Ce texte pourra surprendre le lecteur habitué des rapports de recherches universitaires en sciences humaines et sociales : par son format, d’abord ; et surtout, par l’emploi, par son auteur, de la première personne du singulier. C’est qu’il fallait retenir une forme d’écriture en accord avec le caractère atypique d’une expérience. En effet, il rend compte, notamment en les confrontant aux analyses de l’anthropologie industrielle, des travaux et de la démarche qui ont vu naître un court métrage de fiction – Le Déjeuner sur le stade (avec notre usine en arrière-plan), de Jean-Charles Massera – au sein d’un groupe de salariés et militants syndicaux CGT d’une entreprise métallurgique du Havre. Ou, autrement dit, comment ce qui, au début, était avant tout une enquête historique et sociologique basée sur l’exploration de fonds d’archives inédits et une observation participante, a débouché sur l’écriture et la réalisation, au prix de multiples entretiens, lectures, réunions collectives et visites de site, d’un court métrage dont ils sont les inspirateurs et les interprètes.
L’enquête se situait à l’intersection des problèmes liés à l’art et à la culture dans leurs rapports au syndicalisme. Et elle ambitionnait la conception de nouveaux outils. Parmi toutes les options possibles, c’est donc celle d’un court métrage qui fut privilégiée car répondant le mieux aux attentes, aux besoins exprimés plus ou moins clairement par les élus CGT.
Ce rapport témoigne ainsi, en en tirant les enseignements utiles, des difficultés et obstacles qu’il a fallu surmonter et qui l’ont été par un engagement personnel de la part du chercheur impliqué et de l’artiste, auteur et réalisateur sollicité. Le principal écueil étant probablement une conception de la culture que ces salariés et militants pensaient en complète extériorité à eux.
L’expérience devait ainsi s’inscrire dans le temps long, et ce fut sa chance. Elle s’échelonna formellement de l’automne 2017 à l’hiver 2020, mais commença bien en amont et, en un sens, n’est pas encore achevée : les effets de l’implication des salariés et militants dans la fabrication du court métrage ne pourront se mesurer pleinement que sur le long terme ; et il en est pareillement des effets de sa diffusion dans les milieux militants (syndicaux, associatifs…) et les festivals de cinéma.
Au delà de ses apports scientifiques, ce rapport se veut donc un récit reconstruit et épuré comme tentative d’élaborer une praxis qui assimilerait l’expérience en l’analysant, en l’interprétant et en la généralisant : l’art y est envisagé comme porteur d’une dimension réflexive et critique sur le sens de ce que les salariés vivent au travail, durant leurs loisirs, du fait, pour certains d’entre eux, de leur militance, etc. Il montre concrètement les possibilités et alternatives qui s’offrent en matière d’activités sociales et culturelles à un comité social et économique (CSE). En espérant que la démarche dont il témoigne – on peut envisager qu’elle mobilise d’autres arts – puisse inspirer d’autres syndicats, ailleurs.