Considérée comme une référence en matière d’articulation vie familiale-vie professionnelle, la politique familiale, en faveur des parents et des enfants, est très profondément installée et très consensuelle. La Suède n’a pas engagé de réforme profonde de sa politique en faveur des parents et n’a pas réduit les prestations ou les services. Les deux dispositifs mis en place en 2008, qui consistent en une allocation de garde d’enfants et une incitation à destination des parents pour qu’ils partagent le congé parental ont eu un impact très modéré : ils seront supprimés en 2016 par le gouvernement issu des élections de septembre 2014.
La Suède est souvent prise comme référence en ce qui concerne l’articulation vie familiale-vie professionnelle. Un large consensus s’est construit dans les années 1970 afin d’augmenter le taux d’activité des femmes et de favoriser l’égalité hommes-femmes. Deux autres objectifs y sont étroitement liés : le respect du droit des enfants et le souci de réduire les inégalités dès les premières années. Si quelques divergences peuvent subsister entre les partis politiques, elles sont négligeables. Tous s’accordent sur le congé parental, le principe d’un soutien financier aux familles de la part de l’État, ainsi que la nécessité d’offrir des structures d’accueil de qualité aux enfants dont les parents sont actifs. Le débat sur cette politique existe, mais il s’agit la plupart du temps de modifications mineures et d’améliorations à apporter au système en place.
L’articulation vie familiale-vie professionnelle s’appuie depuis le début des années 1970 sur plusieurs instruments : des congés parentaux largement développés ; un système cohérent de services d’accueil préscolaire et extrascolaire de très bonne qualité ; une législation du travail et des accords collectifs qui prennent en compte les responsabilités familiales ; une fiscalité individualisée, pour ne pas porter préjudice aux femmes (Arve-Parès, 1996). Ces dispositifs ont été modifiés à plusieurs reprises, presque toujours dans le sens d’une meilleure articulation vie familiale-vie professionnelle et d’une adaptation aux évolutions de la société. Ainsi, durant les deux périodes où une coalition de droite a gouverné le pays, aucune transformation notable de la politique familiale n’a été réalisée. Même durant la crise économique des années 1990, aucune réduction de la durée du congé parental n’a été envisagée. Toutefois, certaines des mesures prises par les gouvernements de coalition de centre-droit entre 2006 et 2014 ont un peu modifié l’orientation de la politique à l’égard des familles. Le retour au pouvoir des sociaux-démocrates à partir de septembre 2014, dans un gouvernement de coalition minoritaire, a marqué le retour au modèle suédois.
Une politique ancienne, des évolutions mineures et transitoires entre 2008 et 2015
Les dispositifs actuels d’articulation vie familiale-vie professionnelle s’inscrivent dans le cadre d’une politique globale qui poursuit plusieurs objectifs : soutenir l’investissement des parents dans la vie familiale, assurer le bien-être des enfants et leur développement, prévenir les risques de pauvreté et d’exclusion sociale, favoriser l’égalité professionnelle hommes-femmes et l’emploi des femmes (Orloff, 2006 ; Arve-Parès, 1996). Cette politique est donc plus large et plus transversale que ce que recouvre l’expression « politique familiale ». Ainsi, le congé parental, dispositif phare, est autant un dispositif en faveur de l’articulation vie familiale-vie professionnelle qu’un dispositif en faveur de l’intérêt de l’enfant. En outre, les droits sociaux comme la fiscalité sont définis sur une base individuelle et non pas liés aux familles.
Des congés parentaux largement développés
Créé en 1974, le congé parental n’a quasiment connu depuis que des extensions successives et des modifications visant à l’adapter aux évolutions de la société. Il est composé de deux prestations distinctes : le congé parental (föräldraledighet) d’un côté, et l’allocation parentale (föräldraförsäkring 1) de l’autre.
Le congé parental fonctionne comme un budget-temps mis à la disposition des parents pour qu’ils puissent l’utiliser de façon souple. Les deux parents ont droit ensemble à 480 jours, soit 16 mois de congés payés par enfant né ou adopté. Chaque parent a un droit personnel à 60 jours de congé payé qui ne peuvent être transférés à l’autre parent 2. Les 12 mois restants peuvent être partagés librement entre les parents 3. Relativement souples d’utilisation, ces congés permettent d’être à plein temps auprès de son enfant ou de réduire ses heures de travail pendant ses 18 premiers mois, de façon continue ou discontinue, sous forme de journées entières ou de fractions de journée (moitiés, quarts ou huitièmes). Chacun des deux parents peut travailler à mi-temps. Les droits à congé doivent être intégralement utilisés avant le 12e anniversaire de l’enfant.
Tous les parents ont droit à une allocation parentale, qu’ils soient salariés ou non. Les 13 premiers mois du congé parental sont compensés à hauteur de 77,6 % du revenu 4 le plus récent du parent en congé, avec un plafond fixé en 2014 à 445 000 couronnes suédoises par an (soit un peu plus de 48 200 euros). Les trois mois restants sont compensés forfaitairement à hauteur de 180 couronnes suédoises par jour (un peu plus de 19 euros). Cette compensation peut être perçue en totalité, aux trois quarts, à hauteur de la moitié, d’un quart ou d’un huitième, en fonction du temps de travail conservé par le parent. Au-delà des 18 mois de leur enfant, les parents doivent utiliser des jours d’allocation parentale. Ils ont toutefois droit à réduire leurs heures de travail au maximum de 25 % jusqu’à ce que l’enfant atteigne 8 ans ou finisse sa première année scolaire. Des compléments à l’allocation parentale ont été négociés dans le secteur public et sont monnaie courante dans le secteur privé, là aussi dans le cadre d’accords collectifs. L’employeur verse fréquemment 10 % du salaire au-delà du plafond. Le caractère anti-redistributif de l’allocation parentale s’explique par la volonté d’inciter les pères, qui ont souvent un salaire supérieur à celui des mères, à prendre un congé parental.
Depuis 2012, les parents peuvent prendre des jours de congés au même moment, dans la limite de 30 jours au cours de l’année suivant la naissance de l’enfant. Suite à une étude de l’Inspection de la Sécurité sociale (Inspektionen för Socialförsäkringen) publiée en septembre 2013, le gouvernement a présenté un projet de loi visant à donner plus de souplesse dans l’utilisation du congé parental. Pour les enfants nés à partir de janvier 2014, les droits à congé dont les parents pouvaient bénéficier jusqu’aux 4 ans de l’enfant peuvent désormais être utilisés après le 4e anniversaire de l’enfant, dans la limite de 96 jours. L’âge limite pour toucher une allocation parentale est relevé de 8 à 12 ans.
Il n’existe pas de congé maternité spécifique. Un congé maternité a été instauré en 1955 avec une durée de trois mois, portée à six mois en 1962. Il a été intégré au congé parental lorsque celui-ci a été créé en 1974. Les femmes doivent obligatoirement prendre deux semaines de congé avant ou après la naissance. Elles peuvent recevoir ou non l’allocation parentale pendant cette période. Les femmes qui exercent des travaux pénibles ou dangereux peuvent bénéficier d’un congé maternité (graviditets-spenning) de 50 jours pendant les deux derniers mois de leur grossesse, et percevoir 77,6 % de leur revenu.
Enfin, il existe un congé temporaire et une allocation parentale associée soit en cas de naissance ou d’adoption, soit en cas d’enfant malade 5. Le congé maladie pour prendre soin d’un enfant a été créé en 1974. Il donne aux parents le droit à dix jours de congé payé par an jusqu’au 10e anniversaire de l’enfant. Il est renommé congé parental pour soin temporaire aux enfants en 1977. La durée passe alors à 12 jours pour les familles avec un enfant, 15 pour celles avec deux enfants et 18 pour celles qui ont trois enfants ou plus. Elle est ensuite relevée à 60 jours par enfant en 1980 et la limite d’âge de l’enfant est portée à 12 ans en 1980. Les modifications suivantes portent toutes sur le nombre de jours de congé annuel par enfant : 90 jours par enfant en 1988, 120 jours en 1990. Le congé temporaire en cas de naissance est de dix jours. Il doit être pris par le père ou par une personne proche dans les 60 jours qui suivent la naissance, et nécessairement pendant le congé de la mère. Les allocations versées sont les mêmes que pour le congé parental.
Deux nouveaux dispositifs entre 2008 et 2015, révélateurs d’un compromis nécessaire
La crise économique de 2008 ne s’est pas traduite par une baisse des prestations en espèces, contrairement à ce qui s’était produit lors de la crise économique du début des années 1990 6. La situation très favorable des budgets publics et la reprise de l’activité économique expliquent largement le maintien des droits et des services (Jolivet, 2014). Les modifications tiennent à l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de centre-droit après les élections de septembre 2006. Figure en effet au programme de l’Alliance 7 la mise en place d’une allocation pour garde d’enfants. Les partis de la coalition ne sont toutefois pas unanimes sur ce sujet 8. Finalement, deux dispositifs sont mis en place à compter du 1er juillet 2008 : d’une part, une allocation de garde d’enfants ; d’autre part un « bonus égalité ». Ils traduisent un compromis au sein du gouvernement de coalition car c’est en contrepartie de la création du bonus égalité que l’allocation de garde d’enfants est acceptable. Les deux mesures sont d’ailleurs présentées ensemble au Parlement.
Le « jämställdhetbonusen » ou « bonus égalité » incite les parents à partager le congé parental le plus également possible, afin d’inciter les pères à prendre une plus grande part du congé parental. À partir du 1er juillet 2008, les parents qui prennent le même nombre de jours indemnisés bénéficient d’une réduction d’impôt de 100 couronnes suédoises (un peu moins de 11 euros) par jour au maximum, soit environ 3 000 couronnes par mois (environ 320 euros). La prime est d’autant plus élevée que les jours qui peuvent être partagés entre le père et la mère sont également répartis.
L’allocation pour « élever un enfant » (vårdnadsbidrag) relève d’une autre argumentation : laisser le « libre choix » aux parents d’élever eux-mêmes leurs enfants. Cette allocation de garde d’enfants, d’un montant forfaitaire assez faible (au plus 3 000 couronnes, soit 324 euros), permet aux parents qui le souhaitent de prolonger leur congé parental et ainsi de garder eux-mêmes leur enfant jusqu’à ses 3 ans. Une allocation similaire 9 avait été mise en place en 1994 pendant quelques mois 10. À partir de 2009, les communes peuvent choisir de mettre en place cette allocation pour les parents d’enfants de 1 à 3 ans qui n’utilisent pas les centres publics et dont les droits à congé parental sont épuisés. Dès la fin de 2009, un tiers des municipalités l’a mise en place. Cette allocation ne peut être cumulée avec une allocation chômage ou un autre revenu de transfert, mais elle peut être combinée à un emploi rémunéré. Elle est plafonnée à 3 000 couronnes par mois. Les parents qui ont reçu cette allocation ont été relativement peu nombreux : 7 100 personnes en 2013, à 90 % des femmes.
Toute allocation assimilable à un « salaire parental » est vivement critiquée. Depuis la fin des années 1960 et le début des années 1970, la plupart des partis privilégie une approche « dual earners – dual carers », à savoir : deux apporteurs de revenus – deux personnes assumant les soins aux enfants. La forte présence de femmes dans les partis, y compris dans leurs instances dirigeantes, a largement contribué à cette évolution. L’articulation vie familiale-vie professionnelle n’est pas seulement une question de femmes mais aussi une question d’hommes. Et la volonté de promouvoir l’égalité hommes-femmes nécessite de limiter le risque d’une « trappe pour les femmes ». Le refus du cash-for-care, c’est-à-dire le versement d’une prestation financière pour rémunérer des services de garde produits au sein de la famille, s’explique par les effets discriminants à l’égard des femmes, par la distance à l’emploi qu’elle favorise. De plus, la Suède a fait le choix depuis longtemps d’une aide non financière sous forme de services collectifs. La rémunération des parents pour ce qui devrait être un service gratuit est perçue à la fois comme une « re-familialisation » et une marchandisation 11. Le gouvernement social-démocrate minoritaire issu des dernières élections législatives a annoncé la suppression de cette allocation à compter de février 2016. Le bonus égalité sera lui aussi supprimé (voir infra).
Des services d’accueil préscolaires universels largement utilisés
La possibilité pour tous les parents d’avoir accès à un service de garde d’enfants de très bonne qualité est le second pilier de la politique familiale suédoise.
Jusqu’à l’âge d’1 an, les enfants sont généralement gardés par un parent grâce au dispositif de congé parental. C’est donc à partir de cet âge que les services de garde d’enfants prennent le relais. Avant l’entrée à l’école, qui s’effectue à l’âge de 7 ans, les enfants fréquentent des centres d’accueil préscolaires (förskolan ou daghem) entre 1 et 5 ans. Les services de garderie sont accessibles aux parents qui travaillent sur la base de la journée entière. La plupart des garderies ouvrent de 6 heures 30 à 19 heures 30. Une place en accueil préscolaire de jour est garantie lorsque l’enfant atteint 12 mois. Cela signifie qu’il n’y a pas de rupture entre la fin du congé parental et le début d’un autre mode de garde. Il est important de mentionner qu’il existe des services préscolaires car l’école obligatoire ne commence qu’à 7 ans. Une classe préparatoire (förskoleklass), gratuite, a été mise en place en 1998 pour les enfants de 6 ans, pour favoriser la transition entre les services d’accueil préscolaire et l’école primaire.
Depuis 1995, les municipalités sont légalement tenues d’offrir une place en service d’accueil à partir d’1 an à tous les enfants dont les parents travaillent ou étudient. Elles sont également tenues d’offrir au moins 15 heures de garde par semaine aux enfants dont l’un ou les deux parents sont au chômage ou en congé parental avec un autre enfant, ainsi qu’aux enfants de milieux défavorisés et aux enfants souffrant d’un handicap physique, mental, psychique ou social même si les parents ne travaillent ou n’étudient pas. La loi de 1995 dispose également que les municipalités doivent proposer une place sans délai indu, c’est-à-dire dans un délai maximal de trois à quatre mois, afin de réduire les longues listes d’attente. En 2005, 98 % des municipalités respectaient ce délai maximal selon l’Agence nationale pour l’éducation. La loi sur l’Éducation dispose que le coût d’inscription aux services d’accueil préscolaires doit être raisonnable, ne pas peser trop lourd dans le budget des familles. Les municipalités peuvent limiter le montant maximal par enfant pour les services d’accueil préscolaire, en contrepartie de subventions du gouvernement. Elles appliquent alors un tarif de garde uniforme : 3 % du revenu total du foyer pour le premier enfant, 2 % pour le deuxième et 1 % pour le troisième. Tout enfant supplémentaire est inscrit gratuitement. De plus, le montant maximum de ces frais est plafonné au niveau national, ce plafond diminuant avec le rang de l’enfant. Ce plafonnement des frais de participation s’applique aussi bien aux structures gérées par les municipalités qu’aux structures en régie privée. Par ailleurs, entre l’automne des 3 ans de l’enfant et le moment de son entrée à l’école, il/elle peut, si la famille le souhaite, bénéficier d’une éducation préscolaire gratuite à raison de 525 heures par an, soit environ trois heures par jour pendant l’année scolaire dans des centres pédagogiques ouverts (öppen fritidsverksamhet). Les municipalités ont l’obligation d’offrir cet enseignement.
Les services de garde publics sont très largement utilisés. La Suède est l’un des rares pays où les parents n’ont quasiment pas recours aux modes de garde informels 12. C’est à la fois lié à l’offre de services existante et à une certaine réticence sociale et culturelle à recourir à des salariés à domicile. Depuis la fin des années 1990, le nombre et la proportion d’enfants inscrits dans les centres d’accueil préscolaire ont augmenté : près de 486 000 enfants de 1 à 5 ans étaient inscrits en 2014, soit 83 %, contre respecti- vement 315 000 et 64 % en 1999. Entre 1 et 2 ans, 48 % des enfants fréquentent des centres d’accueil préscolaire (Skoverket, 2014). Cette proportion grimpe à 87 % entre 2 et 3 ans et 93 % pour les enfants de 4 et 5 ans. La classe préparatoire est fréquentée par la quasi-totalité des enfants de 6 ans.
Le souci de proposer un cadre favorisant le développement des enfants et la réduction des inégalités entre eux est très présent (Morel, 2008). En 1996, la tutelle des services préscolaires a été transférée du ministère des Affaires sociales au ministère de l’Éducation. L’intégration entre écoles et services préscolaires était déjà très poussée avant 1996 : regroupement sous une même autorité dans les municipalités, dans un même lieu, créant ainsi des « écoles à temps plein », travail d’équipe très répandu entre les enseignants des écoles et des centres préscolaires (Unesco, 2003). Depuis 1996, les structures préscolaires ont des programmes d’enseignement et leur personnel reçoit la même formation que le personnel des écoles (trois années d’études universitaires). Le statut professionnel de pédagogue de la petite enfance est reconnu et la rémunération est équivalente à celle des enseignants du primaire.
On ne constate pas de rupture ou d’involution de l’offre de services pendant les années 2008-2010. La seule évolution notable est le développement de centres privés gérés par des entreprises, des coopératives. Ce développement est lié à la « révolution du libre choix » soutenue par les gouvernements de centre-droit arrivés au pouvoir au début des années 1990. Ceux-ci ont notamment mis fin au monopole du secteur public sur l’accueil des jeunes enfants (Jolivet, 2014). Sans surprise, le gouvernement de centre-droit Reinfeldt introduit en 2008 un système de chèque-service d’accueil pour donner aux parents une plus grande liberté dans le choix d’une structure préscolaire. Si 80 % des enfants restent accueillis par un centre municipal, la proportion d’enfants accueillis dans des centres privés atteint 30 % dans certaines communes (Skolverket, 2015).
Articulation vie familiale-vie professionnelle : des évolutions ambivalentes
Si les mesures d’articulation mises en place ont notamment eu pour objectif d’inciter les pères à prendre des congés pour s’occuper de leurs enfants, des inégalités hommes-femmes subsistent en la matière. Par ailleurs, les congés parentaux en place sont certes généreux et n’ont cessé d’être allongés, mais de nombreux salariés continuent de travailler pendant leurs congés.
Une évolution des comportements des pères, mais des inégalités persistantes
La mise en place de « mois des papas », mois de congé parental perdus s’ils ne sont pas utilisés, a incité les pères à prendre des congés. La rupture a été particulièrement forte avec le premier mois, le deuxième mois ayant eu moins d’impact. La proportion de pères d’enfants de 2 ans et moins qui ne prenaient pas de congé parental a été divisée par deux entre 1995 et 1996, passant de 55 à 25 % (Swedish Social Insurance Agency, 2012). Et depuis, la proportion de pères qui prennent leur congé parental a augmenté. En 2013, les pères ont pris 24,8 % du nombre total de jours de congé parental, soit deux fois plus qu’en 2000. Une proportion croissante de pères reçoit également l’allocation parentale : 45 % en 2013 contre 38 % en 2000 (Swedish Social Insurance Agency, 2014). Toutefois, la répartition des jours de congé parental entre les mères et les pères reste très inégale, loin des 60 %-40 % envisagés (Haas, Rostgaard, 2011). On n’observe pas d’inflexion de ces tendances à partir de 2008. Les mêmes constats valent pour les congés temporaires. Ces congés sont toujours majoritairement pris par les mères.
Le service d’Inspection de la Sécurité sociale a publié au mois de septembre 2013 une étude sur le temps que les parents passent réellement chez eux pour leurs enfants (Swedish Social Insurance Inspectorate, 2013). Depuis les années 1990, les parents utilisent de plus en plus les congés liés à la garde des enfants auxquels ils ont droit. Le père et la mère posent les mêmes congés liés aux enfants durant les huit premières années de l’enfant, mais à chaque période, le congé de la mère est plus long que celui du père. En moyenne, la mère reste 77 semaines chez elle contre 25 environ pour le père. Tous ces congés ne sont pas forcément rémunérés puisque la mère pose plus de congés que ceux auxquels elle a droit. Enfin, l’étude montre que ceux qui gagnent beaucoup ou très peu passent moins de temps chez eux que ceux qui ont un salaire moyen. Or, il existe toujours un écart salarial entre hommes et femmes, qui joue en faveur d’une inégalité dans la prise des congés.
Autres indicateurs de l’inégalité entre hommes et femmes : la proportion des mères qui travaillent à temps partiel et la durée du travail. Certes, le taux d’emploi des femmes et le taux d’emploi des mères d’enfants de moins de 6 ans sont parmi les plus élevés de l’Union européenne. La proportion de mères travaillant à temps partiel a nettement diminué depuis la fin des années 1980, quel que soit le nombre d’enfants et leur âge (tableau 1). Toutefois, 40 % des femmes travaillent à temps plein contre 75 % des hommes en 2013. Selon Eurostat, les femmes travaillent en moyenne cinq heures de moins par semaine que les hommes, la plus petite différence au sein de l’UE.
Pendant la campagne des élections législatives du 14 septembre 2014, la répartition des congés entre les parents a fait débat, notamment suite à la publication du rapport de la Délégation pour l’égalité hommes-femmes dans le travail. En mai 2015, le gouvernement de coalition social-démocrate a annoncé qu’il présentera dans son projet de budget pour 2016 (dit « budget d’automne ») une augmentation d’un mois du congé parental non transférable. Le nombre de mois exclusivement utilisable par chacun des parents passerait ainsi à trois mois, les dix mois restant divisibles entre les deux parents. Ce troisième mois est considéré comme le moyen le plus efficace d’inciter les pères à prendre une plus large part du congé parental, et donc de réduire les inégalités entre hommes et femmes 13. Le bonus égalité, mis en place en 2008 par le gouvernement de centre-droit, sera quant à lui supprimé. Ses effets sur la coparentalité sont jugés insuffisants pour un coût d’1 million de couronnes (environ 108 000 euros). Ces mesures devraient être validées grâce au soutien des partis libéraux et de gauche.
Travailler pendant un congé : une nouvelle stratégie de conciliation ?
Malgré une politique publique favorisant l’articulation vie familiale-vie professionnelle, de nombreux parents travaillent pendant leur congé parental. Deux enquêtes réalisées par des syndicats mettent en lumière ces phénomènes.
Le syndicat Civilekonomerna (qui regroupe environ 42 000 diplômés et étudiants des universités en économie et gestion) a publié en juin 2013 les résultats d’une enquête réalisée auprès de 500 salariés en congé parental en 2011 14. La moitié de ces salariés a répondu qu’ils/elles avaient dû travailler à un moment donné de leur congé, les hommes deux fois plus fréquemment que les femmes.
Le syndicat Unionen, l’un des principaux syndicats des salariés du privé, se penche depuis plusieurs années sur le phénomène du « vobbing » et mène une enquête pour en mesurer l’impact. Ce mot valise, fusion entre vård (garde, soin) et jobbar (travailler), décrit la situation de salariés qui travaillent chez eux tout en gardant un enfant temporairement malade. Selon la dernière étude publiée par Unionen, trois cadres sur cinq travaillant dans le privé et qui sont parents d’enfants de moins de 16 ans « vobbent ». Parmi eux, 70 % « vobbent » afin d’avoir le temps de remplir leurs fonctions et les deux tiers parce qu’ils n’ont personne à qui déléguer.
Une préoccupation ancienne des acteurs sociaux
Les organisations syndicales se sont depuis longtemps saisies de la question de l’articulation vie familiale-vie professionnelle et considèrent qu’elle est étroitement liée à celle de l’égalité hommes-femmes. Là aussi, la forte présence des femmes dans les syndicats et leurs instances dirigeantes a joué un rôle. Une évolution du congé parental a fait l’objet de discussions au sein des confédérations syndicales en 2013 et 2014. Deux positions existent : évoluer vers le modèle islandais, avec une séparation du congé parental en trois parties égales, ce qui accroît l’individualisation du dispositif, ou augmenter progressivement le nombre de mois non transférables, sans pour autant mettre l’accent sur l’individualisation (Eurofound, 2015). La Confédération générale du travail (Landsorganisationen i Sverige - LO) s’est déclarée plutôt en faveur de la première position 15, tandis que la Confédération générale des cadres, fonctionnaires et employés (Tjänstemännens Centralorganisation– TCO) est davantage en faveur de la seconde position 16.
Lors des négociations de 2013, l’égalité des deux parents dans l’utilisation du congé parental faisait partie des sujets mis en avant par LO. En décembre 2013, LO et la confédération patronale Svenskt Näringsliv ont conclu un accord sur un complément à l’allocation versée aux parents en congé parental. Cet accord, approuvé par les 14 syndicats membres de la confédération, stipule que 10 % du salaire s’ajouteront aux indemnités perçues pendant 180 jours au titre du congé parental lorsque le salarié a deux ans d’ancienneté, pendant 60 jours sinon. Il concerne les parents qui travaillent dans les secteurs dépendant de Svenskt Näringsliv. La plupart des accords d’entreprise prévoient le maintien du salaire au titre du congé parental pendant les deux premiers mois. Le niveau du complément devrait inciter de nombreux pères à allonger la durée de leur congé parental jusqu’à six mois : « Nous espérons qu’avec ce complément, plus d’hommes choisiront de prendre leur congé parental. Le complément salarial de 10 % ne sera versé que si l’homme prend son congé. Celui qui choisit de ne pas le prendre perd cet argent », indique Torbjörn Johansson, le responsable des accords côté LO 17. L’accord est qualifié par les signataires d’« économiquement neutre » puisque le complément sera versé par la caisse d’assurance AFA. Cette caisse, détenue par la Confédération des entreprises suédoises (Svenskt Näringsliv), la confédération LO et l’organisation de négociation des employés administratifs du secteur privé PTK (Privattjänstemannakartellen rassemble 27 fédérations) couvre 4 millions d’assurés. Elle assure la gestion des assurances prévues dans le cadre d’accords collectifs.
Les négociations qui vont s’engager en 2016 sur plus de 70 % des accords collectifs devraient donner une place à l’articulation vie familiale-vie professionnelle. Dès la fin du mois d’août 2015, le syndicat Unionen a indiqué les quatre sujets qu’il entend mettre en avant lors des négociations. Figurent dans cette liste la durée du travail, avec l’objectif de favoriser l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle et de s’assurer que les salariés ne sont pas exposés aux risques d’une durée du travail excessive. Unionen souhaite des règles précises notamment pour limiter les périodes d’astreinte et diminuer les heures de travail annuelles maximales par une baisse des heures de travail hebdomadaires 18. Unionen a par ailleurs décidé de lancer une campagne afin d’encadrer le phénomène du vobbing et de sensibiliser les salariés concernés aux risques pour la santé d’un effacement des frontières entre vie professionnelle et vie personnelle.
Dans un document intitulé « Décider de la compétitivité de l’industrie » rendu public en juin 2015, sept organisations patronales dont Industriarbetsgivarna (syndicat des entreprises de l’industrie), Teknikföretagen (syndicat des entreprises technologiques), et Ikem (syndicat des entreprises de la chimie) exposaient notamment l’objectif de bénéficier d’une souplesse accrue dans l’appel au personnel temporaire ainsi que la durée du travail afin de pouvoir gérer les fluctuations économiques 19. L’organisation patronale du commerce, Svenskt Handel, a quant à elle la volonté de négocier des dispositions particulières pour le e-commerce, notamment le travail après 18 heures et le week-end. La question de l’articulation vie familiale-vie professionnelle devrait donc largement s’inviter dans les négociations. D’autant que les risques psycho-sociaux ont un impact croissant sur la santé et que les femmes sont depuis plusieurs années plus touchées par les maladies professionnelles associées.
Conclusion
La crise économique de 2008 n’a pas remis en cause une politique en faveur des parents et des enfants très profondément installée et très consensuelle. L’accès aux deux piliers de l’articulation vie familiale-vie professionnelle que sont les congés parentaux et les services d’accueil préscolaires n’a pas été réduit. Les prestations n’ont pas non plus subi de baisse. Les seules modifications apportées ont plutôt été dans le sens d’une amélioration des dispositifs existants. La mise en place simultanée en 2008 d’une allocation de garde d’enfant et du bonus égalité par un gouvernement de centre-droit traduit la stabilité du consensus autour d’une implication des deux parents dans la vie familiale et d’une égalité professionnelle entre hommes et femmes.
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Unesco (2003), « Réforme des services d’éducation et de soins en Angleterre, en Écosse et en Suède », Note de l’Unesco sur la politique de la petite enfance, n° 12, avril.
* Centre d’études de l’emploi, chercheuse associée à l’IRES.
1. Morel (2001) souligne que cette allocation est conçue comme une assurance sociale contre le « risque enfant ».
2. Un premier mois de congé exclusivement utilisable par les pères a été instauré en 1995, puis un deuxième mois en 2002.
3. Si le congé est pris par une seule personne, sa durée est donc limitée à 420 jours.
4. Le taux de compensation est de 80 %. Toutefois, depuis janvier 2008, le revenu pris en compte est réduit de 3 %. L’allocation versée correspond donc à 77,6 % du dernier revenu. Le plafond a été relevé en 2006, en partie pour augmenter la prise de congé des pères dont le niveau de rémunération dépasse l’ancien plafond. Les parents qui ont perçu moins de 225 couronnes (environ 24 euros) pendant les 240 jours précédant la naissance ou l’adoption reçoivent 225 couronnes par jour. Ce montant passe à 250 couronnes (27 euros) à partir de janvier 2016. Les montants en euros sont donnés à titre indicatif en utilisant le taux de conversion au 10 décembre 2015, soit 100 couronnes suédoises = 10,80 euros.
5. Pour plus de détails, voir Duvander et Haas (2015).
6. En 1995, le niveau de l’allocation parentale est ramené à 80 % du salaire, les 30 jours exclusivement réservés à chaque parent restant indemnisés à 90 %. En 1996, l’allocation enfant diminue, passant de 9 000 couronnes (972 euros) par an et par enfant à 7 680 couronnes (830 euros), et la majoration à partir du troisième enfant disparaît. Le niveau de l’allocation parentale baisse encore à 75 % du salaire, à l’exception des 30 jours réservés pour chaque parent qui sont maintenant indemnisés à 85 % du revenu antérieur. En 1997, une dernière réduction de l’allocation parentale ramène le niveau à 75 % pour les deux mois réservés aussi. Avec les premiers signes du retour d’une conjoncture économique favorable, les prestations familiales en espèces sont petit à petit revalorisées. En 1998, l’allocation parentale revient à 80 % du salaire antérieur, et la même année le montant des allocations pour enfant retrouve son niveau de 9 000 couronnes par an et par enfant. La majoration à partir du rang trois est également réintroduite (Brachet, 2001).
7. Elle regroupe le Parti du rassemblement modéré (Moderata Samlingspartiet) conduit par
le Premier ministre Fredrik Reinfeldt, le Parti du centre (Centerpartiet), le Parti du peuple - Les Libéraux (Folkpartiet Liberalerna) et les Chrétiens-démocrates (Kristdemokraterna).
8. Le Parti du centre et surtout les Chrétiens-démocrates y sont favorables (Nyberg, 2010).
9. Il existe toutefois trois différences importantes (Nyberg, 2010). Le montant de l’allocation de garde d’enfants de 1994 était fixé au niveau national par l’Assurance sociale (2 000 couronnes, environ 216 euros), qui en assurait le versement. L’allocation de 2008 est, elle, du ressort des municipalités qui peuvent décider des critères d’attribution dans certaines limites. L’allocation était imposable en 1994 et pouvait être cumulée avec l’allocation pour congé parental d’un autre enfant. Elle n’est pas imposable en 2008 et ne peut être cumulée avec d’autres allocations.
10. Revenu au pouvoir avec les élections générales de 1994, le nouveau gouvernement social-démocrate avait en effet supprimé ce dispositif, considérant cette allocation comme une sorte de salaire maternel déguisé qui risquait de renvoyer les femmes au foyer. Il avait en revanche maintenu le « mois du papa », cette partie du congé parental non transférable mise en place par le gouvernement précédent en contrepartie de la création de l’allocation de garde d’enfants.
11. Ces termes font référence aux travaux d’Orloff (1993) et d’Esping-Andersen (1999) notamment.
12. Selon les données de l’OECD Family Database.
13. Le gouvernement précédent avait envisagé en 2013 d’instaurer ce troisième mois.
14. The Local, 3 juin 2013.
15. E. Melin, « LO pressar S om föräldraförsäkring » (LO met la pression sur le Parti social-démocrate
pour l’assurance parentale), Aftonbladet, 29 Mars 2013.
16. TCO, « Tio argument för en jämställd föräldraförsäkring » (Dix arguments pour une assurance parentale plus égalitaire), TCO Granskar No. 9/14, 30 Juni 2014.
17. V. Hours, « Suède : des dispositions pour encourager une prise plus égalitaire du congé parental », Planet Labor, n° 8054, 19 décembre 2013.
18. V. Hours, « Les syndicats suédois se penchent sur la manière d’encadrer le phénomène du “vobbing” », Sociétés nordiques, 9 février 2015, https://societesnordiques.wordpress.com/2015/02/09/les-syndicats-suedois-se-penchent-sur-la-maniere-dencadrer-le-phenomene-du-vobbing/.
19. V. Hours, « Suède : en prévision des négociations de 2016, organisations syndicales et patronales laissent entendre leurs attentes », Planet Labor, n° 9276, 29 septembre 2015.