Ce travail s’inscrit dans un contexte de dénigrement de la dépense publique et de volonté affichée de la réduire. Il vise à la fois à mettre en évidence les mécanismes et représentations qui sous tendent ce mot d’ordre et à établir les effets pervers d’une réduction de la dépense publique quand elle pèse sur le bien être individuel et collectif. Les candidats aux plus hautes fonctions publiques rivalisent de propositions pourcouper dans ces dépenses. Cette surenchère est largement médiatisée et l’opinion publique tend à se laisser convaincre qu’il n’y a pas d’autres options possibles que celle de la réduction des budgets publics sans savoir précisément ce que cette réduction recouvre. Pour économiser plusieurs milliards, combien d’emplois d’enseignants et d’infirmières sont à supprimer?
Si la dépense publique est autant dénigrée, c’est parce que la recette publique est critiquée. Or, ce sont les recettes qui alimentent les dépenses. Baisser la dépense publique, c’est plaider pour la diminution des recettes et des prélèvements, l’impôt est ainsi suspect et en particulier l’impôt sur le revenu, mais aussi réduire la dette publique. Les détracteurs de la dépense publique affirment ainsi que les enfants français sont redevables dès leur naissance de près de 30 000 €, en raison du poids de cette dette publique (2000 Milliards d’euros). Pour condamner le niveau des prélèvements obligatoire on dira qu’en France, ce n’est qu’à partir du 27 juillet que l’on commence à travailler pour soi – et non pour l’ogre public, décidément trop dispendieux.
L’évidence de l’analyse, appuyée sur de solides arguments statistiques et des formulations opportunes, conduit immanquablement à en déduire la réforme de l’action publique. Il faut insister sur la nature de l’opération dont il est question : la déduction logique – et non la préférence ou l’arbitraire. Les discours réformateurs s’appuient sur des évidences naturelles conduisant à des réformes rationnelles, la réforme est alors légitimée sans recours à un choix politique :
- Il faut dépenser moins : il s’agit de réduire les dépenses publiques pour laisser faire le marché. Par exemple : promouvoir l’assurance santé complémentaire pour alléger le « trou de la sécu », et inciter aux comportements vertueux ; faire payer les droits d’inscription à l’université publique.
- Il faut dépenser mieux : il s’agit d’introduire la rationalité entrepreneuriale (marchande) dans l’espace public par le moyen d’outils incitatifs (paiement à la performance) mais aussi, plus simplement,
d’objectifs quantifiés. Par exemple : le paiement à la performance médicale pour contrer les tire-au-flanc et
les rentes informationnelles ; faire payer le patient (nécessairement) fraudeur (par intérêt économique ou absence de moralité). Pourtant, ces évidences cachent des analyses économiques et des présupposés idéologiques qui n’ont rien de neutre.