La crise budgétaire grecque et les politiques d’austérité mises en place depuis 2010 ont eu des conséquences dévastatrices en matière de revenus des ménages, de protection sociale, de droits sociaux, de conditions de travail, de relations professionnelles, d’entrepreneuriat, etc. En plus des conséquences économiques et sociales qu’elles ont entraîné, les cinq (premières) années de crise budgétaire et d’application des politiques d’austérité ont transformé le paysage politique et ont ébranlé le modèle issu de la période post-dictatoriale (meta-politefsi), amenant certains auteurs à évoquer un « séisme politique et électoral » (Vernardakis, 2012). Le bipartisme de la période post-dictatoriale, où régnaient le parti social-démocrate (Pasok) et le parti conservateur de droite Nouvelle Démocratie (ND) cède désormais sa place à un multipartisme mouvant et instable, marqué par un déplacement significatif des électeurs vers la gauche radicale et l’extrême-droite (Vernardakis, 2012).
Plus les conséquences de la crise et des politiques d’austérité deviennent visibles et affectent les conditions de vie et de travail de la population, plus le paysage politique change. L’augmentation du taux de chômage et de la précarité, la détérioration des conditions de travail, le démantèlement des conventions collectives, la baisse des salaires et des retraites, l’augmentation de la taxation, la fermeture d’un nombre important de PME (le « cœur » de l’économie grecque), ainsi que le démantèlement du système de santé et de protection sociale (Karakioulafis, 2014) suscitent la montée du mécontentement d’une grande partie de la population. En témoignent les résultats des élections de mai et de juin 2012, qui font « émerger une réalité politique nouvelle, avec une nouvelle structure de la représentation politique » (Vernardakis, 2012). Les deux protagonistes du bipartisme politique post-dictatorial (Pasok et ND) subissent une chute électorale très importante, tandis que la gauche progressiste-radicale de Syriza fait une percée. En même temps, trois nouveaux partis entrent au Parlement grec : les Grecs indépendants (Anel), parti de droite populaire 1, l’extrême-droite représentée par Aube dorée et la Gauche démocratique (Dimar) 2. Malgré la formation d’une coalition en juin 2012, comprenant le Pasok, ND et Dimar et menée par le Premier ministre Antonis Samarás (issu de ND), le nouveau gouvernement reste manifestement « fragile » et le paysage politique instable. La suppression arbitraire de l’Organisme de radiotélévision publique (ERT), ainsi que la mise en place des programmes de disponibilité des fonctionnaires (voir infra) durant l’été 2013 alimentent la colère des Grecs et inaugurent un nouveau cycle de contestations et de conflits sociaux. Les conséquences politiques de la montée des tensions se manifestent à nouveau au moment des élections municipales et européennes de mai 2014, à l’issue desquelles le pouvoir électoral de Syriza ressort en position de force au détriment des partis politiques formant le gouvernement de coalition. Le multipartisme est renforcé par la création d’un parti politique supplémentaire, d’orientation centriste, To Potámi (« La rivière »), fondé en mars 2014 par le journaliste Stavros Theodorákis.
En décembre 2014, le Premier ministre, Antonis Samarás, annonce des élections législatives en invoquant la volonté de lever l’incertitude financière de la Grèce lors des négociations avec la « troïka ». Le candidat présenté par la coalition gouvernementale n’obtient pas les votes nécessaires : Antonis Samarás annonce donc la dissolution du Parlement et la convocation d’élections législatives anticipées le 25 janvier 2015, remportées par Syriza. Pour une grande partie de la population, l’arrivée de Syriza au pouvoir alimente l’espoir d’une réparation des sacrifices et injustices imposés par cinq années d’austérité budgétaire.
Premier gouvernement Syriza : des élections du 25 janvier 2015 au référendum du 5 juillet 2015
Suite aux élections de janvier et à la victoire électorale de Syriza (tableau 1) se forme un gouvernement de coalition dirigé par Alexis Tsipras, avec la participation d’Anel.
Malgré les fortes divergences idéologiques des deux partis, ce qui les unit est leur opposition aux mesures d’austérité imposées par la « troïka ». L’accession au pouvoir de Syriza signifie pour certains la fin de la période d’austérité et le rétablissement des acquis et droits sociaux abolis pendant les années précédentes.
Les syndicats grecs (encadré 1) accueillent de manière positive le nouveau gouvernement, et ce pour deux raisons. Premièrement, le rétablissement des acquis et droits sociaux, ainsi que le rattrapage des salaires et des retraites, lesquels avaient connu des baisses drastiques suite à l’application des deux premiers mémorandums (Karakioulafis, 2013, 2015), tenaient une place importante dans l’agenda de Syriza quand il était encore dans l’opposition. Deuxièmement, Syriza avait apporté son soutien à toutes les grandes grèves et manifestations syndicales contre les mesures d’austérité depuis 2010.
Première mesure du gouvernement : fin des mises en disponibilité dans le secteur public et des réquisitions et réouverture de l’ERT
Concernant le secteur et la fonction publics, la réparation des injustices à l’encontre des fonctionnaires est au cœur de la campagne électorale de Syriza. Ainsi, au mois de mai 2015, le gouvernement procède à la réembauche des fonctionnaires/travailleurs qui avaient été licenciés ou mis en disponibilité durant l’été 2013 par le gouvernement de coalition d’Antonis Samarás 3. À l’époque, les policiers locaux (suite à la suppression de la police locale), gardiens d’établissements scolaires, professeurs de certaines filières de l’enseignement secondaire technique (environ 2 000 personnes), agents d’entretien du ministère des Finances, ainsi qu’un nombre important de personnes (plus de 1 000) issu du personnel administratif des universités ont été mis en disponibilité. Ces fonctionnaires ont d’ailleurs massivement fait grève en 2013-2014 4.
La réintégration des personnes en disponibilité et la réouverture de l’Organisme de radiotélévision publique (ERT), supprimé de façon arbitraire en juin 2013, se trouvaient également au centre de la campagne électorale de Syriza avant les élections de janvier 2015. Ainsi, la loi de réouverture de l’ERT (loi 4324/2015), permettant entre autres la réembauche du personnel licencié en 2013, est votée en avril 2015. Au mois de mai est votée la loi 5 permettant la réembauche des fonctionnaires disponibles et/ou licenciés et la réouverture des organismes supprimés (tels que la police locale). Cette même loi, dans son premier article, rend plus stricte la législation encadrant le recours à la réquisition des travailleurs. L’objectif du vice-ministre de la Réforme administrative publique de l’époque, Georgios Katrougalos (lui-même juriste en droit social très réputé), est de mettre fin au recours abusif de la part des gouvernements à cette mesure, très utilisée les années précédentes 6. Désormais, l’article en question précise que : « La réquisition politique ou toute autre forme de réquisition des personnels ne peut en aucun cas être imposée en réponse à une grève ou à toute forme de mobilisation comparable des professionnels ou travailleurs indépendants, avant ou après que celles-ci ont été annoncées. » Malgré les objections de la Confédération des syndicats de la fonction publique (Adedy), qui demandait l’abolition pure et simple de la mesure de réquisition, celle-ci est maintenue en cas de guerre, de défense du pays, de nécessité sociale urgente provoquée par une catastrophe naturelle ou de situation pouvant mettre en danger la santé publique.
Négociations collectives : des intentions vite balayées sous la pression des créanciers
Lors de la première rencontre avec le Bureau de la Confédération générale des travailleurs grecs (GSEE), le 26 février 2015, le ministre du Travail de l’époque, Panos Skourletis, annonce le dépôt au mois de mars d’un projet de loi « qui permettra de réhabiliter la négociation collective, en donnant la parole aux travailleurs eux-mêmes 7 ». L’objectif de ce projet de loi est entre autres de restaurer le rôle de l’Organisme d’arbitrage et de médiation (Omed), de rétablir le cadre législatif des conventions collectives à tous les niveaux et le salaire minimum à son niveau antérieur à février 2012 (encadré 2).
Les projets du gouvernement dans le domaine des relations professionnelles et des conditions de travail deviennent plus concrets en avril 2015 lorsqu’une lettre d’invitation au dialogue social est adressée aux partenaires sociaux. Dans sa lettre, le ministre de Travail annonce entre autres : l’augmentation du salaire minimum en deux étapes (à 650 euros en octobre 2015 et à 751 euros en juillet 2016) ; la suppression du gel des primes liées à l’ancienneté ; l’instauration d’un nouveau type de convention collective concernant les groupes d’entreprises 8 ; le rétablissement du cadre légal antérieur aux lois de 2012 en ce qui concerne la convention collective de branche ; la restauration du principe de la clause de la convention collective la plus favorable ; le prolongement de la période de prorogation des conventions collectives de trois à six mois. Sans surprise, le projet de loi 9 est bien accueilli par la GSEE, qui considère alors qu’il « répond à la demande de la GSEE et des organisations d’employeurs de restaurer l’universalité et la force obligatoire de toutes les conditions (salariales ou non) de la convention collective générale nationale (EGSSE) 10 ». Malgré les promesses continues du ministre de Travail, selon lequel la loi sera déposée et votée, le dépôt est retardé, le gouvernement et le ministre lui-même arguant que les « créanciers » peuvent considérer toute réforme du cadre législatif des relations de travail comme un « acte unilatéral » de leur part.
Quelques jours avant le référendum prévu le 5 juillet 2015, et à la demande des organisations syndicales, la période de validité de la convention collective générale nationale du 26 mars 2014 est prolongée par loi 11 pour trois mois, et jusqu’au 30 septembre 2015 12 si aucune autre convention collective générale nationale n’est signée entre-temps. La même loi prévoit le prolongement de la période de prorogation de trois à six mois des régulations issues des conventions collectives et des décisions d’arbitrage. L’objectif de cette loi est également de rétablir l’allocation de mariage, ainsi qu’une série de droits non salariaux qui découlent de la convention collective générale nationale, tels que les congés et les horaires de travail réduits liés à la maternité.
La période de janvier à juillet 2015 est caractérisée par l’absence de grèves et manifestations. Les syndicats ont ainsi adopté une position que l’on pourrait qualifier d’attente. D’une part, ils espèrent obtenir gain de cause à l’issue des négociations avec les créanciers ; d’autre part, le gouvernement ne cesse de leur affirmer que le rétablissement du cadre législatif lié aux relations professionnelles et aux conditions de travail constitue une priorité. Un climat de confiance semble régner entre gouvernement et syndicats : ainsi, pour la première fois, des ministres (tels que Yanis Varoufakis, Panos Skourletis, Panagiotis Lafazanis) et des députés du parti au pouvoir participent à la manifestation organisée par les organisations syndicales à l’occasion du 1er mai, avec le mot d’ordre : « Lutte, rupture, subversion. Notre chemin sans pauvreté, chômage et mémorandums ».
L’échec des négociations avec les créanciers, suivi de l’annonce du référendum pour le 5 juillet sur le projet d’accord soumis par la « troïka » 13, ainsi que la fermeture des banques et l’instauration du contrôle des capitaux ne sont pas bien accueillis par la GSEE. Ainsi, contre la position du gouvernement, qui appelle les Grecs à voter pour le « Non », la GSEE se prononce en faveur du projet d’accord alors qu’Adedy refuse de prendre position. Dans sa déclaration du 1er juillet 2015, la GSEE soutient que le référendum soulève de faux dilemmes et souligne la nécessité de préserver l’orientation européenne du pays et sa place dans l’Europe et dans la zone euro 14. L’attitude de la confédération syndicale est fortement critiquée par le ministre du Travail de l’époque Panos Skourletis, qui accuse son Bureau d’avoir été totalement absent du champ des négociations avec les créanciers ces derniers mois. En un sens, c’est à cette occasion que « s’ouvre » la confrontation entre le gouvernement et la GSEE, et surtout avec son président Yiannis Panagopoulos, et qu’apparaissent les différences politiques entre Syriza et le Bureau de la confédération, encore dominé par la fraction syndicale de Paske.
Du référendum du 5 juillet 2015 au deuxième mandat du gouvernement Syriza-Anel
Malgré la nette victoire du « Non » lors du référendum (environ 60 % des votants), le Premier ministre Alexis Tsipras signe le 13 juillet 2015 un nouvel accord avec les créanciers, auquel il déclare ne pas se fier mais qu’il signe pour éviter tout désastre au pays. Cet accord comporte de nombreuses mesures d’austérité et provoque des ruptures à l’intérieur des deux partis membres du gouvernement de coalition. La signature de l’accord prévoit entre autres des vastes privatisations, l’augmentation de la taxation, la baisse du montant des retraites et l’augmentation de l’âge de départ à la retraite.
L’accord du 13 juillet : de nouvelles mesures d’austérité, une crise politique majeure…
En ce qui concerne le marché du travail et les relations professionnelles, contrairement aux projets du gouvernement Syriza, l’accord prévoit que la Grèce doit : « Entreprendre un réexamen rigoureux et une modernisation des négociations collectives, de l’action syndicale et, conformément à la directive pertinente de l’UE et aux bonnes pratiques, des procédures de licenciement collectif selon le calendrier et l’approche convenus avec les institutions. Sur la base de ces réexamens, les politiques du marché du travail devraient être alignées sur les meilleures pratiques internationales et européennes, sans que cela se traduise par un retour aux politiques antérieures qui ne sont pas compatibles avec les objectifs de croissance durable et inclusive 15 ». En ce qui concerne les retraites, la Grèce est appelée à mener des réformes « ambitieuses » et à définir des politiques visant « à compenser pleinement l’incidence budgétaire » de l’arrêt du Conseil d’État concernant l’inconstitutionnalité de la réforme des pensions de 2012 16 ». L’accord de juillet prévoit entre autres qu’à l’exception de la loi sur la crise humanitaire 17, le gouvernement réexamine, « en vue de les modifier, les dispositions législatives adoptées qui sont contraires à l’accord du 20 février 2015 18 puisqu’elles constituent un retour en arrière par rapport aux engagements pris au titre du programme précédent ou définisse des mesures compensatoires clairement équivalentes pour les droits acquis qui ont été créés par la suite 19 ».
Divers membres du gouvernement de coalition et des deux partis y participant (Syriza et Anel) démissionnent et expriment ouvertement leur désaccord. Ainsi, le 14 août 2015, lors du vote au Parlement pour l’approbation du nouveau plan d’aide, inclus dans le troisième mémorandum depuis 2010, les opposants votent contre ou s’abstiennent. Plusieurs députés de Syriza quittent le parti et 25 députés en fondent un nouveau, l’Unité populaire (Laiki Enotita), avec à sa tête l’ex-ministre de l’Énergie, Panagiotis Lafazanis. Ainsi, le troisième mémorandum est approuvé grâce à des voix des partis de l’opposition (ND, Pasok et To Potámi) 20. Suite à la perte de sa majorité, le Premier ministre démissionne et convoque des élections législatives anticipées pour le mois de septembre en demandant un vote de confiance.
Les élections du 20 septembre 2015 mènent de nouveau à des changements du paysage politique (tableau 2).
Syriza gagne de nouveau les élections, tandis qu’un nouveau parti entre au Parlement, l’Union des centristes (Enosi Kentroon), avec à sa tête Vassilis Levendis. ND reste la principale force d’opposition, tandis que Pasok forme désormais, avec la Gauche démocrate (Dimar), la « Coalition démocratique ». L’Union populaire n’arrive pas à entrer au Parlement, tandis qu’Aube dorée maintient son pouvoir malgré les poursuites judiciaires engagées contre un grand nombre de ses membres pour le meurtre de Pávlos Fýssas et pour des agressions racistes. Toutefois, ce qui marque les élections de septembre est la forte abstention, qui atteint 43 %, et la forte fragmentation de l’électorat. Avec 35,46 % des voix, Alexis Tsipras arrive en tête mais ne détient pas la majorité absolue au Parlement : il forme donc de nouveau un gouvernement de coalition avec Anel.
… et la résurgence des conflits sociaux
Le vote des lois d’application de l’accord avec les créanciers, après la formation du deuxième gouvernement de coalition Syriza-Anel, signe aussi la fin de l’« état de grâce » pour le gouvernement et la résurgence des conflits sociaux.
Le 28 septembre 2015, les partenaires sociaux, craignant les effets produits par la fin de la validité de la convention collective nationale, signent sa prolongation pour encore trois mois (elle devait expirer le 30 septembre 2015). Selon le communiqué de presse de la confédération syndicale, « la GSEE, après les engagements répétés du gouvernement à restaurer le cadre institutionnel de la négociation collective libre (qui continuent malheureusement à rester au niveau des intentions), a pris l’initiative d’étendre la période de validité de la convention collective générale nationale. Avec l’épée de Damoclès des lois issues du mémorandum pesant sur les travailleurs, elle a demandé et obtenu un accord avec les organisations patronales pour l’extension de la convention collective générale nationale de l’année 2014 jusqu’à la fin de 2015 21. »
Le 12 novembre 2015 a lieu la première grève générale depuis la formation du premier gouvernement Syriza-Anel en janvier ; elle est organisée par les deux grandes confédérations syndicales contre les mesures prévues par le « troisième mémorandum ». La Confédération générale des industriels et commerçants de Grèce (GSEVEE) et la Fédération hellénique du commerce (ESEE) – des organisations patronales représentant les petits employeurs – ont aussi appelé leurs membres à participer à cette grève générale en gardant fermés leurs entreprises et leurs commerces afin de protester contre les nouvelles mesures fiscales 22. Paradoxalement, le Département de politique du travail de Syriza accorde son soutien à cette grève et appelle les gens à y participer, en soutenant qu’il s’agit d’un combat du peuple grec contre les mesures d’austérité et « les chantages » des créanciers 23.
Depuis décembre 2015, la réforme préconisée du système de sécurité sociale et des retraites, qui prévoit entre autres la diminution du montant des retraites et l’augmentation de l’âge de départ en retraite, ainsi que l’augmentation des cotisations sociales des salariés, employeurs, professionnels et travailleurs indépendants, provoque des confrontations entre le gouvernement et les organisations syndicales. Une deuxième grève générale, appelée par les deux confédérations syndicales contre ces mesures, a lieu le 3 décembre 2015. Depuis décembre 2015, on assiste à une vague de grèves, arrêts de travail et manifestations autour de cette réforme, organisés soit par les confédérations syndicales (par exemple, la manifestation organisée par Adedy et GSEE le 16 janvier 2016, la grève générale du 4 février 2016), soit par des organisations syndicales de branche (par exemple, travailleurs des caisses de sécurité sociale, marins, cheminots, etc.) et les associations des professions libérales (par exemple avocats, médecins, ingénieurs). Les médias grecs évoquent ainsi l’irruption d’un « mouvement de la cravate », c’est-à-dire de professionnels hautement qualifiés (médecins, ingénieurs, avocats) qui désormais descendent dans la rue pour protester. Au mouvement gréviste s’ajoutent les manifestations et les blocages des routes par les associations d’agriculteurs contre la réforme préconisée du système de sécurité sociale et des retraites. Dans son communiqué de presse au sujet de la grève générale du 4 février, la GSEE mentionne que son objectif est désormais la coordination de son action avec celle des autres groupes sociaux qui protestent contre la réforme de la sécurité sociale 24.
De leur côté, les organisations patronales, notamment l’ESEE et la GSEVEE, qui avaient pris part à la grève générale de novembre 2015, s’associent de nouveau à celle de février 2016, mettant ainsi fin à une courte « période de paix » avec le gouvernement. Pourtant, lors d’une rencontre en janvier 2016 avec le Premier ministre, Alexis Tsipras, et le ministre du Travail, Georgios Katrougalos, le patronat avait dans un premier temps approuvé la hausse des cotisations sociales non seulement patronales mais aussi salariales, provoquant d’intenses réactions du côté de la GSEE 25. À cela s’ajoute la diminution des retraites prévue par le projet de loi sur la sécurité sociale et les réactions internes aux organisations patronales, qui entraînent un nouveau cycle de confrontations. Dans leur communiqué de presse commun pour appeler à la grève du 4 février, les présidents de l’ESEE et la GSEVEE évoquent une recherche récente menée par l’Institut de recherche de la GSEVEE (IME-GSEVEE), selon laquelle les pensions de retraite constituent la principale source de revenus pour 52 % des ménages 26. Ainsi, d’après les Bureaux des deux organisations : « Nous devrions garder à l’esprit que toutes les interventions restrictives de l’État au niveau des retraites ne vont à la fois pas permettre d’“entretenir” le système de sécurité sociale, mais vont aussi avoir un effet négatif sur le revenu disponible, la consommation intérieure et, finalement, sur le niveau de vie de la plus grande partie de la société grecque qui a subi assez d’épreuves 27. » Encore une fois, le Département de politique du travail de Syriza accorde son soutien à cette grève et encourage les Grecs à y participer.
Conclusion
L’accession de Syriza au pouvoir signifiait pour nombre de Grecs l’espoir d’un changement, de la sortie de la crise et de la fin des politiques d’austérité budgétaire en Grèce. Or, la première année du gouvernement Syriza n’est qu’une année très tourmentée, marquée par de longues et pénibles négociations avec les créanciers. L’échec des négociations durant l’été 2015 s’est traduit par l’imposition du contrôle des capitaux, un référendum en juillet 2015 dont les effets escomptés ne se sont pas produits (surtout pour ceux ayant voté « Non »), un troisième mémorandum en août 2015, comprenant de nouvelles mesures d’austérité, la montée des tensions au sein de Syriza, etc. Malgré la déception d’une partie de la population au sujet des négociations avec les créanciers et l’implosion du parti au pouvoir, l’électorat a accordé une deuxième chance à Syriza lors des élections anticipées de septembre 2015. La stratégie adoptée depuis juillet 2015 par Syriza, qui consiste à signer, sous la pression des créanciers, un accord tout en refusant de l’appliquer, a porté ses fruits, du moins au plan électoral.
Toutefois, cette « deuxième chance » signale aussi la fin de la période de grâce. La confrontation entre gouvernement et organisations syndicales (surtout la GSEE) depuis le référendum semble s’intensifier du fait du non-respect des engagements gouvernementaux en matière de rétablissement des conventions collectives et du salaire minimum. La réforme du système de sécurité sociale préconisée par les créanciers déclenche un mouvement conflictuel dont on ne mesure pas encore les effets, d’autant que le contenu de l’accord final avec les créanciers n’est pas encore connu. Rappelons juste que, avant les élections de janvier 2015, Syriza annonçait qu’il : « s’[était] engagé dans son programme, en tant que gouvernement, à freiner la baisse du montant des retraites, de base et complémentaires, et à compenser progressivement les pertes subies durant les années des mémorandums, selon le rythme de reprise de l’économie, et en commençant par les retraités à faible revenu 28. » La réforme de la sécurité sociale et du système de retraite constitue donc une épreuve de premier plan pour le gouvernement de coalition, vu que la majorité des retraités a déjà subi des diminutions importantes de ses pensions ces dernières années : une nouvelle diminution ne serait pas « bien accueillie ».
Dans les mois à venir, on peut s’attendre à une nouvelle confrontation entre syndicats et gouvernement au sujet des privatisations 29. Le gouvernement est appelé à prendre des décisions pénibles, avec un coût social et politique élevé, en faisant voter par le Parlement des lois d’austérité dans les mois à venir 30. Il est donc possible qu’on assiste à une montée de la conflictualité sociale, jusqu’au niveau enregistré durant les années où Syriza était encore dans l’opposition.
Christina KARAKIOULAFIS
* Professeur assistante, département de sociologie, Université de Crète.
Sources :
Ioannou C. (2005), « From Divided “Quangos” to Fragmented “Social Partners”: The Lack of Trade Unions’ Mergers in Greece », in
Waddington J. (ed.), Restructuring Representation: The Merger Process and Trade Union Structural Development in Ten Countries, Brussels, PIE Peter Lang, p. 139-164.
Karakioulafis C. (2013), « Grèce. Les syndicats dans la ligne de mire de la troïka », n° spécial, « Les syndicats face à la nouvelle gouvernance européenne », Chronique internationale de l’IRES, n° 143-144, novembre, p. 121-132.
Karakioulafis C. (2014), « Grèce. Santé et éducation : victimes des politiques d’austérité », n° spécial, « Santé, éducation : services publics dans la tourmente », Chronique internationale de l’IRES, n° 148, décembre, p. 83-103.
Karakioulafis C. (2015), « Les plans d’austérité imposés à la Grèce : impact sur les droits sociaux et syndicaux et réactions syndicales », Interventions économiques, n° 52.
Vernardakis C. (2012), « En Grèce, le retour du vote de classe ?. », Savoir/Agir, n° 22, p. 105-110.
1. Créé en février 2012 d’une scission de la ND.
2. Dimar a été fondé en juin 2010 par des anciens membres de Synaspismos (actuellement
Syriza), avec en tête Fotis Kouvelis.
3. Le programme de mise en disponibilité prévoyait que pendant une période de huit mois, les fonctionnaires concernés seraient payés à 75 % de leur salaire mensuel précédent. Ensuite, ils étaient soit mutés à un autre poste, soit licenciés.
4. Au sujet du programme de disponibilité et les grèves de la période en question, voir Karakioulafis (2014, 2015).
5. Loi 4325/2015, « Démocratisation de la gestion publique. Lutte contre la bureaucratie et
e-administration. Réparation des injustices et autres dispositions ».
6. Ces dernières années, les gouvernements ont souvent invoqué les mesures prévues par la loi martiale – et normalement réservées aux situations de guerre ou d’urgence sociale, de catastrophe naturelle par exemple – et ont eu recours à la mesure de réquisition des travailleurs pour mettre fin à l’action collective de divers groupes professionnels. Tel a été le cas des travailleurs dans le métro d’Athènes en janvier 2013, des marins en février 2013, des enseignants dans les écoles secondaires en mai 2013 et du personnel de la société d’électricité DEI en juillet 2014 (Karakioulafis, 2015).
7. http://www.tanea.gr/news/economy/article/5213457/skoyrleths-entos-toy-2016-h-epanafora-toy-katwtatoy-misthoy-sta-751-eyrw/.
8. Le projet de loi prévoit la possibilité pour des groupes d’entreprise (ou des représentants autorisés de toutes les sociétés du groupe) de signer des conventions collectives avec la société mère et, du côté des salariés, avec l’organisation syndicale de premier niveau la plus représentative au niveau du groupe (ou par l’organisation syndicale de deuxième niveau des travailleurs du groupe).
9. Ce projet de loi est intitulé « Modification des dispositions de la loi 1876/1990 – Reconstitution et réforme du cadre de négociation collective, de médiation et d’arbitrage et autres dispositions »
10. http://www.gsee.gr/deltio-tipou-epistoli-gsee-ston-ipourgo-ergasias-schetika-me-to-nomoschedio-gia-ta-ergasiaka/.
11. Article 72 de la loi 4331/2015, « Mesures visant à soutenir les personnes handicapées, simplifier le fonctionnement des centres de certification d’invalidité, affronter l’évasion des cotisations, des questions d’assurance et autres dispositions ».
12. Sa période de validité devait initialement s’étendre jusqu’au 31 mars 2015, et après la première prolongation, jusqu’au 30 juin 2015.
13. La question posée est la suivante : « Acceptez-vous le projet d’accord soumis par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international lors de l’Eurogroupe du 25 juin 2015 et composé de deux parties, qui constitue leur proposition unifiée ? » Le premier document est intitulé « Réformes pour la réussite du programme actuel et au-delà », le second « Analyse préliminaire de la soutenabilité de la dette ». Les Grecs doivent répondre par oui ou par non.
14. La déclaration de la GSEE est la suivante : « La GSEE pense que la tenue d’un référendum est un droit démocratique, constitutionnel et inaliénable des citoyens grecs et est conforme aux traditions européennes. Toutefois, le processus même du référendum actuel, le moment choisi, sa qualité et son contenu sont banalisés dans un cadre de faux dilemmes et de précipitation et pourraient mener à des situations incontrôlables et diviser la société grecque. La Confédération s’oppose fermement à toutes les formes de protocoles émanant des créanciers ou du gouvernement et à toutes leurs implications qui seraient préjudiciables au monde du travail et au peuple grec. Notre position est tout aussi non négociable s’agissant de la poursuite de l’orientation européenne de notre pays et de la place de la Grèce en Europe et dans la zone euro. La question soumise à référendum est fallacieuse et les choix irresponsables et générateurs de discorde posés par des forces extrêmes tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Grèce mènent notre pays vers des aventures tragiques. Nous exigeons l’annulation immédiate du référendum. En tant que principale organisation syndicale des travailleurs du secteur privé en Grèce, nous envoyons un message clair dans toutes les directions : l’orientation européenne de notre pays est non négociable. Nous disons oui à l’Europe des peuples et de la solidarité ! »
15. http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2015/07/12-euro-summit-statement-greece/.
16. En juin 2015, le Conseil d’État annule les diminutions du montant de retraites et retraites complémentaires de 2012 pour inconstitutionnalité. Avec sa décision, le Conseil d’État oblige l’État à rétablir les retraites aux niveaux d’avant 2012.
17. La loi concerne des mesures en faveur des foyers en condition d’extrême pauvreté.
18. Dans lequel la Grèce s’engageait à ne pas prendre de mesures budgétaires unilatérales en contrepartie de l'extension du programme de financement.
19. http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2015/07/12-euro-summit-statement-greece/.
20. Pour une présentation des principales mesures du mémorandum d'août, voir Husson (dans ce numéro).
21. http://www.gsee.gr/deltio-tipou-paratasi-ischios-e-g-s-s-e-2014-2/.
22. Les actions communes des syndicats et des organisations patronales, surtout celles de petits employeurs, commencent en 2012, quand ils envoient une lettre commune au Premier ministre de l’époque Loucas Papadimas dans le cadre de la procédure de dialogue social qui précède le vote de la loi concernant la diminution du salaire minimum. Par la suite, les organisations de petits employeurs (ESEE et GSEVEE) ont souvent appelé leurs membres à fermer leurs entreprises et commerces les jours des grèves générales pour protester contre les mesures fiscales et d'austérité économique. Ce qui « unit » les organisations patronales et syndicales, ce sont les très nombreuses fermetures d’entreprises, dues aux mesures d’austérité, et leurs effets sur l’emploi.
23. http://www.tovima.gr/politics/article/?aid=753013.
24. http://www.gsee.gr/deltio-tipou-apofasis-genikou-simvouliou-gsee/.
25. http://www.gsee.gr/deltio-tipou-telika-simfonisan-ta-vari-na-pesoun-stis-plates-ton-ergazomenon/.
26. http://www.imegsevee.gr/dtimegsevee/1078--l-r et http://www.esee.gr.
27. http://www.gsevee.gr/deltiatupou/629-kabbathas-korkidis-422016.
28. http://www.syriza.gr/article/id/59669/Protash-nomoy-toy-SYRIZA-gia-thn-epanafora-ths-13hs-syntakshs-dwroy-CHristoygennwn-gia-syntakseis-ws-700-eyrw.html#.VrL1NLKLTIV.
29. En octobre 2015, une première grève contre la privatisation du port du Pirée a lieu, suivie début janvier d’une grève contre la privatisation des aéroports régionaux.
30. Les deux confédérations syndicales ont pris la décision d’organiser une nouvelle grève générale de 48 heures fin février ou début mars.