Partant des évolutions législatives récentes en matière de lutte contre les discriminations, à l'échelle française et européenne, cet article se propose d'étudier la genèse et la construction des discriminations au travail en France dans la deuxième moitié du XXe siècle.
Sur la base d'une analyse des processus de gestion différenciée de la main-d'œuvre algérienne depuis 1945 dans une grande entreprise automobile française - secteur souvent au cœur des débats en matière de discriminations -, cet article étudie, en premier lieu, l'impact du critère ethnique sur la promotion professionnelle de ces ouvriers. Il montre, en second lieu, que la stagnation professionnelle de ceux qui sont devenus le symbole des « OS à vie » s'origine aussi dans les évolutions, d'une part, des systèmes de classifications et de rémunérations du personnel ouvrier et, d'autre part, des schémas d'organisation du travail ouvrier. Evolutions qui ont aussi pour effet de modifier considérablement l'ordre des relations professionnelles.
Différenciation professionnelle et différenciation ethnique se redoublent ainsi. La notion même de discrimination s'en trouve complexifiée : individuelle en droit, celle-ci revêt de facto une dimension systémique en ce qu'elle apparaît comme le produit d'un système de classifications professionnelles, croisé à un modèle de gestion de la main-d'œuvre.