Alors que l'offensive néo-libérale ne cesse de marquer des points, poussant à une déconstruction accélérée des grands compromis sociaux hérités de l'après-guerre, l'on voit émerger, dans la société civile, de nouveaux acteurs désireux de retisser du lien social et de faire reculer le cancer des inégalités. Faisant preuve d'une grande imagination créatrice, ceux-ci, dans tous les domaines, réinventent au quotidien l'idée de solidarité citoyenne. Ce surgissement, encore balbutiant, d'une culture alternative de la solidarité - une culture originale mariant réalisme économique et souci de remise en cause des dogmes de la « pensée unique » - ne va pas sans interpeller le syndicalisme, dont les missions et repères traditionnels se trouvent bousculés par la montée en puissance de pratiques militantes inédites et, parfois, idéologiquement ambiguës. S'il veut parvenir à enrayer son déclin et à être en phase avec les nouvelles aspirations qui traversent un champ salarial en pleine mutation, le syndicalisme, quelle que soit la « vision du monde » dont il se réclame, se doit, sans a priori, de prendre à bras-le-corps les problématiques de resocialisation alternative et citoyenne en gestation. Ce n'est qu'en ayant le courage, rejetant toute crispation conservatrice ou dérive néo-corporatiste, de s'engager sur le chemin d'un aggiornamento théorique et stratégique de grande ampleur qu'il aura quelque chance d'être l'interprète des intérêts matériels et moraux de la diaspora salariale de cette fin de siècle. Ainsi qu'en attestent certaines expériences menées aux Etats-Unis et en Amérique latine, le syndicalisme peut redevenir le moteur d'un authentique processus de transformation sociale, à la condition expresse qu'il sache retrouver le sens de la radicalité et travailler à accoucher l'histoire d'un nouveau sujet social capable de conduire la contre-offensive anti-libérale.