders patronaux et syndicaux un document intitulé
« L’Allemagne a besoin d’un monde du travail qui prend en compte la famille 10 ». Le constat de base du diagnostic tripartite désormais établi a été l’insuffisance voire la contre-productivité des instruments de la politique familiale traditionnelle à l’égard de ces nouvelles priorités.
L’objectif gouvernemental dans ce dialogue social a été double. Il s’agissait premièrement de s’assurer de soutiens pour avancer sur la réforme du congé parental et l’extension des structures d’accueil des jeunes enfants. En signant cette déclaration, les organisations patronales allemandes s’étaient, pour la première fois dans l’histoire fédérale, engagées en faveur du développement des modes de garde des jeunes enfants (Veil, 2010b). Depuis, l’extension des infrastructures publiques d’accueil est devenue leur principale revendication dans la mesure où elle est vue comme la seule mesure susceptible de ne pas provoquer de conflits d’intérêt entre les différents objectifs patronaux en matière de politique familiale : la conciliation de l’emploi avec la vie privée, le développement psycho-cognitif des enfants, la stabilité financière des familles ainsi que la réalisation du désir d’enfanter (BDA, 2013). En même temps, elles n’hésitent plus à critiquer les instruments de la politique familiale jugés contraires à l’objectif de réintégration rapide des mères sur le marché du travail (quotient conjugal, couverture sans frais des épouses par l’assurance maladie, etc.) (BDA, op. cit.). C’est en appelant le législateur à aller plus loin dans ses intentions que les organisations patronales ont pu émerger comme fers de lance de la conciliation dans le débat public.
À travers la concertation tripartite, la ministre cherchait deuxièmement à susciter l’engagement des entreprises en faveur de l’amélioration des conditions permettant de concilier travail et famille. L’enjeu central était, selon le texte, de créer « une culture d’entreprise consciente de la famille », dont les effets dépasseraient l’enjeu du bénéfice économique attendu par l’entreprise, car elle contribuerait « durablement à la prospérité, à la croissance économique et la cohésion sociale ». L’appel de l’État à l’engagement des entreprises leur évite de voir s’imposer des mesures qu’elles estiment contraignantes. Même la voie contractuelle, sur laquelle les signataires syndicaux de la déclaration commune auraient pu insister davantage, est bannie au rang d’instrument parmi d’autres. Rester dans un registre incitatif est la condition même pour que les organisations patronales avancent comme acteurs sur le terrain de la conciliation dans les entreprises. Les organisations représentatives sont censées véhiculer le message d’un consensus désormais établi : une politique de ressources humaines soucieuse de la famille et de l’égalité des chances est porteuse de gains pour les entreprises et les salariés. C’est sur la base de cette hypothèse que les organisations d’employeurs, les chambres de commerce et le Deutsche Gewerkschaftsbund (DGB 11) s’engagent désormais dans des « partenariats stratégiques » avec la puissance publique. Dans cette alliance, cette dernière n’intervient plus comme productrice de normes légales mais plutôt comme fournisseur (parmi d’autres) de services aux entreprises sur la base d’un consensus construit entre les différentes parties prenantes.
Le programme « Erfolgsfaktor Familie » (« La famille : un facteur de succès ») illustre cette nouvelle façon de concevoir l’action publique au sein du ministère de la Famille 12, procédant par la mise à disposition d’un certain nombre de services et d’orientations pratiques concernant la conciliation aux entreprises intéressées. Dans ce cadre, le ministère a créé un portail web dédié à ce programme et propose un soutien financier aux entreprises (indépendant de leur taille) pour créer des structures d’entreprise de garde. Il revient à la Chambre allemande de commerce (Deutsche Industrie- und Handelskammer – DIHK) de mettre à disposition – et de financer – un bureau qui fonctionne comme point de contact pour les entreprises voulant échanger entre elles, obtenir une évaluation extérieure ou s’informer davantage au sujet de la conciliation. Ce bureau propose également un service de soutien aux PME pour élaborer une démarche de conciliation. Répondant au souci des entreprises de ne pas se voir imposer une démarche de conciliation « par le haut », le programme identifie des « bonnes pratiques » dont la diffusion devrait procéder par mimétisme : depuis 2006, plusieurs compétitions d’entreprises ont été organisées, qui récompensent les « histoires à succès » en matière de conciliation ; une base de données permet la recherche de ces « bonnes pratiques » en fonction de critères tels que la taille et le secteur des entreprises. Mettant en scène le caractère expérimental de la nouvelle politique publique, le réseau cherche à renforcer le message public selon lequel la conciliation « marche », à condition qu’elle propose des formes d’organisation de temps de travail « modernes et intelligentes », adaptées aux besoins (individuels) des salarié(e)s. Les entreprises sont censées y gagner en augmentant leur attractivité aux yeux de certaines catégories de salarié(e)s. Dans une situation de quasi-plein emploi, elles craignent les conséquences (désaffection, difficultés de recrutement) d’un marché du travail tourné à l’avantage de ces groupes prisés.
Un engagement conventionnel assez pauvre
Pour démontrer le sérieux de leur engagement, les organisations patronales évoquent régulièrement dans leurs communications le nombre de crèches d’entreprises. Or, les données en la matière sont très disparates : tandis que la Deutscher Industrie-und Handelskammertag (DIHK 13) et le Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung (DIW 14) estiment la part d’entreprises possédant leur propre structure de garde entre 3,4 et 16 %, l’Office fédéral statistique ne compte que 668 jardins d’enfants d’entreprises (<1 %). Comme le montrent Seils et Kaschowitz (2015), les institutions proches des employeurs surestiment systématiquement ce genre de chiffres, dans la mesure où leurs résultats sont extrapolés en ne prenant en compte que des grandes entreprises. Si les chiffres de la statistique publique sont les plus fiables, ils montrent également une certaine dynamique : entre 2006 et 2014, le nombre de crèches d’entreprises a plus que doublé (de 307 à 668).
L’analyse de Klenner et alii(2013) souligne un intérêt assez faible pour le sujet de la conciliation dans la négociation collective d’entreprise et de branche. S’appuyant sur l’enquête représentative parmi les conseils d’entreprises (WSI-Betriebsrätebefragung) de 2011, les auteures montrent que seules 12 % des entreprises de 20 salariés et plus (secteur privé) ont conclu des accords collectifs (Betriebsvereinbarung) portant sur la conciliation. La syndicalisation du conseil d’entreprise (Betriebsrat) n’a d’ailleurs aucun impact statistique sur l’existence d’un accord de conciliation dans l’entreprise. Ce taux contraste avec celui du « moniteur familial d’entreprise » de l’Institut de l’économie allemande (Unternehmensmonitor Familienfreundlichkeit), qui repère des mesures de conciliation (temps de travail flexible, temps partiel…) dans 80 % des entreprises en 2010. Mais sa définition des mesures de conciliation comprend toutes sortes d’offres, y compris celles sans caractère contraignant. L’analyse des 110 conventions de branche les plus importantes conforte l’impression que la conciliation n’est pas un sujet important de la négociation collective. D’après Klenner et alii (2013:18), il y a quelques conventions de branche innovantes en la matière : comptes épargne-temps pour aider les parents, droits à la formation professionnelle (aussi) pour les parents, temps partiel après le congé parental, etc. Mais il s’agit d’une minorité de conventions, et le sujet qui a poussé à leur conclusion est celui de la transition progressive vers la retraite.
Si ces études montrent une appétence assez faible des acteurs d’entreprises pour négocier sur le sujet de la conciliation, l’importance des pratiques informelles reste méconnue. Les raisons du relatif désintérêt à négocier sur le sujet – qui tranche avec la communication officielle des organisations patronales et syndicales – sont également peu connues. Une hypothèse serait que beaucoup d’entreprises ne sont pas convaincues des bienfaits de la conciliation parce qu’elles n’y voient pas d’intérêt économique, surtout quand il s’agit de catégories de salarié(e)s pour lesquelles les employeurs ne craignent pas de pénurie.
Ruptures et continuités : les congés pour les parents de jeunes enfants
Si la politique familiale a misé sur une approche incitative afin d’impliquer les entreprises dans la mise en place de mesures de conciliation, elle a été interventionniste en matière de soutien aux parents de jeunes enfants. Cherchant à promouvoir la norme politique et sociale émergente du couple biactif, elle a créé avec le congé parental un nouvel instrument qui s’adresse au premier chef aux couches sociales les plus réticentes à enfanter, les salarié(e)s à statut supérieur. L’affaiblissement de la norme familiale traditionnelle de « Monsieur Gagnepain » a suscité une réponse politique cherchant à la stabiliser.
Le nouveau congé parental de 2007 et sa réforme en 2015
La réforme du congé parental, entrée en vigueur en janvier 2007, a rompu avec l’esprit de la loi précédente, la Bundes- erziehungsgeldgesetz. L’ancien Erziehungsgeld (« allocation d’éducation ») était fondé sur la norme d’une interruption de carrière de trois ans pour les mères. Il donnait droit à une indemnisation forfaitaire peu élevée (300 euros par mois) pendant 24 mois, période qui avait été continuellement allongée depuis 1979. Les pères n’étaient guère incités à recourir à ce dispositif à cause de pertes de revenus conséquentes. S’appliquant aux enfants nés à partir de janvier 2007, le nouveau congé parental (Elterngeld) poursuit trois objectifs principaux (Greulich, 2008) :
- raccourcir les délais de réintégration au marché du travail des mères pour éviter qu’elles s’en éloignent. Désormais, la période d’interruption d’activité est raccourcie (12 mois). Par ailleurs, l’allocation est cumulable avec une activité à temps partiel de 30 heures par semaine maximum.
- impliquer davantage les pères. Le congé peut être prolongé de deux mois si l’autre parent y participe ;
- protéger le niveau relatif de revenus du foyer. L’allocation forfaitaire a été remplacée par une allocation de substitution correspondant à 67 % du dernier salaire net, avec un plancher fixé à 300 euros et un plafond fixé à 1 800 euros par mois 15. Pour éviter de pénaliser les bas salaires (<1 000 euros par mois), le législateur a augmenté le taux de remplacement de leurs revenus salariaux. Le minimum de 300 euros a été également pleinement accordé aux parents n’occupant pas d’emploi avant la naissance.
En proposant un salaire de remplacement – financé par le niveau fédéral –, le législateur a reconnu que le fait d’avoir un (ou plusieurs) enfant(s) représentait un risque pour l’évolution professionnelle des citoyens dont l’assurance demandait un engagement public (Veil, 2010b). Malgré la popularité de la réforme, celle-ci n’est pas exempte de critiques. Le passage d’une allocation forfaitaire à une allocation de remplacement met en lumière la cible principale de ces mesures : les couples salariés à moyen-haut revenu, et en particulier les femmes avec un diplôme universitaire, identifiées comme extrêmement réticentes à enfanter en Allemagne. Ce groupe a vu considérablement augmenter son apport financier par la politique familiale. En revanche, la durée d’allocation étant passée de 24 à 12 mois (à 300 euros par mois constant), les bénéficiaires de l’allocation chômage – et d’autres ménages à faible revenu salarial 16 – ont vu leurs conditions matérielles se dégrader. Pour les parents sans emploi, la situation s’est encore détériorée depuis 2011, suite à un ensemble de mesures (Sparpaket) censées réduire le déficit public : désormais, l’Elterngeld ne peut plus se cumuler avec l’allocation chômage « longue durée » (Arbeitslosengeld II), l’aide sociale (Sozialhilfe) et l’allocation familiale. Cette mesure a concerné quelque 130 000 familles (et en particulier les familles monoparentales), correspondant à 16 % des bénéficiaires de l’Elterngeld. Si ce caractère punitif correspond à l’esprit du workfare (politique d’emploi dite « d’activation ») animant les politiques d’emploi depuis les réformes Hartz, l’appauvrissement des familles risque d’être contreproductif à l’égard des objectifs poursuivis par ailleurs par les politiques publiques.
Un deuxième reproche à la conception de l’Elterngeld concerne son manque d’ambition à l’égard des rapports hommes-femmes. Le DGB estimait que la possibilité de prolongation du congé en cas d’implication du deuxième parent lassait penser qu’il s’agissait d’un bonus « au lieu d’une réalité socialement voulue » (DGB, 2006) ; lui-même était favorable à l’instauration d’un mois de congé parental du conjoint (père) obligatoire. Les féministes ont reproché à la loi de ne pas prendre en compte les enjeux attachés à l’objectif d’égalité, tels que la répartition des tâches au sein des couples ou la promotion professionnelle des femmes. Veil (2010a:91) par exemple considère qu’une « politique familiale qui repose sur un modèle homogène ne se traduit pas automatiquement par une progression de l’égalité des droits ».
On peut déjà identifier quelques évolutions intéressantes en ce qui concerne les congés parentaux pour les parents des enfants nés entre 2008 et 2012. Comme le montre le tableau 1, le dispositif est extrêmement populaire, surtout parmi les femmes. Leur taux de recours très élevé – avec peu de différences entre Ouest et Est – suggère que la garde des jeunes enfants continue de leur être attribuée en priorité. Néanmoins, on observe un effet de rattrapage des hommes : depuis l’introduction de l’Elterngeld en janvier 2007, la part des hommes bénéficiant du congé n’a cessé d’augmenter. En 2011, sur 663 000 naissances, 181 000 pères ont bénéficié du congé parental (27,3 % ; tableau 1). La différence du taux de recours des hommes selon les régions est par ailleurs significative : la même année, ce taux était de 17,5 % en Sarre, et de 35,6 % en Bavière. Il convient toutefois de se garder d’interprétations trop poussées à l’égard des pères de jeunes enfants. Dans la plupart des cas (77 %), ils ne sollicitent le congé qu’entre un et deux mois : seuls 7 % des pères bénéficient du congé parental de 12 mois. On est encore loin de la Suède – pays dont le congé parental a servi de modèle – où environ 80 % des hommes bénéficient de ce congé (BFSFJ, 2008:43).
En termes absolus, le nombre d’usagers de l’Elterngeld a augmenté de manière continue. Parmi les parents d’enfants nés en 2009, on compte 787 047 bénéficiaires du dispositif (dont 630 906 femmes) ; quatre années de naissance plus tard, le nombre de parents bénéficiaires a augmenté de quelque 90 000 pour atteindre 874 578 (tableau 2). Outre l’effet de (co)usage croissant du congé s’y joue peut-être aussi l’inversion récente de la courbe des naissances : après avoir atteint son niveau le plus bas en 2011 (662 685 naissances), le nombre de naissances est remonté à 714 927 en 2014. Ces évolutions ont par ailleurs contribué au dynamisme des dépenses liées au congé parental : entre 2012 et 2014, les dépenses en matière d’Elterngeld sont passées de 4,8 à 5,37 milliards d’euros. En points de pourcentage, l’augmentation du nombre de bénéficiaires est la plus importante parmi les parents aux salaires les plus élevés (+72 % pour les prestations de plus de 1 800 euros par mois). En revanche, le nombre de bénéficiaires ayant une allocation de moins de 500 euros a reculé sur la période.
Le gouvernement a récemment créé un instrument supplémentaire de congé parental (Elterngeld Plus), qui s’adresse spécifiquement aux parents souhaitant reprendre très vite le travail et corrige certaines lacunes de l’Elterngeld – désormais intitulé « de base » – les concernant. Il s’applique aux enfants nés depuis le 1er juillet 2015 et peut soit remplacer soit se combiner avec ce dernier. En effet, jusqu’à présent, si les parents travaillaient à temps partiel, un mois entier d’allocation parentale était tout de même comptabilisé, si bien que le taux de remplacement, associé à un salaire correspondant à un emploi à mi-temps, était moins élevé que si le parent s’arrêtait complètement de travailler. Avec l’Elterngeld Plus, le taux de remplacement est désormais limité à la moitié de l’allocation parentale (minimum 150 euros, maximum 900 euros), et garanti même sans la reprise d’un emploi à temps partiel. Ainsi, là où l’ancienne allocation parentale couvrait un mois, la nouvelle est versée sur deux mois (Elterngeld Plus-Monat). De plus, l’Elterngeld Plus prévoit un « bonus couple » (Partnerschaftsbonus), valorisant le modèle de conciliation de deux parents travaillant à temps partiel. Il permet la prolongation de la période de congé de quatre mois à condition que chacun des parents travaille en parallèle 25 à 30 heures par semaine pendant quatre mois consécutifs.
La « prime au fourneau » : retour vers le passé ou cause perdue ?
La loi de 2008 sur la Promotion des enfants (Kinderförderungsgesetz, KiföG) projetait la mise en place d’une allocation forfaitaire, dédiée aux familles ne souhaitant ou ne pouvant pas laisser leurs enfants de 1 à 3 ans aux structures d’accueil publiques. Cette « prestation de garde » (Betreuungsgeld), réclamée par les chrétiens-démocrates bavarois qui en ont fait une des revendications principales de leur politique fédérale, avait fait partie d’un compromis trouvé par la ministre von der Leyen pour permettre la création d’un droit statutaire à un mode de garde pour les jeunes enfants (voir infra), réclamé par le SPD et les modernisateurs du CDU. Mais ce n’est qu’en février 2013 que la loi sur le Betreuungsgeld a été adoptée par la coalition entre CDU et FDP. Au nom de la « liberté de choix », les parents renonçant à un mode de garde public (crèche ou nourrice) peuvent désormais solliciter une prime mensuelle de 150 euros (100 euros avant août 2014). La prestation est versée à partir du 15e mois pour une durée maximale de 22 mois. À l’image de l’Elterngeld, le Betreuungsgeld n’est pas cumulable avec l’allocation chômage (Arbeitslosengeld II). En 2015, presque 400 000 familles en ont bénéficié.
Contrairement au congé parental, les opposants au Betreuungsgeld ont été très nombreux. Son ancrage dans une vision de la famille et des femmes jugée dépassée par la plupart des médias et des acteurs sociaux lui a valu la désignation de « prime au fourneau ». Le fait que ce terme ait été repris dans l’espace public permet d’ailleurs de mesurer l’écart qui s’est creusé avec une norme familiale désormais révolue. Exprimant le consensus établi entre les organisations syndicales et patronales depuis une dizaine d’années en matière de politique familiale, les présidents du DGB, Michael Sommer, et de la Bundesvereinigung Deutscher Arbeitgeberverbände (BDA 17), Dieter Hundt, ont, en avril 2012, signé une déclaration commune fustigeant le Betreuungsgeld 18. Celle-ci le qualifie de « régression » et de menace sur « d’importants objectifs des politiques en matière de marché du travail, d’éducation et de famille », et l’estime contraire aux efforts de conciliation vie familiale-vie professionnelle. « Le Betreuungsgeld créerait une nouvelle incitation à quitter la vie professionnelle et aggraverait le problème de la pénurie de la main-d’œuvre qualifiée », estimait le président de la BDA en 2012. Déjà au moment de la discussion de la loi au Bundestag, les organisations représentatives avaient demandé de diriger les moyens prévus pour le Betreuungsgeld (environ 1 milliard d’euros par an) vers la création de structures d’accueil de la petite enfance.
En juillet 2015, le Betreuungsgeld a reçu un coup fatal, au moins dans son mode de financement actuel. Le gouvernement social-démocrate du Land de Hambourg avait contesté la constitutionnalité de l’allocation devant la Cour constitutionnelle fédérale, le Bundesverfassungsgericht. Il estimait que la loi n’entrait pas dans le champ de compétences du gouvernement fédéral et que, de surcroît, elle était susceptible de violer le principe constitutionnel d’égalité de traitement (Gleichbehandlungsgrundsatz) dans la mesure où elle renforçait les rôles hommes-femmes traditionnels et empêchait les femmes de reprendre rapidement leur travail après la naissance d’un enfant. Dans son jugement rendu le 21 juillet 2015, la Cour a validé l’avis selon lequel le niveau fédéral n’avait pas de compétences en la matière. Selon elle, le Betreuungsgeld n’était pas à même de promouvoir l’équilibre des conditions de vie entre les Länder, principe constitutionnel conditionnant l’action fédérale en matière d’assistance publique (öffentliche Fürsorge). Aux yeux des juges, l’allocation ne compensait pas le manque de crèches dans certaines régions et Länder puisqu’elle était accordée indépendamment de leur présence.
À l’heure actuelle, les conséquences de cette décision sont encore discutées au sein du gouvernement. Pour le SPD, partenaire junior de la coalition actuelle et au départ lié à l’accord avec le CDU prévoyant le maintien de l’allocation, la déclaration de non-conformité de Karlsruhe a été l’occasion de réclamer l’utilisation du budget ainsi dégagé pour améliorer les structures d’accueil des jeunes enfants (taille des groupes, qualité des repas, apprentissage des langues, horaires d’ouverture flexibles, etc.). Le ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, s’est également opposé à la proposition du CSU de transférer le budget fédéral correspondant aux Länder. Mais contrairement au SPD, il souhaite faire bénéficier le budget fédéral général des économies du Betreuungsgeld 19. Si futur il y a pour le Betreuungsgeld, il sera régional. Le jour même de l’annonce du jugement de la Cour, le gouvernement bavarois annonçait que le Land prenait en charge son financement.
Une expansion rapide des services de garde d’enfants, mais des doutes sur l’accès et la qualité de l’accueil
Le troisième élément constitutif de la politique de conciliation concerne les modes de garde des enfants d’âge préscolaire. C’est sur ce volet que le gouvernement s’est montré le plus ambitieux en instituant un droit individuel à l’accueil des jeunes enfants. Mais les efforts considérables en matière d’infrastructures ne sauraient cacher des inégalités d’accès, notamment selon le lieu de résidence. Outre le souci de développement des infrastructures, de nouvelles exigences en matière de garde préscolaire ont été introduites par les politiques familiales. Or, les exigences – éducatives, intégratives, sociales – affichées contrastent avec leurs conditions sociales de mise en œuvre, qui reflètent la dévalorisation historique du métier d’éducateur/trice en Allemagne de l’Ouest.
Le nouveau droit à l’accueil des jeunes enfants : des investissements massifs
Depuis 1996, les parents pouvaient faire valoir leur droit à une place de crèche à temps partiel (30 heures) pour leurs enfants de 3 ans et plus. En matière de structures de garde pour les enfants de moins de 3 ans, c’est le deuxième gouvernement Schröder qui a mis le sujet à l’agenda. La loi sur le développement des structures d’accueil (Tagesbetreuungs-ausbaugesetz – TAG), entrée en vigueur le 1er janvier 2005, précisait « l’offre adéquate » que les communes étaient obligées de mettre à disposition en matière de structures d’accueil. 230 000 nouvelles places devaient être créées d’ici 2010, correspondant à un taux d’accueil de 17 %. Le financement des quelque 1,5 milliard d’euros nécessaires pour atteindre cet objectif était pourtant peu précisé. Au lieu de puiser dans le budget fédéral, le gouvernement misait sur le financement par les communes, laissant à leur disposition les économies attendues – mais surévaluées – de la fusion de l’aide sociale et de l’allocation chômage. Les résultats concrets ont été pourtant en-deçà des attentes, ne serait-ce qu’à cause des tensions entre l’État fédéral et les communes autour de l’insuffisance du mode de financement.
L’adoption par la grande coalition de la loi sur la Promotion des enfants en 2008 a considérablement dynamisé le processus entamé. Elle a obligé les institutions publiques en charge de l’accueil de la jeunesse – les communes (Kreise) et les villes (kreisfreie Städte) – à garantir un nouveau droit : l’accueil des enfants de 1 à 3 ans, en vigueur depuis le 1er août 2013. Ainsi, selon les calculs du législateur, un taux d’accueil moyen de 35 % pour les enfants de moins de 3 ans devait être atteint en 2013, correspondant à la fois à l’objectif de Barcelone et aux besoins initialement constatés par une enquête menée par l’Institut allemand de la jeunesse (Deutsches Jugendinstitut – DJI). Ce nouveau droit a constitué une contrainte plus forte pour les communes que la TAG (Dörfler et al., 2014).
Les pouvoirs publics ont estimé le montant du financement des nouvelles structures à quelque 12 milliards d’euros. Entre 2008 et 2013, le fonds fédéral « Extension de garde d’enfants » (Bundessondervermögen Kinderbetreuungsausbau) a mis à la disposition des communes 2,15 milliards d’euros. En amendant la loi sur la répartition des dépenses et recettes publiques entre les différents niveaux de l’État (Finanzausgleichsgesetz), l’État fédéral a par ailleurs déchargé les communes de 1,85 milliard d’euros de financement des dépenses opérationnelles (Betriebskosten) des crèches et garderies par an. Enfin, depuis 2014, l’État fédéral participe durablement à ces dépenses en mettant à disposition chaque année 770 millions d’euros. Suite au déblocage de ces fonds, une importante dynamique de création de structures d’accueil pour les enfants de moins de 3 ans a été enclenchée.
Un rattrapage certes important, mais insuffisant et inégalitaire
Selon les statistiques publiques, au 1er mars 2014, 32,3 % des enfants de moins de 3 ans ont bénéficié d’une place d’accueil (co)financée 20 par les pouvoirs publics (tableau 3). Derrière ce taux moyen, on discerne des variations de nature diverse. La plus structurante est celle entre Länder de l’Ouest (27,4 %) et de l’Est (52,0 %) 21, qui souligne le legs historique de la politique familiale fédérale. Le taux de prise en charge le plus élevé est celui de la Saxe-Anhalt (58,3 %), et en queue de peloton, le Land le plus peuplé d’Allemagne, la Rhénanie-Westphalie (23,8 %). Les statistiques révèlent aussi que les différences entre villes et régions en matière d’accueil ne sont pas aussi prononcées que l’on peut le croire : parmi les communes dont le taux d’accueil est le plus faible (autour de 16 %) se trouvent des villes moyennes-grandes anciennement industrielles comme Wuppertal, Wilhelmshaven et Duisburg. Leur trait commun est de figurer parmi les villes les plus endettées d’Allemagne, n’ayant pas pu faire face à l’explosion des dépenses sociales suite à leur reconversion économique ratée. En revanche, des régions peu peuplées comme le Jerichower Land (Saxe-Anhalt) peuvent atteindre un taux d’accueil supérieur à 60 %. Devant ces inégalités régionales, toutes les classes sociales ne sont pas égales. Tandis qu’un bon niveau d’équipement favorise la mixité sociale, la pénurie conduit à une sélection sociale en faveur des classes sociales supérieures, à travers des critères de sélection plus restrictifs en matière d’emploi ou la distance entre lieu de résidence et crèche (Hüsken, Riedel, 2012:7).
D’importantes différences se font jour aussi en fonction de l’âge des enfants. Alors que seuls 2,8 % des enfants de moins d’1 an (plage d’âge non couverte par la KiföG) bénéficient d’une offre d’accueil, le pourcentage monte ensuite à 34,6 % pour ceux d’1 à 2 ans et 59,7 % pour ceux de 2 à 3 ans (Statistische Ämter des Bundes und der Länder, 2015:12). La mise en perspective historique du taux d’accueil moyen permet d’ailleurs de saisir l’ampleur du changement impulsé par la KiföG : depuis 2008, celui-ci a augmenté de 17 points de pourcentage. Le rattrapage a été le plus important en Allemagne de l’Ouest où le taux d’accueil a plus que doublé, son niveau initial étant très bas.
La dynamique enclenchée n’a pourtant pas suffi à garantir le nouveau droit individuel à l’accueil des jeunes enfants sur tout le territoire. En août 2013, 200 000 places manquaient encore (Dörfleret al., 2014:17). Entretemps, une nouvelle enquête représentative menée par le DJI a réévalué le taux d’accueil permettant de satisfaire la demande des parents à 41,5 % (BFSFJ, 2015:9). Pour y répondre, le gouvernement a récemment injecté 550 millions d’euros supplémentaires au fond fédéral « Extension de garde d’enfants », mis à disposition des communes et des Länder. Les évènements très récents vont encore bouleverser ces calculs. Suite à l’arrivée de réfugiés – l’Office fédéral de migration table actuellement sur 600 000 arrivants en 2015 –, la création de 68 000 places de crèche supplémentaires sera nécessaire, selon les estimations récentes du gouvernement 22. Jugeant que leur prise en charge par des services de garde était indispensable à l’intégration de ces jeunes enfants, le ministère de la Famille a utilisé cet argument pour réclamer les fonds libérés par la décision de Karlsruhe de supprimer le Betreuungsgeld.
Outre la question du nombre des places se pose aussi celle de la durée de la garde des jeunes enfants. La KiföG a certes instauré le droit à une place pour les enfants à partir d’1 an, mais sans préciser la durée hebdomadaire de garde. Selon un rapport du ministère de la Famille (BFSFJ, 2015:15), parmi les enfants de moins de 3 ans accueillis dans une structure de garde publique, 52,2 % occupaient une place à temps plein (>35 heures par semaine) en mars 2014, 28,1 % une place entre 25 et 35 heures et 19,7 % une place à moins de 25 heures. Les différences régionales restent significatives : tandis qu’en 2014 41,1 % des enfants pris en charge dans les structures publiques occupaient une place à temps plein dans l’Ouest, ils étaient 76 % dans l’Est à être pris en charge pour la même durée hebdomadaire. Or, dans les deux aires géographiques, les besoins réels des parents sont inférieurs aux heures effectivement réservées pour leurs enfants. Cela est particulièrement frappant en Allemagne de l’Ouest où 41,5 % des parents indiquent un besoin de moins de 25 heures par semaine (contre 25,9 % ayant réservé cette plage horaire de garde). Cette tendance à la surréservation peut avoir plusieurs raisons. L’une d’entre elles est peut-être que les parents cherchent à faire face à la flexibilisation du temps de travail, même s’ils préféreraient passer plus de temps avec leurs enfants. Les plages horaires d’ouverture sont somme toute assez restreintes, handicapant notamment les parents terminant tard leur travail : si 20,9 % des crèches ouvrent avant 7 heures (65,4 % entre 7 heures et 7 heures 30), seules 1,4 % d’entre elles ferment après 18 heures (62,5 % entre 16 heures 30 et 18 heures) (BFSFJ, 2015:29).
Une montée des exigences pédagogiques en décalage avec les conditions d’emploi du personnel
Aux préoccupations d’ordre quantitatif se sont ajoutées de nouvelles exigences qualitatives (pédagogiques) en matière de structures de garde. En effet, outre les missions traditionnelles de garde et d’éducation des jeunes enfants, les crèches doivent depuis quelques années satisfaire de nouvelles exigences pré-scolaires et d’intégration sociale (Ebert, 2012). Elles sont étroitement liées à la remise en question des politiques éducatives et des modalités de prise en charge de la petite enfance suite à la publication de la première étude PISA. Dans son rapport, l’OCDE avait insisté sur l’importance d’une politique d’accueil de qualité et sur les bénéfices d’une socialisation des enfants dès leur plus jeune âge (Fagnani, 2009). En particulier, les résultats très préoccupants du groupe des élèves les plus faibles (issus des classes populaires et en particulier de parents immigrés) avaient conduit à un consensus – non seulement au sein du gouvernement mais aussi parmi les « partenaires sociaux » – sur la nécessité de prendre en charge cette population dite « peu éduquée » (bildungsfern) et pouvant présenter des lacunes de développement de langage dès son plus jeune âge.
La qualité de l’accueil est une demande exprimée avec force par les classes moyennes allemandes aussi, attentives aux logiques de compétition scolaire. Les pouvoirs publics ont cherché à ne pas perdre de vue cette dimension lors de l’extension de l’offre suscitée par la KiföG. Le ratio éducateurs/trices-enfants est resté assez stable, atteignant 1 éducateur/trice pour 4,1 enfants en Allemagne de l’Ouest en 2014. Par contre, en Allemagne de l’Est, ce ratio reste plus élevé (1 éducateur/trice pour 5,8 enfants), relativisant ainsi quelque peu l’offre de places plus conséquente dans les nouveaux Länder (BFSFJ, 2015:28). Afin de satisfaire les exigences qualitatives, l’augmentation du personnel a été significative. En 2014, 522 543 salarié(e)s, en grande majorité des femmes (95 %), ont été embauché(e)s dans les structures de garde publiques (contre 379 146 en 2008). 41 % d’entre elles travaillent à temps partiel. À cela s’ajoutent quelque 8 000 personnes assurant la garde à domicile (BFSFJ, 2015:36). Aussi, le niveau de formation professionnelle (par le diplôme initial ou la formation continue) a augmenté suite à l’introduction des curricula préscolaires. Désormais, 71 % des salarié(e)s ont un diplôme de qualification moyenne (Fachabschluss, formation allant jusqu’à cinq ans). En revanche, la part des salarié(e)s avec un diplôme universitaire reste faible (5 %) (BFSFJ, 2015, op. cit.) et la formation continue doit encore se développer (Ebert, 2012).
Parmi les salarié(e)s du secteur, l’insatisfaction quant aux conditions d’emploi et de travail est grande. Elle se nourrit du décalage entre, d’une part, les attentes publiques croissantes à l’égard du travail des éducateur/trices et, d’autre part, les conditions matérielles et organisationnelles permettant de les satisfaire. La pénurie de personnel en est un aspect important. Actuellement, il y a un manque de personnel dans un quart des crèches, selon le ministère (BFSFJ, 2015:39), renvoyant aussi bien aux difficultés actuelles de recrutement qu’à la situation budgétaire précaire de beaucoup de communes allemandes (Kahmann, 2014). Le manque de personnel est probablement encore sous-évalué dans la mesure où les employeurs utilisent des techniques diverses afin de contourner les règles minimales de dotation en personnel. À cela s’ajoute une certaine pression à la précarisation de l’emploi (augmentation du nombre de CDD, sollicitation des bénéficiaires de l’allocation chômage sans contrat de travail (1-Euro-Jobber), etc.) (Kerber-Clasen, 2014:246). Surtout, les conditions salariales n’ont pas évolué depuis très longtemps : selon le micro-recensement, un(e) éducateur/trice gagne 1 365 euros net en moyenne 23. Contraint(e)s de travailler à temps partiel, beaucoup d’éducateur/trices sont obligé(e)s de solliciter l’aide sociale ou d’occuper un deuxième emploi pour arrondir leurs fins de mois. La dévalorisation du travail d’éducateur/trice a des racines historiques : en Allemagne de l’Ouest, bien que les éducateurs/trices aient un parcours de formation développé, leur métier, pendant très longtemps, n’était pas considéré comme tel, mais comme relevant de compétences féminines naturelles (Ebert, 2012).
C’est dans ce contexte que l’Allemagne a connu en 2015 des grèves dans les crèches de la plupart des grandes villes, le deuxième mouvement d’importance nationale de ce type depuis 2009. Au mois de mai, quelque 150 000 salarié(e)s des crèches publiques se sont mis(es) en grève 24. Ils revendiquaient une augmentation salariale moyenne de 10 %, au travers d’une redéfinition des classifications dans la convention collective du secteur public. Les négociations ont duré jusqu’à fin septembre, notamment parce que les adhérents du syndicat des services publics et privés, ver.di, avaient rejeté un compromis initial conclu par leur leadership et les employeurs publics. La nouvelle convention collective prévoit une augmentation mensuelle entre 93 et 138 euros (temps plein) ainsi qu’une revalorisation des débutants dans la grille de la convention 25. L’accueil plutôt positif que les salarié(e)s en grève ont reçu de la part des parents a permis de mesurer l’importance que ces derniers accordent au développement d’une offre de garde de qualité.
Conclusion
Nous l’avons vu, la conciliation vie familiale-vie professionnelle est un sujet d’importance depuis une décennie. La grande coalition du premier gouvernement Merkel avait posé la base légale et institutionnelle d’une politique de conciliation avec la création du nouveau congé parental en 2007 et du droit à un mode de garde pour les enfants de moins de 3 ans en 2008. Après cet élan initial, le sujet est resté présent à l’agenda politique, comme le montrent les réformes (Elterngeld Plus), les contre-réformes (Betreuungsgeld), les discussions autour du budget fédéral ou les mobilisations des professionnel(le)s du secteur. La conciliation suscite un fort intérêt – les taux d’utilisation des dispositifs en témoignent – de la part des parents-électeurs (et des employeurs), car elle répond aux multiples changements aussi bien dans le monde du travail (flexibilisation du temps de travail, baisse du salaire de l’ouvrier qualifié, exigences de mobilité et disponibilité, expansion des contrats de travail atypiques…) que dans la conduite des vies privées (multiplication des formes de ménage et de famille) et les arrangements entre hommes et femmes (Schier et al., 2013). Si le sujet n’est pas suffisamment mobilisateur pour faire gagner des élections, refuser une certaine modernité programmatique sur ce terrain représente désormais un handicap électoral qu’aucun parti politique – à l’exception des ultraconservateurs bavarois du CSU qui ont fait du Betreuungsgeld une question d’identité politique fédérale – n’oserait plus assumer.
Mais peut-être la conciliation a-t-elle pu devenir un sujet avant tout parce que l’État et les employeurs s’en sont emparés. De leur point de vue, elle n’est pas qu’une « solution » à des situations concrètes à l’interface entre employeurs et parents salariés. Ils y voient désormais aussi un intérêt « systémique » à travers les effets que la conciliation est censée avoir sur le taux d’emploi des femmes et leur comportement reproductif. À un moment historique nouveau, l’évolution démographique du pays pose pour la première fois la question de la reproduction des forces qui le constituent. Ces demandes sont relayées avec force par les entreprises, qui craignent l’épuisement du cycle de la reproduction de la force du travail nationale et ses conséquences néfastes en termes de compétitivité internationale. En résultent des inflexions plus ou moins subtiles dans les conceptions et finalités de la conciliation même, qui l’écartent des intentions de la politique d’égalité hommes-femmes (Gleichstellungspolitik) et tendent à effacer son potentiel critique (Dölling, 2013).
Constatant l’insuffisance de l’ancien paradigme de la politique familiale à l’égard de ces besoins, le ministère de la Famille s’est engouffré dans cette brèche en proposant une refonte de la politique de conciliation jusque-là embryonnaire. Il s’agissait de montrer à travers l’exemple international que l’emploi des mères et la natalité n’étaient pas inconciliables, mais que l’un pouvait favoriser l’autre – à condition qu’une « bonne » politique de conciliation existe. C’est en assumant ce double rôle nataliste et activant que la politique familiale a pu se hisser de la marge au centre des enjeux politiques allemands contemporains. À travers la conciliation, elle s’invite désormais aux discussions de sujets gouvernementaux aussi variés que l’éducation (amélioration de la performance du système d’éducation scolaire et professionnelle), l’immigration (l’acquisition de l’allemand et l’acculturation des jeunes avec des parents immigrés), la sécurité sociale (financement) ou l’égalité hommes-femmes (activation des femmes). L’élargissement des types d’interventions (éducatives, intégratrices et infrastructurelles), au-delà des transferts monétaires, correspond à cette « montée en gamme » de la politique familiale.
Consciente de l’ardeur de l’opposition possible, notamment patronale, la politique familiale a aussi dû innover sur le plan de la méthode : c’est en suscitant systématiquement le dialogue tripartite avec les organisations représentatives sur un terrain inhabituel pour elles qu’elle s’est assurée du soutien de ses projets législatifs phares. Prenant en compte le souci des entreprises de ne pas voir l’État s’immiscer dans leurs pratiques, le gouvernement s’est abstenu de légiférer en la matière. Il a préféré la voie de la dévolution des responsabilités aux entreprises, tendance par ailleurs aussi observable dans différents domaines de la politique sociale, en cherchant à stimuler des initiatives locales et en misant sur l’autogestion par les associations patronales et les entreprises. Mais des incertitudes persistent quant à l’intensité de l’engagement au-delà des grandes entreprises vertueuses mises en avant. Tant que les entreprises hésitent à s’engager dans la voie conventionnelle, on peut supposer que dans beaucoup de cas, la prise en compte d’une demande de conciliation des salarié(e)s dépend de la bonne volonté, voire du rapport de force individuel avec l’employeur. Ces inégalités sont dédoublées au plan territorial à travers une offre d’accueil public assez hétérogène. Le lieu de résidence et la capacité à financer une offre alternative marchande continuent ainsi d’impacter l’accès à un mode de garde.
Si l’offre de conciliation de la politique familiale est assez loin de satisfaire les aspirations égalitaires, il serait toutefois erroné de sous-estimer les rapports de concordance qu’elle peut entretenir avec les normes sociales de genre. Le recours massif des mères au temps partiel (très) court, les préférences parentales en matière de durée de garde ou l’implication – faible – des hommes dans le congé parental indiquent certes des évolutions significatives dans les mentalités, mais pas de bouleversements. L’activité professionnelle des jeunes mères est désormais largement acceptée voire exigée. Mais la nouvelle norme de la « mère au travail » risque de les confiner dans le rôle d’apporteur de revenu supplémentaire, voire dans la pauvreté laborieuse en cas de mono-parentalité. Les politiques publiques ont favorisé ces évolutions, ne serait-ce qu’en favorisant l’émergence d’un secteur à bas salaires très important. Plutôt que de mettre en question la division du travail du care au sein des couples-parents, la nouvelle normalité tend ainsi à conforter la position de l’emploi masculin. L’ampleur de la transformation de la politique familiale se mesure aussi à cet égard.
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Veil M. (2010b), « Allemagne : le rôle accru des entreprises dans la nouvelle politique familiale », Chronique internationale de l’IRES, n° 122, janvier, p. 25-36.
* Chercheur à l’IRES.
1. Un autre sujet de conciliation ayant récemment sollicité l’activité législative du ministère de la Famille est celui du care. Il est écarté ici.
2. Le terme de « conciliation vie familiale-vie professionnelle », utilisé sans guillemets dans ce texte, est problématique. Historiquement, il renvoie au processus de séparation entre ces deux sphères et la hiérarchisation des tâches et des personnes au moment de la naissance du capitalisme industriel. Dans ce modèle encore très prégnant aujourd’hui, le terme de conciliation n’a de sens que comme tentative individuelle de « faire avec » les tensions et ambivalences résultant de cette hiérarchisation/séparation ou comme politique publique « réparatrice » (Jürgens, 2013).
3. En effet, la RDA avait très tôt adopté un modèle prônant la mère au travail, généralement plus en phase avec les aspirations des femmes, et garanti par une politique sociale et familiale conséquente (Veil, 2010a). Néanmoins, cette politique restait conservatrice dans le sens où elle ne remettait pas en question la division du travail sexuée, l’État et son personnel (féminin) prenant désormais à leur compte en partie le rôle de la mère. La question du pouvoir n’était pas posée tant qu’il s’agissait de rattraper le retard pris sur les conditions de vie et de travail des hommes.
4. Les dépenses en direction des couples mariés et les familles représentent chaque année environ 200 milliards d’euros. Cette somme, qui correspond à 3,07 % du PIB, place l’Allemagne au-dessus de la moyenne de l’OCDE (2,61 %) (BDA, 2013), mais derrière la plupart de ses voisins tels que la France, le Royaume-Uni ou la Suède.
5. Le taux d’accueil des enfants de moins de 3 ans a été longtemps parmi les plus faibles de l’UE (Seils, 2013).
6. Après une expansion forte au tournant du XXe siècle, la démographie allemande est marquée par la chute de l’indice synthétique de fécondité de 2,5 en 1966 à 1,4 enfant par femme en 1978. Jusqu’au début des années 2000, le solde naturel négatif est compensé par les mouvements migratoires (Dufour, 2014). Du fait de la prégnance des arguments démographiques, les considérations sur la politique d’immigration ne sont d’ailleurs jamais loin dans le discours public, au point de poser la (fausse) question de savoir s’il est plus coûteux d’investir dans l’une ou l’autre (Rürup, Gruescu, 2003). Ainsi, depuis 2005 l’Allemagne a ouvert son marché du travail à la main-d’œuvre qualifiée issue des pays tiers en facilitant l’accès à l’emploi pour les étudiants et en créant un nouveau visa pour les demandeurs d’emploi migrants (OECD, 2013).
7. Ce caractère décentralisé de la politique familiale n’est pas nouveau en soi. À la différence de la France, l’Allemagne a depuis longtemps fait appel à un large spectre d’acteurs dans la politique familiale : collectifs de parents, églises, associations caritatives, communes, entreprises, conseils d’entreprises auxquels s’ajoutent des prestataires privés, investis dans les structures d’accueil. Son mode de financement correspond à cela : les politiques éducatives étant la prérogative des Länder et – à travers eux – des communes, l’État fédéral n’avait – jusqu’à récemment – qu’une place très limitée dans la mise à disposition de structures d’accueil (Letablier, Veil, 2011).
8. Fille de l’ancien ministre-président conservateur de la Basse-Saxe Ernst Albrecht et mère de sept enfants, l’actuelle ministre de la Défense incarne elle-même le role model de la nouvelle politique familiale chrétienne-démocrate : une femme au parcours professionnel riche (études d’économie à Stanford, doctorat en médecine), ne sacrifiant pas ses désirs d’enfants à la poursuite de sa carrière… Son successeur, Kristina Schröder (CDU), représente en quelque sorte l’opposé de von der Leyen : selon les médias, elle a quitté son poste de ministre pour passer plus de temps avec sa fille de 2 ans (Focus online, 21 avril 2013).
9. Voir à ce sujet l’entretien avec la ministre de la Famille de l’époque, Christine Bergmann, dans Die Mitbestimmung, n° 10/2010 (http://www.boeckler.de/20888_20892.htm).
10. http://www.bmfsfj.de/RedaktionBMFSFJ/Abteilung2/Pdf-Anlagen/gemeinsame-erkl_C3_A4rung-spitzengespr_C3_A4ch,property=pdf,bereich=,sprache=de,rwb=true.pdf.
11. Confédération allemande des syndicats.
12. http://www.erfolgsfaktor-familie.de/default.asp?id=70. En dehors de ce réseau constitué exclusivement d’entreprises, les employeurs sont susceptibles de s’engager localement dans des projets engagés dans le cadre des « Alliances locales pour la famille » (Lokale Bündnisse für Familie) (voir supra). Au sein des 650 alliances locales, le ministère de la Famille estime qu’il y a quelque 7 000 entreprises.
13. Association des chambres de commerce et d’industrie.
14. Institut allemand pour la recherche économique.
15. Si le parent travaille à temps partiel, le taux de remplacement est appliqué à la différence entre le revenu moyen avant la naissance et celui provenant du temps partiel.
16. Dans les entretiens menés avec les salarié(e)s de trois secteurs à bas salaires (santé, alimentation, grande distribution), Fehre et Purnhagen (2014) constatent que ceux-ci n’éprouvent pas tellement un sentiment de discrimination à l’égard des formes d’organisation de temps de travail mises à disposition par l’employeur. Selon les auteures, ces salarié(e)s souffrent davantage des conditions de travail et surtout de l’intensification de son rythme. « L’augmentation du stress (au travail) et la pression subjective qui s’ensuit impactent d’une façon considérable la vie privée des salariés et, par la même occasion, la conciliation entre travail et famille » (Fehre, Purnhagen, 2014:31). En effet, en focalisant sur la question du temps de travail et des offres d’accueil, la discussion sur la conciliation risque de perdre de vue un « obstacle » majeur à la conciliation : les transformations qui se produisent dans le monde du travail (nouvelles formes d’organisation du travail, précarisation de l’emploi, flexibilisation du temps de travail en fonction des besoins des entreprises) (voir aussi Jürgens, 2013).
17. Fédération des associations d’employeurs allemands.
18. http://www.dgb.de/presse/++co++e905f4e0-879e-11e1-5e3e-00188b4dc422.
19. Handelsblatt, 2. September 2015.
20. Selon Dörfler et alii (2014:16), environ 80 % des dépenses globales en matière d’accueil d’enfants en 2006 ont été couvertes par les pouvoirs publics, 14 % par les parents et 5 % par les institutions d’accueil non publiques (freie Träger) elles-mêmes (églises, entreprises, associations caritatives). La contribution financière parentale varie d’une manière très significative entre régions.
21. Y compris Berlin.
22. Der Spiegel online, 23. September 2015.